Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

iconographie ou iconologie (suite)

La découverte des catacombes romaines au xvie s. et le livre d’Antonio Bosio Roma sotterranea (1632) stimulèrent fortement l’intérêt pour l’iconographie religieuse. Ce travail ne connut plus d’interruption, mais le xixe s., particulièrement, vit fleurir toute une littérature d’iconographie chrétienne trouvant sa source dans l’âme romantique. Chateaubriand — qui, d’ailleurs, confondait les styles roman et gothique — contribua par sa conversion et par la publication du Génie du christianisme, dont un des titres provisoires était « De la religion chrétienne par rapport à la morale et aux beaux-arts », à éveiller un puissant intérêt pour le christianisme primitif. Dans un ordre d’idées plus scientifique, il faut citer les noms d’Adolphe Didron (Iconographie chrétienne. Histoire de Dieu, 1844), de Mgr Xavier Barbier de Montault (Traité d’iconographie chrétienne, 1890), de H. Detzel (Christliche Ikonographie, 1894-1896). Aucun d’eux, cependant, ne poussa sa recherche aussi loin qu’Émile Mâle.

Dans la préface de l’Art religieux du xiiie siècle en France (1899), Émile Mâle montre que son propos dépasse de loin le simple catalogue des thèmes religieux : il embrasse la signification profonde de ces images, leur rôle symbolique. S’il entreprend cette recherche, c’est que cette signification, ce symbolisme nous sont devenus « plus obscurs que des hiéroglyphes ». Il fait remonter haut cet obscurcissement : le concile de Trente, cherchant à codifier et à raisonner l’imagerie religieuse, lui enleva de sa force d’expression en la compliquant d’allégories savantes, en la livrant à l’érudition. Émile Mâle est frappé de l’ignorance du Moyen Âge, que révèlent les écrits des bénédictins des xviie et xviiie s. À la recherche de la signification, au sens fort, il constate l’insuffisance d’une histoire de l’art uniquement fondée sur l’évolution matérielle des formes, sur le « progrès » technique. Dépassant le conflit du fond et de la forme, il affirme que « toute forme est le vêtement d’une pensée, même si son exécution est naïve ou maladroite ». On doit ainsi aborder l’art du Moyen Âge par une revue systématique des sujets et leur étude pendant la période la plus longue possible, car l’évolution des thèmes a été très lente. En outre, la confrontation de l’œuvre d’art avec les textes théologiques, liturgiques et légendaires du Moyen Âge, insuffisamment pratiquée par ses devanciers, paraît essentielle à Émile Mâle.

L’iconographie de l’art profane ne suscita d’intérêt que bien plus tard. L’Iconographie de l’art profane au Moyen Âge et à la Renaissance de Raimond Van Marle date de 1931-32. Les travaux d’Anton Pigler sont plus récents encore : Barockthemen (1956) est un répertoire très complet des thèmes illustrés par les peintres de la Renaissance au xviiie s. Citons aussi Attributs et Symboles dans l’art profane, 1450-1600 (1958-1965), de Guy de Tervarent.

À La Haye, le Rijksbureau voor kunsthistorische documentatie tient un répertoire de thèmes et un fichier photographique regroupant les œuvres recensées. Le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, à Paris, possède ce répertoire. D’autres institutions semblables existent à Londres et à New York.

Émile Mâle

(Commentry 1862 - Chaalis, Oise, 1954). Il fut élève de l’École normale supérieure et enseigna les lettres à Saint-Étienne, à Toulouse et à Paris. Ayant soutenu une thèse sur l’Art religieux du xiiie s. en France (1899), il fut chargé d’un cours d’histoire de l’art chrétien à la Sorbonne. Il y devint titulaire de la chaire d’histoire de l’art en 1912. Il fut plus tard directeur de l’École française de Rome et entra à l’Académie française en 1927.

De ses nombreux écrits il faut citer surtout, outre sa thèse, l’Art religieux de la fin du Moyen Âge en France (1908), l’Art allemand et l’art français du Moyen Âge (1917), l’Art religieux du xiie siècle en France (1923), l’Art religieux après le concile de Trente (1932), qui furent suivis de nombreuses études plus analytiques, parues après la Seconde Guerre mondiale.


L’iconologie

Un peu plus ancien qu’iconographie, le terme est apparu au xvie s. Il fut répandu par la publication d’Iconologia ovvero descrizione di diverse immagini cavate dall’ antichita et di propria invenzione (1593) de l’érudit italien Cesare Ripa (1560-1645). Le propos de l’auteur est d’être utile aux artistes dans la représentation des « vertus, vices, émotions et passions humaines ». Il leur fournit en somme un répertoire des symboles dont ils ont besoin. De nos jours, sous l’influence des travaux d’Erwin Panofsky, le terme a pris une signification plus ambitieuse. Il désigne une méthode d’étude de l’image dans les arts plastiques, cette image étant considérée comme l’expression d’une civilisation.

L’Iconologie de Ripa connut un très grand succès. Elle fut rééditée, illustrée, augmentée jusqu’au début du xviiie s., traduite en français, en néerlandais, en allemand, en anglais, et devint une sorte de code européen de l’image allégorique. Un Poussin, un Vermeer, par exemple, s’en servirent, et cet ouvrage a enrichi l’arsenal de la décoration officielle jusqu’à la fin du xixe s. Il enseigne comment représenter les passions, les corps célestes, les saisons, les éléments, les provinces d’Italie, etc. Chaque concept est incarné par un personnage, une femme le plus souvent, chargé d’attributs symboliques : la Discorde se reconnaît à sa chevelure de serpents, la Justice à sa balance...

L’œuvre de Ripa n’était pas entièrement nouvelle. De nombreux traités de mythologie composés à la Renaissance lui servaient de fondement. Il faut citer parmi eux les Emblèmes (1531), publiés en latin par le jurisconsulte italien Andrea Alciati, qui propose des « sentences et vertueux exemples » illustrés d’images pouvant servir de modèles aux arts décoratifs. Alciati, qui enseigna en France, n’est pas un simple fabricant d’images : il réfléchit à leur pouvoir, note qu’elles « déclarent le sens de la parole à vue d’œil » et « représentent vive action de la lettre morte ». Mais cette puissance de l’image fut exploitée plus largement et plus consciemment par le Lyonnais C. F. Ménestrier.