Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Ibères

Peuple qui occupait la plus grande partie de la péninsule Ibérique avant la conquête romaine.


Un rapport quelconque avec les homonymes Ibères du Caucase paraît plus qu’hypothétique. Il est possible que les Ibères soient originaires du Sahara et qu’installés dans le sud et l’est de la péninsule, à laquelle ils ont donné leur nom, ils aient eu aussi des contacts maritimes avec l’Europe septentrionale (Irlande, Écosse, Scandinavie) à l’époque des mégalithes, qu’ils auraient contribué à diffuser. À l’âge du bronze, les objets d’origine ibérique sont fréquents dans les îles Britanniques.

L’archéologie témoigne d’une civilisation particulièrement évoluée dans le sud-est de l’Espagne. C’est là, précisément, que se situait le légendaire royaume de Tartessos, réputé pour sa richesse, ses mines, son or. Les Tartessiens, qui semblent n’être qu’une partie des Ibères, se montrèrent de hardis navigateurs, avant d’être, peut-être, soumis par les Phéniciens dès le viiie s. av. J.-C. et, en tout cas, de disparaître des voies maritimes peu après. La population s’est, en effet, trouvée isolée de la côte par les établissements carthaginois et grecs. Mais elle n’en a pas moins continué de prospérer, et la civilisation s’est, aux vie-ve s., raffinée au contact des colons grecs. Ceux-ci n’apportèrent pas l’écriture, déjà acquise des Phéniciens et qui nous a conservé, sur quelques inscriptions et monnaies, des mots ibères en partie énigmatiques. Mais ils ont influencé l’art et enrichi le panthéon religieux, faisant adopter Aphrodite, Artémis et d’autres divinités qui se sont ajoutées au culte traditionnel des astres.

Cette civilisation, qui a progressé à partir du sud-est vers tout le reste du domaine ibère, jusqu’à la haute Èbre (vie s.), au Languedoc (ve s.), à la Castille (iiie s.), a continué de prospérer jusqu’à la conquête romaine, surtout dans le Sud-Est, où fleurissent les sites fortifiés et les grands sanctuaires comme Cerro de los Santos (Albacete), Elche (Alicante), le Despeñaperros (Jaén), aux édifices de pierre et aux nombreuses statues votives, qui n’apparaissent pas comme des copies de l’art grec. En pierre ou en bronze, ces statues représentent des orants, des guerriers, des cavaliers, des animaux, dans un esprit de naturalisme et d’archaïsme. La statue la plus célèbre est celle de la Dame d’Elche. Les habitations étaient souvent construites en dur. À Azaila (Teruel), dans le bassin de l’Èbre, et à Numance (Soria), les rues étaient pavées. Dans le Nord-Ouest, les castros, villages fortifiés, mais d’une civilisation plus fruste, ont fortement subi l’influence culturelle ibérique.

Demeurés à un stade tribal, vivant en groupes séparés, les Ibères avaient le goût de la guérilla, du brigandage, de la ruse de guerre. Ils avaient donné à leur pays l’aspect d’un fourmillement de villages fortifiés. Ils manifestaient aussi leur expérience industrielle, grâce aux ressources minières : métallurgie du fer (armes), du bronze (mobilier), céramique (géométrique ou non, peinte, aux formes très différentes des productions grecques). On avait observé qu’ils s’habillaient de noir, contrairement aux Celtes, aux costumes rutilants.

Les Celtes se sont introduits dans les régions centrale et septentrionale de la péninsule. Les Anciens ont donné le nom de Celtibères à ces Celtes d’Ibérie, dont on peut se demander dans quelle mesure ils avaient fusionné avec leurs voisins. On peut voir en eux des Celtes ibérisés, mais attachés à des traditions propres, tant guerrières (devotio des guerriers) que religieuses (dieux celtiques). Ce sont eux, plus belliqueux sans doute que les Ibères, les résistants de Numance, qui fut le bastion de l’opposition aux Romains, l’Alésia de l’Espagne, prise en 133 av. J.-C. par Scipion Emilien.

À l’inverse, les Ibères se sont répandus dans le sud de la Gaule. Si l’on a renoncé aux théories (E. Philipon) qui dispersaient les Ibères jusqu’en Italie, on admet traditionnellement leur présence entre le Languedoc et l’Aquitaine dès le premier quart du ve s. Le cas de la céramique locale, d’apparence ibère, relève peut-être de l’importation ou de la similitude (J. Jannoray), mais la toponymie fournit des noms caractéristiques : Illiberris, Elne ; Elimberris, Auch ; Iluro, Oloron. Les Commentaires de César sont d’ailleurs formels quant au peuplement ibérique de l’Aquitaine.

R. H.

 E. Philipon, les Ibères (Champion, 1909). / L. Pericot García, La civilización megalítica catalona y la cultura pirenaica (Saragosse, 1925 ; trad. fr. l’Espagne avant la conquête romaine, Payot, 1952). / P. Dixon, The Iberians of Spain and their Relations with the Aegean World (Oxford, 1940). / G. Nicolini, les Bronzes figurés des sanctuaires ibériques (P. U. F., 1969). / G. Lilliu et H. Schubart, Civilisations anciennes du Bassin méditerranéen. Corse, Sardaigne, Baléares, les Ibères (trad. de l’all. et de l’ital., A. Michel, 1970).

ibn al-Muqaffa‘ (‘Abd Allāh)

Traducteur et écrivain irano-arabe (Djur, auj. Firuzābād, dans le Fārs, 720 - Bassora v. 756).


Issu d’une famille iranienne de bonne condition, fils d’un fonctionnaire du fisc de la région de Bassora resté estropié à la suite de tortures infligées pour concussion, ‘Abd Allāh (de son nom iranien Rosbeh) est devenu célèbre sous le sobriquet d’ibn al-Muqaffa‘ (le fils de l’Estropié). Son enfance et son adolescence semblent s’être écoulées à Bassora même, où il reçut une formation à la fois iranienne et arabe. Il paraît certain qu’il entra fort tôt dans l’administration des Omeyyades comme scribe, mais, quand ceux-ci furent renversés par les ‘Abbāssides, il s’attacha avec zèle aux gouverneurs locaux représentant la nouvelle dynastie. À Bassora et temporairement à Kūfa, il fréquenta les cercles d’érudits ou de grammairiens et fut notamment en rapport avec le poète Bachchār*. Par son atavisme, sa formation et ses relations, il se sentit invinciblement conquis par des croyances manichéennes que dissimulait mal une prudente orthodoxie islamique. Cette attitude ambiguë, un goût trop affiché pour une vie quelque peu licencieuse, très certainement aussi une tendance politique pro-arienne qui indisposait l’entourage d’al-Manṣūr et le calife lui-même ne devaient pas manquer de susciter une intrigue contre lui. En dépit de protections puissantes à Bassora, l’écrivain ne put échapper à des ennemis acharnés à sa perte ; le calife lui-même favorisa secrètement ce qui se tramait, et Sufyān, gouverneur de Bassora, put faire périr en toute impunité dans un affreux supplice, à l’âge de trente-six ans, un des premiers représentants du non-conformisme intellectuel et religieux en islām.

L’œuvre d’ibn al-Muqaffa‘ est double et comprend d’une part des traductions et d’autre part des œuvres morales.