Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Husserl (Edmund) (suite)

Mathématicien avant de devenir philosophe, Husserl se propose de transformer la philosophie en science exacte et de dévoiler les fondements essentiels de toute réalité. Sa recherche passe par trois périodes successives, aussi distinctes qu’inséparables. S’interrogeant d’abord sur l’analyse mathématique, il en vient à reconnaître le primat de la logique sur l’ensemble des sciences, de même que sur les méthodes de la psychologie. Il constate ensuite que la logique pure est initialement phénoménologie, c’est-à-dire qu’elle se pose comme description des actes de la conscience, comme démarche pour saisir les significations et comme procédé pour accéder à la vision des essences. Enfin, il tente de traiter en termes d’historicité de la conscience les problèmes du monde des êtres et des choses, de la culture.

L’itinéraire de Husserl part donc de la crise des sciences et y aboutit de nouveau, mais en montrant qu’il s’agit là d’une crise de la conscience. La phénoménologie apparaît dès lors comme une méthode, dans le meilleur style cartésien, pour fonder sur des certitudes la réalité du monde et la réalité de l’homme dans le monde. Au niveau le plus simple, elle se veut l’étude des phénomènes, de ce qui surgit à la conscience, de ce qui est donné. Elle s’identifiera, en fin de compte, à la manière dont la conscience vit le monde et exprime cette vie.

Quelques mots clés de la philosophie husserlienne

eidétique, qui concerne l’essence.

intentionnalité. « Le mot intentionnalité ne signifie rien d’autre que cette particularité foncière qu’a la conscience d’être la conscience de quelque chose » (Husserl). Caractère propre à la pensée de tendre vers un objet de pensée.

intuition, faculté qui permet de saisir directement les essences intemporelles. « Toute intuition qui nous donne son objet de façon immédiate et originelle est source de connaissance légitime » (Husserl).

noème (du grec noêma, objet pensé), objet intentionnel avec son sens, son caractère de réalité, ses modes d’apparaître, etc.

noèse (du grec noêsis, pensée), acte même de la connaissance, tourné vers l’objet.

phénoménologie, méthode philosophique qui vise à saisir, par-delà les êtres empiriques et individuels, les essences absolues de tout ce qui est. C’est « la science descriptive des essences de la conscience et de ses actes » (Husserl).

réduction eidétique, acte qui consiste à éliminer les éléments empiriques du donné pour n’en retenir que la pure essence.

réduction phénoménologique, acte qui consiste à mettre entre parenthèses les existences empiriques.


L’intentionnalité

Où prend appui la connaissance scientifique ? Pour l’empiriste, la démarche logique s’explique par l’analyse psychologique du sujet qui raisonne. Or, constate Husserl, le sujet reste soumis à la contrainte des connexions et des enchaînements objectifs : les propriétés des nombres sont les mêmes pour un homme du xxe s. et pour un Grec de l’Antiquité.

Faut-il, en suivant Kant, distinguer le monde de l’expérience ou des phénomènes, seul connaissable, et celui de la « chose en soi », inaccessible ? Ce serait consacrer la rupture entre le sujet et le monde, entre la conscience qui perçoit et l’objet perçu. Au contraire, la notion de visée intentionnelle abolit une telle séparation.

Chez Husserl, l’intentionnalité est le mouvement où se résout la contradiction entre l’être et la conscience : elle scelle le pacte de la conscience et du monde. Il n’y a donc pas de monde qui ne soit pour une conscience et pas de conscience qui ne se détermine comme une façon d’appréhender le monde. Au noème (connaissance comme résultat) correspond une certaine noèse (acte de connaissance). Le phénomène est donc l’apparaître de la réalité, ce qui se donne au sujet ; sa connaissance ne consiste pas à le rejoindre mais à le dévoiler, à obtenir qu’il se donne directement tel qu’il est : unité de l’acte de conscience et de l’objet, unité réalisée par la visée intentionnelle.

Mais les actes de conscience ne visent pas leurs objets de la même manière et, simultanément, les objets ne se donnent pas de façon identique. C’est à la phénoménologie qu’il appartient de dégager les distinctions et la certitude logique en permettant la description du vécu, des actes de conscience et des essences qu’ils visent.


La réduction ou mise entre parenthèses

La perception ne nous livre le réel que par esquisses et profils successifs. Un objet reste soumis au déroulement indéfini des profils sans jamais permettre une exploration exhaustive ; l’essence de ce perçu est d’être inépuisable. Et pourtant, la perception a ceci de paradoxal qu’elle nous donne l’absolu d’un apparaître qui se développe sans cesse dans une synthèse toujours plus grande et toujours inachevée.

Mais, si la chose émerge ainsi à travers des retouches sans fin, au contraire le vécu est donné à lui-même dans une perception immanente ; la conscience de soi donne le vécu comme un absolu. Une analyse précise implique que soient pleinement dissociés le monde comme totalité de choses, d’une part, la conscience et le vécu, d’autre part. Cette opération qui, mettant le monde entre parenthèses, dégage le phénomène d’existence dans sa pureté, Husserl l’appelle la réduction, ou « épokhê ».

Au premier stade, la réduction phénoménologique distingue donc le monde et un sujet non mondain ; une analyse plus poussée conclut ensuite à la contingence de la chose (le modèle du mondain) et à la nécessité du moi pur, résidu de la réduction. C’est ce que Husserl exprime, dans les Idées directrices, par : « Toute chose donnée « en personne » peut aussi ne pas être, aucun vécu donné « en personne » ne peut pas ne pas être. »

Le moi pur n’a donc pas besoin du monde pour être. Grâce à la réduction, à la mise hors d’action du monde, le concret de la vie subjective se révèle dans son authenticité, la conscience réussit à être consciente d’elle-même. Autrement dit, le moi qui est dans le monde se double, par l’acte phénoménologique, d’un moi spectateur désintéressé. En somme, réduire, c’est transformer tout donné en phénomène et révéler du même coup les caractères essentiels (eidétiques) de l’ego : fondement radical, source de toute signification, lieu d’intentionnalité avec l’objet.