Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

humanisme (suite)

Les temps de l’humanisme spiritualiste (1470-1547)

• Découverte du platonisme et humanisme d’expression latine. Commence alors, vers 1470, date de l’installation à la Sorbonne de l’atelier d’imprimerie de Guillaume Fichet (1433 - v. 1480), une longue période d’humanisme à tendance essentiellement religieuse, d’expression latine d’abord, puis française à partir de 1530 : période des grands espoirs, des combats contre l’enlisante tradition scolastique, des désirs plus ou moins confus d’harmonieuses synthèses. Les humanistes de l’époque sont avant tout des « philologues » passionnés par les langues, les textes littéraires, la civilisation des Anciens, domaines auxquels ils joignent l’étude de l’hébreu, nécessaire pour les « saintes Lettres ». Ainsi Johannes Reuchlin (1455-1522), qui restaure la langue et la littérature hébraïques et, surtout, Guillaume Budé (1467-1540), grand seigneur, avec Érasme, des études grecques et latines en Europe. Mais, en pratiquant les lettres anciennes dans un commerce aussi assidu, ces humanistes se familiarisent avec les philosophies du paganisme. Chrétiens qui n’entendent rien abandonner des enseignements de l’Église, dont la philosophie d’Aristote continue d’ailleurs à représenter la doctrine officielle, les voici séduits par Platon, le « divin Platon », christianisé par l’académie de Florence, remis en honneur par les soins de Marsile Ficin. Celui-ci, par son commentaire du Banquet, par sa Théologie platonicienne, par l’importance de ses travaux sur les néo-platoniciens donne alors, de façon au moins indirecte, un essor immense à toutes les spéculations spiritualistes et mystiques de l’époque. Pendant plus d’un demi-siècle, c’est à travers Ficin traduit en latin qu’en France les érudits — et pratiquement eux seuls en cette période — eurent accès à l’œuvre multiple de ce Platon dont la philosophie essaie d’« ordonner les choses entre Dieu comme principe et Dieu comme fin », un Platon, il est vrai, plus ou moins déformé par ses commentateurs. À partir de 1490, le platonisme se répand grâce à des humanistes entreprenants, dont le plus important, en France, est l’évangéliste Jacques Lefèvre d’Étaples (v. 1450-1537), qui étudie l’hébreu dans la grammaire de Reuchlin, publie, outre des ouvrages d’Aristote, des textes de Ficin : sa traduction d’Hermès Trismégiste (1494), son édition latine de Denis l’Aréopagite (1498), avant de donner, en 1514, les livres d’un néo-platonicien plus récent, le Rhénan Nicolas de Cusa, puis, en 1530, la sainte Bible en français. Participent également à la diffusion de ce platonisme un disciple de Lefèvre d’Étaples, le mathématicien Charles de Bouvelles (v. 1480-1533), chez qui les influences d’Hermès, de Plotin et de Nicolas de Cusa se mêlent à celle du Platon ficinien, et le médecin lyonnais Symphorien Champier (1472 - v. 1539), qui, ne dédaignant pas d’écrire en langue vulgaire, peut être considéré comme le premier vulgarisateur français du platonisme au xvie s.

• Vogue du platonisme et triomphe de l’humanisme en français. Après 1530 s’ouvre une deuxième phase de la période spiritualiste de l’humanisme, au cours de laquelle Platon continue de s’affirmer le grand maître des âmes éprises d’idéal. Phase triomphante, d’expression désormais française, caractérisée par la plus franche exaltation de l’homme et de sa nature, par l’enthousiasme général né de la découverte émerveillée de l’incomparable qualité humaine. Les savants philologues du début du siècle ont gagné à la cause de l’humanisme un certain nombre de parlementaires, de bourgeois cultivés, avocats ou médecins. Quelques villes de province, Orléans, Bourges, Poitiers, Toulouse, Lyon surtout, s’éveillent à l’humanisme. Certes, la victoire n’est pas obtenue d’emblée, et les imprimeurs préfèrent encore éditer de la littérature de colportage, des romans adaptés des œuvres médiévales plutôt que de risquer l’impression de textes antiques. Mais la fondation en 1530 du Collège des lecteurs royaux (actuel Collège de France) par François Ier prend valeur de symbole. Témoignage de l’appui accordé à l’élite élargie des humanistes par le roi et par sa sœur Marguerite d’Angoulême, l’établissement — qui connut, dès ses débuts, un très vif succès — favorise, en dépit de la Sorbonne, la connaissance exacte des antiquités classiques, qu’assurera bientôt, pour des centaines d’années, l’ouverture, en 1561, du premier collège des Jésuites. Près de deux siècles plus tôt, le roi Charles V (1364-1380) avait déjà demandé à des érudits de son entourage, comme Nicole d’Oresme (v. 1325-1382), de traduire les principales œuvres historiques et morales de l’Antiquité. À son exemple, François Ier encourage les traductions en langue vulgaire, qui se multiplient en format commode, aux environs de 1530, et donnent, enfin, à l’humanisme le droit de cité attendu dans les lettres françaises. Tandis que François Tissard (qui, dans les premières années du xvie s., avait fait accomplir des progrès décisifs à la connaissance du grec à Paris) et Guillaume Budé avaient, en latin, opposé le génie de la France à son rival italien, c’est alors en français qu’Étienne Dolet (1509-1546) veut illustrer l’honneur de son pays dans son traité sur la Manière de bien traduire d’une langue en autre (1540), dont six rééditions en dix ans attestent l’intérêt qu’on portait à la traduction, promue désormais au rang de genre littéraire. Passent ainsi en français, chez les Latins : César, Cicéron, Juvénal, Perse, Salluste ; chez les Grecs : Appien, Diodore, Épictète, Euripide, Homère, Isocrate, Plutarque, Platon surtout, qu’on interprète toujours d’après le texte latin de Ficin. Une partie du Banquet, le Lysis, l’Axiochus et l’Hipparchus, l’Ion, le Criton, le Phédon sont traduits en français par Antoine Héroët (v. 1492-1568), Bonaventure Des Périers (v. 1510-1544), Étienne Dolet, Richard Le Blanc (v. 1510 - v. 1574), Simon Vallambert, Pierre du Val, Jean de Luxembourg ; la littérature des vingt dernières années du règne de François Ier révèle à l’évidence la vogue mondaine de ce platonisme, dont l’influence se retrouve partout. On tire du Banquet une doctrine de l’amour qui se mêle chez nous aux thèmes pétrarquistes, inspirant l’Androgyne d’Héroët, le Conte du rossignol (1546) de Gilles Corrozet (1510-1568). Empruntée à l’Ion et au Commentaire du Banquet par Ficin, la théorie de la fureur poétique commence alors à se répandre. Et s’élabore un type d’homme dont l’image séduisante apparaissait dès 1528 à toutes les pages du Courtisan de Castiglione, ce « livre d’or » dont Jacques Colin (v. 1490-1547) devait donner la traduction en 1537 et 1538.