Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

humanisme (suite)

En fait, dans son sens historique et le plus précis, qu’a influencé l’allemand Humanismus (forgé en 1808 par le pédagogue F. I. Niethammer pour opposer les études classiques à un enseignement plus pratique et plus scientifique), le mot humanisme désigne, depuis le dernier quart du xixe s., le courant littéraire et intellectuel qui, associé au réveil des langues et des littératures anciennes, porta, au xve et au xvie s., les érudits d’Europe à une connaissance passionnée, exacte et aussi complète que possible des textes authentiques et de la civilisation de l’Antiquité classique.

Dans une acception plus large, qui porte la marque de Hegel, humanisme s’entend de tout effort de l’esprit humain, qui, affirmant sa foi dans l’éminente dignité de l’homme, dans son incomparable valeur et dans l’étendue de ses capacités, vise à assurer la pleine réalisation de la personnalité humaine. C’est ainsi que l’on parle de l’humanisme de Saint-Exupéry, de Gide, d’Albert Camus, d’André Malraux ; et que Jean-Paul Sartre a écrit L’existentialisme est un humanisme (1946). Un tel effort peut, sans faire appel à aucune lumière, à aucune force surnaturelle, s’appuyer sur les seules ressources de l’homme, sur sa propre industrie. Il peut aussi postuler le secours de la grâce, d’une grâce qui ne détruit pas la nature, mais qui la restaure. À la suite d’Érasme* et de saint François*de Sales (1567-1622) se développe un humanisme chrétien qui transcende et transfigure l’humanisme immanentiste en assignant un destin surnaturel à l’homme, corrompu, certes, mais rédimé et appelé à collaborer, dans l’exercice même de ses devoirs d’homme, à l’œuvre de son salut. Inséparable désormais d’un contexte historique, philosophique ou religieux, le mot humanisme, volontiers lié aujourd’hui à l’idée d’une civilisation aristocratique fondée et maintenue par les privilèges de l’intelligence, souvent associé aussi à la notion de culture de classe, prend presque toujours un sens polémique qui ajoute encore à sa multiple et féconde ambiguïté.

Par-delà ces querelles, peut-être pourrait-on s’accorder sur un essai de définition où n’apparaîtraient que les caractères essentiels de l’humanisme, cette « histoire continue », cette « action spirituelle », comme dit G. Bachelard, « qui ne cesse d’agir depuis la Renaissance jusqu’à nos jours ».

Dans cet esprit serait véritable humanisme toute philosophie de la vie humaine qui, prenant l’homme et ce qui le concerne comme le centre, la mesure et la fin supérieure de toutes choses, s’applique avec ferveur à connaître et à expliquer toujours plus largement la nature humaine dans ce qu’elle a d’universel et de permanent, à favoriser, dans un souci perpétuel de renouveau fondé sur la tradition, son plus harmonieux épanouissement, à défendre, enfin, au besoin, toutes les valeurs humaines là où elles peuvent se trouver, de quelque manière, menacées.


Histoire de l’humanisme français aux xve et xvie s.


Humanisme français et humanisme italien

L’humanisme français et sa phase de plein achèvement, généralement appelée Renaissance, sont souvent présentés comme l’héritage direct de l’humanisme italien, qui, reprenant, prolongeant et amplifiant l’effort initiateur de Pétrarque (1304-1374), s’était développé au xve s., aussi bien dans les universités et les académies qu’auprès de papes comme Nicolas V et Pie II ou dans les cours princières de la péninsule, à Florence tout spécialement. On répète, volontiers, après Jacob Burckhardt, que cette renaissance des lettres antiques, qu’avaient favorisée, en Italie, l’éveil du sentiment national, le culte fidèle de tout ce qui avait fait la grandeur de Rome, les appuis intelligents d’un brillant mécénat, l’afflux (après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453) de savants grecs chargés de précieux manuscrits, passa les Alpes ultérieurement, en modifiant plus ou moins ses caractères dans chaque pays d’Europe où elle pénétrait. Pour la France, un tel schéma demande assurément retouche ou, tout au moins, nuance. D’une part, il peut conduire à faire superbement oublier l’humanisme d’Alcuin (v. 735-804) à l’époque de Charlemagne, celui de l’école de Chartres au xiie s. et l’intégration de l’aristotélisme dans la pensée médiévale. Il fait fi, d’autre part, de l’apparition en France d’un humanisme authentique contemporain ou peu s’en faut de celui du Quattrocento italien.

Sans doute n’est-il pas question ici de nier ni même de diminuer l’importance de l’humanisme italien, dont l’influence sur l’humanisme européen reste indiscutable. Pétrarque, Boccace, Coluccio Salutati (1331-1406), le Pogge (1380-1459) ont découvert à peu près tout ce que nous connaissons de la littérature latine. Guarino de Vérone (1374-1460), disciple lui-même de Manuel Chrysoloras (v. 1350-1415), Giovanni Aurispa (v. 1376-1459), Francesco Filelfo (1396-1481) ont sauvé, pour nous, l’essentiel des œuvres grecques antiques. La poésie néo-latine (Marulle, v. 1453-1500) a puissamment contribué à diffuser les formes de l’Antiquité, alors que, déjà, Lorenzo Valla (1407-1457) avait fondé la science critique des textes et des doctrines, que Marsile Ficin (1433-1499) s’appliquait aux grandes synthèses philosophiques d’intention chrétienne et d’inspiration néo-platonicienne et qu’à la fin du xve s. Jean Pic de La Mirandole (1463-1494) allait proclamer l’article fondamental du credo humaniste dans son Discours de la dignité de l’homme.

Mais il serait imprudent d’imaginer la Renaissance française sur le modèle de la Renaissance italienne — celle-là étant plus soucieuse de vérité morale et scientifique que d’art pur ; celle-ci, moins religieuse, au total, même si Pétrarque et les néo-platoniciens de Florence lui confèrent parfois un réel caractère de spiritualisme pathétique — et tout à fait inexact de continuer à parler, sauf peut-être sur le plan esthétique, d’un retard d’un siècle de l’humanisme français par rapport à l’humanisme du xve s. italien. Aux environs de 1400 se rencontre en effet, à Paris, dont l’université reste un intense foyer de culture, un humanisme qui ne concerne, en vérité, que des milieux assez restreints mais qui, au niveau qualitatif, n’est pas indigne d’être comparé à l’humanisme italien de l’époque, avec lequel il n’est d’ailleurs pas sans rapports. En sont les protagonistes, autour de Gerson (1363-1429), ses amis du collège de Navarre, Jean de Montreuil et Nicolas de Clémanges (v. 1363-1437), sans oublier des lettrés comme Laurent de Premierfait, les frères Gontier et Pierre Col, Jacques de Nouvion, Jean Muret. C’est le moment où l’on commence à s’intéresser à la langue grecque dans notre pays, où Nicolas de Gonesse traduit (d’après le latin) un opuscule moral de Plutarque, où s’instaure à Paris le culte de Cicéron. Et bientôt, sous l’influence de Gerson, que renforce celle du Pétrarque de la docta pietas, cet humanisme naissant va s’imprégner de spiritualité monastique (saint Bernard, saint Bonaventure) : chez l’Artésien Robert Gaguin (v. 1433-1501) par exemple.