Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Hongrie (suite)

En marge de ce groupe, les romans de Dezső Kosztolányi (1885-1936), Absolve Domine et Néron, le poète sanglant notamment, ont fait connaître à l’étranger ce poète délicat des Plaintes du pauvre petit enfant. Gyula Krúdy (1878-1933), bohème légendaire qu’il n’est pas interdit de tenir pour le plus parfait prosateur hongrois, excelle dans le récit, à mi-chemin de la nouvelle et du roman. Poète des tripots et des bouges (la Récompense des femmes, 1920), il réinvente le temps perdu bien plutôt qu’il ne le retrouve (Szinbád, cycle de nouvelles et de romans écrits à partir de 1910 ; la Diligence rouge, 1913). Un très grand charme émane particulièrement de NN (1919), évocation de souvenirs d’enfance peut-être à demi imaginaires. Krúdy pourrait être comparé à Bounine. Margit Kaffka (1880-1918) demeure aujourd’hui encore la grande dame des lettres hongroises (Couleurs et années, 1912). Ferenc Molnár (1878-1952), auteur de Liliom, l’une des pièces hongroises les plus souvent jouées à l’étranger, est aussi pour les enfants du monde entier celui d’un excellent roman, les Garçons de la rue Pál. N’oublions pas deux poètes de premier plan : Árpád Tóth (1886-1928), traducteur inspiré de Verlaine, ainsi que le douloureusement musical Gyula Juhász (1883-1937).

La Première Guerre mondiale s’achève par le morcellement de l’empire. Le traité de Trianon inscrit la Hongrie dans des frontières qui, loin d’inclure toute la zone linguistique hongroise, ne font qu’ulcérer le sentiment national. Après l’écrasement de la république des Conseils instaurée par Béla Kun, la dictature à velléités libérales du régent Horthy ne favorise pas la liberté d’expression. L’indépendance, celle des magnats, n’améliore pas le sort misérable de la paysannerie, qui, malgré la montée d’un prolétariat urbain, demeure la classe la plus nombreuse. À cette conjoncture politico-économique correspond dans la vie littéraire un renforcement du populisme, dont Móricz et le romancier Dezső Szabó (1879-1945), ont déjà donné l’exemple. Ceux des pusztas, de G. Illyés*, s’inscrira dans ce courant, qu’illustrent un grand nombre des poèmes d’Attila József*. Les autres grands noms de l’époque sont ceux des poètes Lőrinc Szabó (1900-1957) et Milán Füst (né en 1888) ; de ce dernier on connaît surtout en France l’Histoire de ma femme (1942). Jenő Tersánszky Józsi (né en 1882) est l’auteur d’un cycle de romans dont le héros, Marci Kakukk, a été comparé à Till l’Espiègle. Jenő Dsida (1907-1938), originaire de Transylvanie, a laissé des poèmes qui méritent de figurer dans les anthologies les plus exigeantes.

Depuis le début du siècle, le décalage qui sépara longtemps la littérature hongroise des littératures plus occidentales n’a cessé de se réduire. Paris, où séjournent tour à tour Ady, A. József, Illyés, Tibor Déry (né en 1894), Lajos Kassák (1887-1967) le constructiviste, Radnóti et tant d’autres, exerce sur plusieurs générations d’écrivains une influence directe et profonde. Le surréalisme attire un instant certains d’entre eux, notamment Illyés, ami d’Éluard et de Breton.

Il faut également noter que les idées de la psychanalyse s’implantent très tôt dans un pays où « tous les chemins mènent à Vienne ». Krúdy en tire parti dans sa Clef des songes (1920) ; elles colorent les romans de Babits, de Kosztolányi et de László Németh (né en 1901) et sont plus d’une fois consciemment orchestrées dans les vers d’Attila József.

L’ombre grandissante de la Seconde Guerre mondiale est perçue très tôt par un autre très grand poète, Miklós Radnóti (1909-1944), dont la personnalité sensible et complexe sait tirer parti de la perfection formelle la plus rigoureuse. Passé l’anacréontisme de ses premiers vers, sa poésie se transforme en la douloureuse et inquiète incantation de ce qu’il ressent comme une sorte de péché originel : la mort, lors de sa naissance, de sa mère et de son frère jumeau. Peut-être faut-il chercher là la clef de cette prescience de sa propre mort qui donnera bientôt à sa vie les dimensions d’un destin. La guerre venue, il se laisse déporter dans un camp de travail. En 1944, il est abattu par ses gardiens, des miliciens hongrois, au cours d’une marche forcée. Nul pourtant ne s’était voulu plus hongrois que ce disciple juif converti du poète et prêtre catholique Sándor Sík (né en 1889). Les plus beaux poèmes de Radnóti furent retrouvés sur son cadavre après la guerre, dans la fosse commune creusée par lui-même et ses compagnons.

Après la guerre — et malgré le coup d’arrêt du stalinisme —, la littérature hongroise reste — avec la littérature polonaise, à laquelle elle s’apparente depuis toujours par plus d’un trait — l’une des plus originales et des plus vivantes de l’Europe de l’Est. Le rôle joué par le cercle Petőfi dans les événements de 1956 montre suffisamment que le parti unique n’est pas seul dans le pays. Face au stalinisme — comme naguère face au fascisme —, Illyés, Déry, Péter Veres (né en 1897) et bien sûr le philosophe Győrgy Lukács* incarnent les aspirations d’une Hongrie qui rêve déjà d’un socialisme à visage humain.

En dépit du « regel » consécutif à l’intervention soviétique, le gouvernement de János Kádár, par l’amnistie de 1960 qui ouvre en Hongrie une période de prudent mais réel libéralisme, se fait accepter par la majorité des intellectuels. La Hongrie — avec une discrétion que justifie peut-être la présence sur son territoire des troupes soviétiques — s’ouvre de plus en plus sur l’Occident. Repoussoir efficace, le dogme du réalisme socialiste rehausse le prestige d’une modernité qui va parfois jusqu’au formalisme. En poésie, cette tendance est notamment représentée par l’éblouissant Sándor Weöres (né en 1913). István Vas (né en 1910), Zoltán Zelk (né en 1906) et le trop tôt disparu Mihály Váci (1925-1970) sont des poètes d’un humanisme sincère et fécond. Le lyrisme lapidaire et dépouillé d’Agnès Nemes Nagy (née en 1922) et de János Pilinszky (né en 1921) semble placer ces deux auteurs encore jeunes en tête de leur génération. Parmi les prosateurs, on connaît surtout en France les noms de Magda Szabó (née en 1917) et de Géza Ottlik (né en 1912), dont plusieurs romans ont été récemment traduits, ainsi que celui de József Lengyel (né en 1896), qui fut l’un des premiers à relater sa déportation dans un camp soviétique de Sibérie. Győrgy Moldova (né en 1934) et Erzcébet Galgóczi sont des nouvellistes de grand talent. István Csurka (né en 1934), Ferenc Karinthy (né en 1921) et István Örkény (né en 1912) perpétuent dans leurs récits et dans leurs pièces les meilleures traditions de l’esprit budapestois. Le dramaturge le plus doué et le plus fécond est sans doute Miklós Hubay (né en 1918), dont toute l’œuvre est destinée à la scène. À noter que les pièces de Gyula Háy (né en 1900), qui n’eut jamais beaucoup de chance dans son propre pays, n’ont commencé à être connues en Hongrie que tardivement.