Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Honegger (Arthur)

Compositeur suisse, rattaché à l’école française (Le Havre 1892 - Paris 1955).



La vie

Ses parents, protestants zurichois, habitaient Le Havre, où son père était fondé de pouvoir d’une maison d’importation de café. Le jeune Honegger prend des leçons de violon et découvre l’opéra et les sonates de Beethoven. Il reçoit des leçons d’harmonie de l’organiste de Saint-Michel du Havre. R. Ch. Martin, dès 1905. Après l’audition de deux cantates de Bach, dirigées par André Caplet, il compose, à quinze ans, un oratorio, le Calvaire. De 1909 à 1911, il étudie la musique au conservatoire de Zurich avec Friedrich Hegar. Rentré au Havre, il se rend chaque semaine au Conservatoire de Paris pour travailler le violon avec Lucien Capet, le contrepoint et la fugue avec André Gédalge. La guerre l’appelle en Suisse dans l’infanterie. Libéré en 1915, il retourne au Conservatoire et suit les classes de composition de Charles Widor et de direction d’orchestre de Vincent d’Indy. Il se fixe à Paris, se lie d’amitié avec Darius Milhaud, fait partie en 1916, autour d’Erik Satie, des « Nouveaux Jeunes », qui sont à l’origine du « groupe des Six* », créé en 1920. À partir de 1916-17, il écrit ses premières œuvres, des mélodies, le premier quatuor, le Dit des jeux du monde (1918). En 1920, le public lui décerne le prix Verley pour sa Pastorale d’été. Commence alors pour le musicien une vie laborieuse de compositeur. René Morax, fondateur du théâtre du Jorat en Suisse, lui commande la musique de scène du Roi David, que Honegger écrit en deux mois (1921). Un franc succès l’attend ; il jouit d’une audience internationale, et les commandes affluent : musiques de scène, ballets, opérettes, musiques de film, qui lui procurent des avantages matériels, mais surtout œuvres plus conséquentes. Il a la joie de composer la tragédie d’Antigone (1924-1927), sur un texte de Jean Cocteau. À partir de 1930, il aborde la symphonie : la première, commandée pour les cinquante ans du Boston Symphony Orchestra ; la seconde (1941), à la demande du chef suisse Paul Sacher, reflet du temps de la guerre, avec l’espoir d’un avenir meilleur grâce au choral du dernier mouvement ; la troisième (1946), dans laquelle il cherche à évoquer la réaction de l’homme devant le monde moderne qui l’étouffe ; la quatrième (1946), paisible et heureuse, rappelant sa Suisse natale ; la cinquième, appelée Di tre re (1950) en raison de chacun des mouvements qui se termine par un ré à la timbale, demandée pour célébrer la mémoire de Natalia Koussevitski. La collaboration avec Paul Valéry pour Amphion (1929) et Sémiramis (1933) se révèle heureuse ; celle qu’il a avec Paul Claudel pour Jeanne d’Arc au bûcher (1935) unit intimement deux artistes qui se complètent. Ils associeront de nouveau leurs talents pour la Danse des morts (1938) et le Soulier de satin (1943), pour lequel le compositeur écrit la musique de scène. Sa dernière œuvre, Une cantate de Noël (1953), reprend les éléments d’une Passion restée inachevée par le suicide de l’auteur du texte.

En marge de sa vie de créateur, Honegger, dès 1924, mène une carrière de chef d’orchestre à Paris et à l’étranger, où il dirige ses compositions avec beaucoup de succès : Europe occidentale, Russie, Pologne, Grèce, Amérique du Sud, États-Unis. En 1941-1944, il est critique musical au journal Comoedia et, durant la même période, il enseigne la composition à l’École normale supérieure de musique de Paris. Au cours d’un voyage dans les deux Amériques (1947), il est terrassé par une crise cardiaque. Ses dernières années seront assombries par la maladie.


Le musicien et son œuvre

La personnalité musicale de Honegger a subi la double influence de ses origines : alémanique et française. Lui-même a dit qu’il devait à la Suisse la tradition protestante et la familiarité de la Bible, d’où son admiration pour Bach. « Mon grand modèle est Jean-Sébastien Bach », affirme-t-il. Comme pour celui-ci, la création musicale représente pour lui un acte de foi. De même que chez Bach, le message honeggérien se ressent de ce climat religieux. L’idée du choral alimente une grande partie de son œuvre, oratorios et musique symphonique, soit qu’il emploie un thème de la liturgie protestante ou catholique, soit qu’il utilise ses propres thèmes comme une mélodie de choral : citation plaquée sur le contexte symphonique à la façon d’un cantus firmus (le thème de trompette du dernier mouvement de la symphonie pour cordes ou le thème du Dies irae dans la Danse des morts), soit que cette mélodie féconde le discours musical (Pacific 231, qui emprunte à la forme du choral varié). Honegger cite souvent aussi les textes des Psaumes (le Roi David, les Trois Psaumes, Mimaamaquim). À la France, il doit le sens de la construction claire, de l’équilibre, de la symétrie, de la concision et de l’économie des moyens, d’une certaine pudeur dans l’effusion. Tout reste bref dans son propos, qui ignore la digression. Il se plaît à accompagner un thème chaleureux d’une instrumentation dépouillée, ou, au contraire, la sobriété de la voix calme l’épanchement orchestral.

Le Suisse, en dehors de Bach, voue un culte à Beethoven et à Wagner, admire Strauss et Reger, reconnaît l’influence qu’ont exercée sur lui Schönberg et Stravinski. Le Français écoute Debussy et Fauré, qui, dit Honegger, « ont fait très utilement contrepoids, dans mon esthétique et ma sensibilité, aux classiques et à Wagner ».

« J’attache une grande importance à l’architecture musicale. » En effet, le musicien manifeste son goût pour les formes rigoureuses : sonate, symphonie, concerto. Il traite un peu ce dernier à la manière des préclassiques, en un style concertant souvent voisin du grosso (Concertino pour piano et orchestre, Concerto da camera). Le soliste ne s’impose pas par une virtuosité gratuite, mais s’intègre à la trame symphonique.

Quoiqu’il laisse des compositions de musique de chambre d’un haut intérêt et que ses recherches dans le domaine de l’opéra ne soient pas négligeables, la symphonie et surtout l’oratorio semblent être l’apport le plus considérable de Honegger. Venu tard à la symphonie, ses sonates pour instruments lui servent à éprouver quelques-uns des principes qu’il appliquera ensuite à la sonate d’orchestre : forme tripartite, un andante (il écrit ce mouvement en premier) flanqué de deux mouvements plus rapides ; interversion des thèmes à la réexposition dans l’allégro initial (AB devient BA), ce qui lui confère équilibre, symétrie et clarté, procédé utilisé aussi dans certains mouvements en forme de lied ; emploi de formes strictes, le rondo, la passacaille, le choral varié.