Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hölderlin (Friedrich)

Poète allemand (Lauffen, Wurtemberg, 1770 - Tübingen 1843).


Hölderlin a laissé une œuvre poétique d’une grande originalité, dont le destin a été particulier. Peu de poèmes ont été imprimés du vivant de l’auteur, demeuré peu connu de ses contemporains. Hölderlin a été découvert par quelques romantiques, et le silence s’est fait de nouveau autour de lui. C’est par Friedrich Nietzsche qu’il a été vraiment reconnu. L’audience de ses poèmes n’a cessé de grandir depuis. À travers les vicissitudes politiques de l’Allemagne, Hölderlin apparaît comme le prophète d’un nouveau langage et de la poésie pure.

Sa vie a été à la fois simple et mystérieuse. Les péripéties en sont connues, mais elles paraissent n’être que des repères de surface ; leur connaissance ne donne guère d’indications sur l’itinéraire spirituel du poète. Cette vie a ressemblé à celle d’un ermite en même temps que d’un homme voué à l’amitié, alliant la simplicité et la ferveur, le goût de la retraite et l’espoir d’agir sur les hommes. Hölderlin parle de sa propre existence comme d’un passage entre deux mondes plus beaux, plus proches du divin : celui de la Grèce antique et celui auquel il aspire, le temps du « retour des dieux » dans un Occident mythique.

Il est né dans un pays profondément luthérien, au foyer du piétisme hérité des « pères souabes ». Élevé par une mère veuve qui espérait faire de lui un pasteur, il étudia très tôt les langues anciennes. En 1784, il entrait à l’école conventuelle de Denkendorf ; en y entrant, on signait l’engagement de devenir pasteur « de l’authentique Confession d’Augsbourg ». En 1786, il passa à Maulbronn, où il resta deux années. C’est là qu’il commença à écrire, se confiant à la jeune Louise Nast, sa première inspiratrice.


Premières poésies

Elles s’inspirent de Klopstock, de Schiller, de l’Écriture sainte et déjà aussi d’une sorte de soif d’un bonheur inaccessible : la Nuit, la Vie humaine, l’Immortalité de l’âme disent la grandeur du dessein. Hölderlin chante aussi l’amitié et l’amour, dans les termes les plus élevés. Le culte de l’antique s’exprime dans Mon souhait de chanter les héros ou bien dans le Vol de Pindare et la Grèce.

Déjà dans ces premiers vers, c’est l’idée et l’idéal qui soutiennent l’inspiration ; le monde extérieur y est immédiatement transfiguré. La poésie de Hölderlin n’est nulle part descriptive. À propos d’un paysage, c’est toujours un passé ou un avenir qui surgissent. Voyageant en juin 1788 au bord du Rhin, Hölderlin est saisi par la « majesté naturelle du Rhin », thème qui reviendra dans plusieurs poèmes postérieurs ; déjà c’est l’esprit du paysage et le génie du fleuve qui retiennent le poète. Un paysage est ici une émotion, un avenir rêvé, jamais une composition plastique. Ainsi, toujours à propos du Rhin : « Il me semblait que je renaissais à ce spectacle [...] mon esprit prenait son vol vers l’infini [...]. Je rentrai tout ému et je remerciai Dieu de pouvoir ressentir tant de choses là où des milliers d’hommes passaient indifférents. » Hölderlin vient de sentir une présence divine ; plus tard, il divinisera les forces naturelles, en premier les fleuves.


Le séminaire de Tübingen

Au Stift (séminaire) de Tübingen, où le jeune poète entrait en octobre 1788, on formait les pasteurs souabes dans un esprit de stricte orthodoxie ; la poésie y était peu prisée, et la philosophie du siècle redoutée. Le duc de Wurtemberg exerçait un droit de regard sur la conduite des séminaristes. Hölderlin a passé là cinq années décisives, aussi bien pour sa poésie que pour l’orientation de sa vie. Il en est sorti en décembre 1793.

L’amitié, la poésie, bientôt la foi dans l’avenir de l’humanité ont empli pour lui ces années, mais aussi les doutes, le déchirement, le chagrin de ne pouvoir être le pasteur que sa mère attendait. À partir de 1790, la philosophie de Kant l’occupa, ainsi que la lecture de Leibniz, et surtout il se lia d’amitié avec le jeune Hegel, entré au séminaire la même année que lui, et avec Schelling, venu deux ans plus tard. Cette constellation spirituelle devait orienter son destin. Avec Hegel surtout, il poursuivit durant ces années une quête passionnée, au-delà de toute orthodoxie. En février 1791, il inscrivait dans le « Livre d’or » de Hegel : « La joie et l’amour sont les ailes qui portent aux grandes actions » ; Hegel y ajoutait la formule panthéiste « Un et tout ». Déjà, l’Almanach des Muses pour 1792 publiait de Hölderlin un Hymne à la liberté et un Hymne à la déesse de l’harmonie.


La Révolution française

Au nom des droits de l’homme, les séminaristes de Tübingen demandaient des réformes : « Il nous faut donner à notre patrie et au monde la preuve exemplaire que nous ne sommes pas faits pour demeurer les jouets de l’arbitraire. » Dans la guerre qui commença en 1792, Hölderlin et ses amis prirent parti pour les Français. En même temps, le poète exposait à son ami R. Magenau le plan d’Hyperion, le roman où il entreprenait de montrer le combat des Grecs pour leur liberté. Au club politique qui a été créé au séminaire, Hegel apparaissait comme « un solide Jacobin », et Hölderlin « était acquis aux mêmes idées ». « Nos jeunes gens, écrivait en 1793 un des professeurs, sont pour la plupart gagnés par le vertige de la liberté. » Le 14 juillet 1793, dans une prairie proche de Tübingen, un groupe d’élèves du Stift a planté un arbre de la liberté : Hegel, Hölderlin et Schelling étaient là. Schelling passe même pour avoir écrit une version allemande de la Marseillaise.

Schiller, Souabe, lui aussi et à qui Hölderlin a rendu visite en septembre 1793, n’avait probablement plus à cette date les mêmes espoirs qu’en 1790, mais il demeurait l’auteur de Don Carlos. Après avoir lu cette pièce, Hölderlin écrivait à son frère, paraphrasant Schiller : « Mon amour va au genre humain [...] aux hommes des siècles à venir [...]. La liberté viendra et la vertu fleurira au soleil de la liberté, mieux que dans l’atmosphère glacée du despotisme. »