Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hittites (suite)

La civilisation hittite à l’époque impériale

Si elle continue celle de l’Ancien Royaume, la civilisation des xive et xiiie s. paraît, cependant, davantage marquée par le caractère du cadre politique : un empire fédératif qui réunit des États appartenant à des unités culturelles et linguistiques variées. C’est une civilisation composite, comme peut l’être celle d’un peuple guerrier qui domine des voisins souvent plus évolués que lui et copie les institutions des pays qui sont arrivés avant lui au stade de l’empire (Égypte, Mitanni, Babylonie).

En dehors des sources étrangères, textes provenant de l’Égypte, d’Ougarit, d’Assour ou de la Babylonie, nous connaissons la civilisation hittite essentiellement par les fouilles de la capitale, qui ont livré, entre autres trouvailles, les seules archives connues pour le Hatti. Les dizaines de milliers de tablettes de Hattousa, écrites en cunéiformes, contiennent des annales (les moins conventionnelles de tout l’Orient), des traités et des serments d’alliance, des lettres d’officiers au roi, des lois et des minutes de procès, des cadastres, des rituels. Ces derniers sont rédigés en sept langues (hatti du IIIe millénaire, nésite, louvite, palaïte, hourrite, akkadien, sumérien), vivantes ou mortes, qui sont celles des peuples dont les dieux sont honorés à Hattousa. Les textes officiels sur tablettes n’emploient que le nésite ou l’akkadien ; mais, à partir du xve s., les rois hittites utilisent pour leurs inscriptions monumentales et pour leurs sceaux les hiéroglyphes hittites, une écriture syllabique faite de signes figuratifs, qui est apparue au xvie s. au Kizzouwatna et qui transcrit un dialecte louvite ; aussi les spécialistes en viennent-ils à se demander si le nésite n’était pas dès le xive s. une langue morte remplacée dans l’usage courant par le louvite des « hiéroglyphes ».

Qu’il s’agisse de cette dernière écriture, que l’on commence à peine à déchiffrer, ou même des tablettes cunéiformes de Hattousa, où le nésite est constellé d’idéogrammes énigmatiques, la compréhension de ces textes est loin d’être parfaite, et l’on a encore beaucoup de mal à définir l’originalité des éléments de la civilisation hittite. C’est le cas, en particulier, pour la société, surtout connue à travers les deux codes retrouvés et pour l’étude de laquelle on ne possède aucun document privé. La répartition des terres paraît s’effectuer essentiellement d’après le principe du « domaine de fonction » : c’est par ce moyen que le roi rémunère les services des guerriers (charriers et fantassins) et des gens du palais, qui constituent une aristocratie hiérarchisée ; ces personnages et aussi les « communautés villageoises concèdent à leur tour aux cultivateurs des terres sur lesquelles pèse l’obligation des corvées et des redevances. La société comprend d’autre part des citadins, dont les villes sont administrées par des conseils d’Anciens, et de nombreux esclaves, qui ont la personnalité juridique, mais dépendent d’un maître qui a sur eux le droit de vie et de mort. Enfin, au moins à l’époque impériale (que l’on connaît mieux), toute la population est soumise à l’autorité absolue, encore assez humaine, du roi, qui, à l’exemple du pharaon, se fait appeler « Mon Soleil » depuis le xve s. et reçoit après sa mort les honneurs divins.

Il vaut donc mieux ne pas employer le vocabulaire de la féodalité du Moyen Âge européen pour décrire cette société et l’organisation de cet Empire, qui, elle aussi, s’apparente aux institutions traditionnelles du monde mésopotamien. Le Grand Roi du Hatti domine une foule d’autres rois, au domaine d’importance variée, qui lui sont liés par les termes d’un traité juré par les deux parties : en échange de sa protection, ces rois dépendants renoncent à toute diplomatie personnelle, fournissent un contingent à l’armée du Hatti et viennent chaque année, à Hattousa, porter le tribut et renouveler les serments qui les engagent à l’égard de leur souverain. Comme nous l’avons vu, les spécialistes ne connaissent pas encore très bien la géographie politique de l’Anatolie à l’époque hittite et ne savent pas jusqu’où, dans la direction de l’ouest, s’étendait la domination impériale ; mais, à coup sûr, elle couvrait une aire disproportionnée à l’étendue et à la population du Hatti, dont les rois avaient dû recourir au système fédéral, qui, seul, leur permettait de maintenir leur autorité aussi loin.

La structure politique de l’Empire se retrouve dans sa religion, qui honore les dieux des différentes communautés politiques suivant les rites locaux et ignore le syncrétisme. Cependant, les reliefs du sanctuaire rupestre de Yazilikaya, près de la capitale, montrent un panthéon officiel réformé et simplifié sous une influence hourrite à l’époque de Toudhaliya IV : les divinités, sous des aspects anthropomorphiques et parfois accompagnées de leurs animaux symboliques, sont désignées par des noms hourrites ou des idéogrammes. Dans le Hatti, les principaux rites ne peuvent être accomplis que par le roi, qui doit renoncer à diriger son armée au moment des grandes fêtes. Ces cérémonies se déroulent soit dans des sanctuaires de plein air, aux gorges ou aux sources d’aspect remarquable, soit dans des temples, comme les cinq édifices retrouvés à Hattousa, dont le plus important est dédié au dieu de l’Orage de Hatti et à la déesse Soleil d’Arinna (une cité voisine). C’est pour les dieux et pour les souverains que l’art hittite, surtout connu par les trouvailles de Hattousa, a réalisé ses principales œuvres : les temples et les sanctuaires, les palais et les fortifications ainsi que les reliefs qui les ornent. La richesse de l’Anatolie en pierre et particulièrement en roches dures d’origine volcanique contribue à l’originalité de l’architecture, qui les emploie pour les fondations cyclopéennes et pour les orthostates, sans renoncer aux matériaux traditionnels, la brique et le cadre de bois. Outre les orthostates, les salles à colonnes de bois sur base de pierre et les grandes fenêtres partant du sol caractérisent les palais hittites, influencés par l’art de la Syrie septentrionale. Les reliefs, généralement peu marqués et frustes, sont souvent lourds et peu esthétiques, et seul le dieu de l’Orage de la Porte du Roi à Hattousa atteint le grand art. Mais les activités traditionnelles de l’Anatolie centrale (glyptique, bronze, céramique) manifestent plus d’habileté et de goût.