Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hispano-américaines (littératures) (suite)

Le réalisme

La production littéraire de la seconde moitié du xixe s. reflète les divers efforts faits pour dégager l’originalité propre du continent américain et de sa culture. Si, dans les pays de La Plata, les gauchesques se tournent vers le folklore et les traditions autochtones, parallèlement de nombreux prosateurs choisissent de décrire la réalité nationale selon les procédés du réalisme ou du naturalisme, surtout d’origine française.

C’est le cas du Chilien Alberto Blest Gana (1830-1920). Comme Balzac, à qui il doit sa vocation littéraire, il est le peintre de la société de son pays : son œuvre est une vaste fresque dont le point de départ se situe au temps de l’indépendance et qui s’étend jusqu’au début du xxe s. Elle est à l’origine de tout le mouvement romanesque chilien.

Aucun écrivain de l’époque n’aura les dons d’observation et le sens de la technique romanesque de Blest Gana. Mais le courant réaliste va s’étendre rapidement. En Colombie, notamment, il rejoindra la tradition du costumbrismo avec Tomás Carrasquilla (1858-1940) et José Manuel Marroquín (1827-1908).

Le naturalisme, introduit en Argentine par Eugenio Cambacérès (1843-1888), aura aussi ses disciples en Amérique latine. Ainsi, Santa (1903), du Mexicain Federico Gamboa (1864-1939), est une réplique tardive de la Nana de Zola, comme l’est Sister Carrie, de T. Dreiser.


Un air nouveau : le modernisme

1880 : dans une Amérique encore mal remise des dures années de lutte pour son indépendance se lève une nouvelle génération d’écrivains, tous animés d’une même volonté de rompre avec la passé. On croirait entendre chez eux le « À la fin tu es las de ce monde ancien » d’Apollinaire. Ce monde, c’est un monde cloisonné de nations encore aux mains de dictateurs, un monde que commencent à envahir les capitaux étrangers, un monde intellectuellement terne et routinier, où, à quelques exceptions près, le peintre, l’architecte, l’écrivain se contentent d’imiter ce qui se fait en Europe et plus particulièrement en France. Jamais comme vers 1880 l’influence française n’a été si forte en Amérique latine. C’est l’époque où Paris attire tous les regards : les lettrés y vont en pèlerinage pour aiguiser leur esprit ; les parvenus, les fameux « rastaquouères », enrichis dans le négoce du cuir, de blé ou du guano, y vont dilapider superbement leur fortune. Les « années folles » de l’Amérique latine, qui s’étendent jusqu’à la veille de la Grande Guerre environ, auront leurs écrivains, tels Enrique Gómez Carrillo (1873-1927), le plus « parisien » des Guatémaltèques, ou encore Alberto Blest Gana, qui, dans son roman Los trasplantados [les Déracinés] (1904), met en scène une famille de Chiliens établis à Paris, dont les fêtes et les excentricités préfigurent celles des héros de The Sun also rises (Le soleil se lève aussi), d’Hemingway... Du dégoût que cette société et son prosaïsme inspirent aux jeunes représentants de la génération nouvelle et en réaction contre l’embourgeoisement de la culture, l’académisme des néo-classiques, les outrances des derniers romantiques, le manque de raffinement des réalistes va naître le modernisme, « grand mouvement d’enthousiasme et de liberté vers la beauté », comme le définit le poète espagnol Juan Ramón Jiménez*. Une fois encore, c’est en France qu’il faut chercher les principales sources de ce mouvement : chez Hugo, chez Baudelaire, chez les parnassiens et les symbolistes surtout, qui sont les initiateurs des modernistes à un amour quasi mystique du Beau et au culte de la forme. Mais il faut ajouter d’autres sources ; prenant, avec un éclectisme magistral, leur bien partout où ils trouvent ce qui convient à leur sensibilité affinée et à leur esprit novateur, les modernistes vont emprunter à l’Antiquité, aux Espagnols de l’âge baroque, à l’Orient, aux mythologies Scandinaves, aux romantiques allemands, contractant également une dette envers Poe et Whitman. Aussi est-ce un univers cosmopolite et scintillant qui naîtra sous la plume de ces écrivains, un univers peuplé de dieux, de nymphes, de centaures, de marquises, de mandarins, de mousmés, véritable refuge contre une réalité jugée vulgaire. Enfin, bouleversant la vieille rhétorique castillane, les modernistes seront les rénovateurs de la langue : l’espagnol, figé depuis Góngora, va devenir harmonieux, pur et nuancé, riche en images inattendues, en sonorités inouïes. Et c’est ainsi que, pour la première fois, l’Amérique donnera le ton à la mère patrie. À une époque où celle-ci va perdre ses dernières colonies (1898), le modernisme, faisant le chemin inverse des conquistadores, conquerra la Péninsule, où il sera accueilli par des écrivains de la taille de Juan Ramón Jiménez, de Machado*, de Valle Inclán*..., qui contribueront à lui donner une dimension universelle.

Le modernisme culminera avec Darío*, puis s’acheminera vers une inspiration moins éthérée et plus américaine.


La poésie de l’après-guerre

Lorsque Rubén Darío meurt, en 1916, peu après avoir adressé des vers enflammés à la France meurtrie et à Paris, « chère Lutèce », le modernisme achève sa brillante carrière. L’Amérique latine va alors entrer dans une ère nouvelle, marquée par sa volonté croissante d’indépendance culturelle vis-à-vis de l’Europe. La génération des poètes de l’après-guerre restera particulièrement attentive à toutes les tendances venues d’outre-Atlantique et s’en tiendra souvent à des formules qui font écho à celles d’Europe. Ce sera le temps des -ismes : futurisme, dadaïsme, surréalisme, etc., engendrant d’autres -ismes. Cette époque, fertile en revues d’avant-garde — Martín Fierro en Argentine, Contemporáneos au Mexique notamment —, en manifestes, en tracts, verra proliférer les écoles, les chapelles, les mouvements. Qu’elle soit seulement préoccupée d’esthétique ou qu’elle soit militante, la poésie nouvelle se voudra surtout libre de toute contrainte prosodique. Au cours des années, se fera plus apparente cette double direction de la poésie vers un lyrisme pur ou vers une expression chargée d’intentions politiques.