Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Herzen (Aleksandr Ivanovitch)

Écrivain russe (Moscou 1812 - Paris 1870).


Herzen voyait loin, et de loin ; contre l’apathie, l’égoïsme et la myopie de la noblesse russe, il a lancé d’Angleterre, où il vivait exilé, des appels à la révolution socialiste. Avec Kolokol (la Cloche), son journal de propagande publié à Londres de 1857 à 1868, il dénonçait les injustices et la corruption de son pays, au point que le tsar lui-même trouvait dans cette revue clandestinement diffusée en Russie plus de renseignements que dans tous les rapports de son administration. Mais en même temps, au nom du réalisme et de l’honnêteté intellectuelle, l’écrivain se défiait des faux prophètes de la liberté et des préjugés de l’idéalisme révolutionnaire ; et il jugeait sévèrement tous les systèmes.

Au fond, Herzen est une sorte de sceptique qui aurait la foi, de romantique qui croirait à la mentalité positiviste et scientifique de l’Europe, d’aristocrate défroqué, encore imprégné du passé. Son expérience humaine et sa confiance dans les forces fraîches du peuple russe lui inspirent des accents vibrants d’émotion ; mais il sait aussi analyser les concepts de démocratie et de république, et il manie avec vigueur le fouet de l’ironie. D’où cette prose vivante et belle de Byloïe i doumy (Passé et pensées, 1852-1868) ou de De l’autre rive, dont l’édition en allemand (1850) précède de cinq ans l’édition en langue russe, tantôt tendre et spontanée, tantôt éloquente, tantôt abstraite, mais toujours mouvante.

Sans doute Herzen doit-il à sa double hérédité ce mélange de tendances contradictoires. Il est le fils naturel d’un noble russe, I. A. Iakovlev, chez lequel sa mère, allemande, sert d’institutrice. Il reçoit une éducation très soignée comme celle d’un fils de gentilhomme et, auprès d’un précepteur français « Jacobin terroriste », puis d’un séminariste russe, il découvre les deux pôles de sa pensée.

Il a treize ans lorsqu’il se lie d’amitié avec le jeune Nikolaï Ogarev (1813-1877), avec qui il partagera toutes ses convictions. Les deux jeunes gens, qui fréquentent l’université de Moscou, fondent un cercle d’étude des idées socialistes ; mais, en juin 1834, Herzen est arrêté avec ses camarades et exilé en province en qualité de fonctionnaire. Après un romantique mariage secret, il revient en 1840 à Moscou, où il commence à tenir une place de premier plan, grâce à une série d’articles sur le progrès et les sciences naturelles, qu’il publie sous le nom d’Iskander. À cette même époque, il s’essaie à la nouvelle et au roman (Soroka-Vrōvka, la Pie voleuse [1848] ; Kto vinovat ?, À qui la faute ? [1847]), où il manifeste ses dons d’observation et de finesse psychologique, mettant l’accent sur cette irresponsabilité des êtres face à l’existence qui fait de la société un corps malade. À qui la faute ? compte plus comme date de l’histoire sociale que comme chef-d’œuvre littéraire.

Le sol natal n’est pas sûr pour les écrivains engagés dans l’opposition ; Herzen, après avoir touché un important héritage de son père et obtenu non sans mal un passeport, quitte la Russie et se rend à Paris, où il assistera à la révolution de février 1848 et où il écrit les célèbres Lettres de l’avenue Marigny (1847). Son enthousiasme, son adhésion à la cause socialiste, son intérêt pour le saint-simonisme lui interdisent désormais tout retour en arrière et le rendent même indésirable en France, après la victoire de Cavaignac. C’est alors la vie de proscrit, partagée entre la Suisse, Rome et l’Angleterre, d’où il mène le combat : son arme, la propagande, jouera un grand rôle dans l’évolution de la Russie et contribuera à l’abolition du servage. Mais, à partir de 1861, son influence décline, débordée par celle des jeunes radicaux.

Le socialisme que préconise Herzen n’est ni une doctrine figée ni un programme, mais plutôt une sorte d’intuition historique, un levain qui doit remuer la pâte humaine et détruire les cellules mortes des sociétés capitalistes. Aux théoriciens du déterminisme ou de la prédétermination de l’histoire, il oppose la « force créatrice du devenir » (D. S. Mirsky), et son honnêteté intellectuelle le protège de tout sectarisme : occidentaliste, Herzen a conservé son estime pour des slavophiles, chez lesquels il puise sa confiance dans le peuple russe, confiance telle que la communauté villageoise (obchtchina) devient pour lui la base du socialisme agraire.

Bien des détails, certes, bien des théories, bien des interprétations historiques apparaissent démodés aujourd’hui et même erronés. Mais cette forme d’interrogation désintéressée sur l’histoire de l’humanité, où l’espérance se tempère d’ironie et s’appuie sur l’analyse, offre une démarche aussi riche d’intérêt aujourd’hui qu’au xixe s. Parlant de l’autobiographie de Herzen, Passé et pensées, Tourgueniev avouait : « Sa langue, follement incorrecte, me ravit ; c’est de la chair vivante. » De fait, si variés de ton soient-ils, tous ces récits, diatribes politiques ou confidences, sont des morceaux de « chair vivante ».

S. M.-B.

 O. von Sperber, Die sozialpolitischen Ideen Alexander Herzens (Leipzig, 1894). / R. Labry, Alexandre Ivanovič Herzen (Bossard, 1930). / J. El ‘Sberg, A. I. Herzen (en russe, Moscou, 1951). / M. Malia, Alexander Herzen and the Birth of Russian Socialism, 1812-1855 (Cambridge, Mass., 1961). / E. Reissner, Alexander Herzen in Deutschland (Berlin, 1963).

Herzl (Theodor)

Promoteur du sionisme politique et fondateur de l’Organisation sioniste mondiale en vue de favoriser le retour des Juifs persécutés en Palestine (Budapest 1860 - Edlach, Autriche, 1904).



Introduction

Herzl fait des études de droit à Vienne (Autriche) mais commence, à partir de 1884, une carrière littéraire. Comme correspondant à Paris de la Neue freie Presse de Vienne, de 1891 à 1896, il décrit dans ses feuilletons (parus en trois volumes à Berlin en 1911) la vie politique française de cette époque. Assistant au procès du capitaine Dreyfus en 1894, Herzl est profondément bouleversé par les manifestations d’antisémitisme dans cette France dont il a tant admiré l’humanisme et le libéralisme. Soudain, le problème juif se révèle à Herzl dans toute son acuité.