Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hellénistique (monde) (suite)

La puissance de ces rois est ainsi quasi infinie, en théorie du moins, car, si les Lagides administrent leurs possessions comme on peut le faire d’un jardin, grâce à une armée de fonctionnaires, il est bien difficile aux rois séleucides et à ceux des autres dynasties de mobiliser leurs richesses ; leurs agents sont souvent difficiles à surveiller, et leurs défections sont fréquentes ; la distance, l’énorme inertie de pays trop vastes ou trop attachés à leurs traditions font qu’il n’est pas facile à ces rois de réunir l’immense masse de leurs armées, de profiter des immenses possibilités que la terre pourrait fournir. Aussi succomberont-ils facilement devant Rome, qui aura moins de peine à vaincre l’Orient quelle n’en eut à abattre Carthage.

Leurs États ne sont pas vraiment unifiés : ces rois règnent sur des communautés plus ou moins autonomes plutôt que sur des sujets (des peuples, des temples, des cités surtout). Sauf dans l’Égypte lagide, en effet, la cité grecque (ou hellénisée) joue un rôle important. Il ne s’agit pas d’un rôle politique : ce n’est plus, sauf Rhodes, un État capable de mener une action qui soit à l’échelle du monde nouveau, et il n’y a que les confédérations en vieille Grèce pour lui donner une véritable liberté en échange de la perte d’un peu d’autonomie. Le rôle est principalement civilisateur.

Les monarchies hellénistiques ne sont plus pourtant une école de vertu et de sacrifice. Les qualités qui avaient permis aux hoplites de Marathon de vaincre, à Athènes de dominer l’Égée ne sont plus sans doute de celles que l’on ambitionne d’imiter. En effet, le plus souvent, les vieilles constitutions n’existent plus, et le peuple, auquel on ne fournit pas les moyens de participer à la vie publique, ne peut acquérir le sens des responsabilités, le désir de servir l’État. Au contraire, il semble que le fier citoyen, devant la pauvreté qui l’étreint (surtout dans la Grèce d’Europe, désormais à l’écart des grands courants commerciaux, mais aussi en Asie Mineure, où la guerre provoque mille tourments), a eu un moment à choisir entre deux attitudes également fatales à l’esprit civique, entre le désir d’être assisté par des riches qui dépensent leur fortune en actes d’évergétisme (achats de blé distribué à prix réduits, fondations) et la révolte stérile, qui ne peut qu’accélérer les interventions de puissances extérieures appelées par le parti des possédants inquiets.

Les cités ne sont pas non plus des maîtres qui assument la responsabilité de la vie présente et future des citoyens comme l’étaient les cités classiques, qui faisaient participer ceux-ci à une vie religieuse qu’elles étaient seules à ordonner, avec des sacrifices pour le temps présent et des mystères donnant (comme à Eleusis) des entrées dans l’au-delà. Désormais, le citoyen est invité souvent à sacrifier pour des dieux, proches sans doute, mais extérieurs à sa ville : les rois, qui peuvent supplanter les Olympiens, auxquels on avait fait confiance. Seul, par ailleurs, dans des cités qui ne sont parfois plus, déjà, à l’échelle humaine (Antioche, Alexandrie), il cherche son salut individuellement dans la célébration de cultes ésotériques (cultes de Sérapis, de Dionysos...), auxquels il participe par l’intermédiaire de sociétés plus ou moins secrètes, plus ou moins interdites, car la cité, organe totalitaire, sait combien l’individualisme est dangereux.

Les cités ne sont guère que des municipalités, qui collectent au nom d’un roi les impôts, servent d’organes qui participent à la concertation nécessaire avec les pouvoirs centraux, mais la médiocrité apparente de leur situation ne doit pas faire oublier combien il est important que la forme politique se soit imposée jusqu’à l’Indus, que les rois n’aient cessé de favoriser la fondation de cités neuves, d’en reconstruire lorsque les abattait quelque tremblement de terre, permettant à la civilisation de la parole de s’implanter partout où ils régnèrent, et que l’on ait pu méditer tout au bord de l’Inde les maximes de Delphes et discuter sur l’agora des problèmes d’une communauté franche.

Il est bien certain que l’hellénisme ne touche guère qu’une petite partie des populations barbares et que l’Asie, effleurée par les conquêtes d’Alexandre et l’administration séleucide, continua de vivre la vie de ses ancêtres. Pourtant la présence grecque en pays barbare prépara l’unification du bassin de la Méditerranée (tout en assurant des liens avec l’Orient), qui sera réalisée quand, en 212 apr. J.-C., toutes races et origines confondues, tous les habitants de l’Empire romain, l’héritier des empires hellénistiques, seront devenus des citoyens de Rome.


Rome et la fin du monde hellénistique

Rome ne s’occupait guère des affaires d’Orient. Il fallut que Philippe V, roi de Macédoine (221-179 av. J.-C.), la provoquât en faisant alliance avec Hannibal* pour qu’elle fût contrainte à agir.

Pour empêcher le roi de passer en Italie, les Romains cherchèrent à lui susciter en Grèce même des troubles qui pussent l’occuper. En 212 av. J.-C., ils s’allièrent avec les Étoliens et les poussèrent à la guerre. Dès que le risque de jonction entre Philippe V et Hannibal se fut estompé, ils abandonnèrent toute opération, et leurs alliés, délaissés, cessèrent le combat (206). Ils n’en signèrent pas moins, pour mettre un terme à cette première guerre de Macédoine (216-205), un traité de paix qui permettait pour l’avenir toutes sortes de développements intéressants, éventuellement une nouvelle intervention.

C’est en 200 que le sénat songea à revenir en Grèce ; il fallait, selon lui, protéger en Orient les alliés de Rome (ceux qui avaient contresigné la paix de 205) des ambitions dévorantes du roi de Macédoine, mais il fallait surtout trouver à employer généraux et soldats, que la victoire sur Carthage avait rendus à une vie civile qu’ils n’appréciaient guère. En 198, Titus Quinctius Flamininus (229-174 av. J.-C.) prit le commandement des troupes. Il remporta (juin 197) la victoire de Cynoscéphales et dicta ses conditions : Philippe V devait abandonner ses possessions en Grèce. Flamininus put se vanter ainsi d’avoir assuré la liberté des Hellènes. Une commission sénatoriale vint s’en assurer, et, en 196 av. J.-C., lors des jeux Isthmiques, Flamininus proclama que le sénat des Romains et le consul Titus Quinctius, ayant vaincu le roi Philippe V et les Macédoniens, laissaient libres, exempts de garnison et de tributs, et soumis à leurs lois ancestrales, les peuples suivants : les Corinthiens, les Phocidiens, les Locriens, les Eubéens, les Achéens Phtiotes, les Magnètes, les Thessaliens et les Perrhaibes ; pour les autres Grecs, la liberté allait de soi. Ainsi, Rome s’imposait comme le patron des Grecs ; elle avait à jamais pris son rang dans le monde des rois, à leur niveau. Antiochos III Megas dut bientôt, à son tour, s’incliner devant leur puissance. Trop fort pour ne pas inquiéter Rome (il venait de vaincre l’Iran et de dompter les Lagides), il n’avait pas hésité à recevoir à sa cour, à Antioche, Hannibal. En 192, il s’allia aux Étoliens, déçus par la politique de Rome en Grèce. Rome se dut d’intervenir ; les légions passèrent en Asie sous le commandement de Scipion l’Asiatique, en plein cœur de l’hiver ; elles firent leur jonction avec les troupes d’Eumenês II, roi de Pergame ; contre une armée bien supérieure en nombre (qui alignait de surcroît 64 éléphants d’Asie), les Romains remportèrent une nette victoire (au début de 189 av. J.-C.). Par le traité d’Apamée, Antiochos III renonça à l’Asie Mineure, s’engagea à payer une lourde indemnité, à livrer ses éléphants et ses navires. Les alliés de Rome (Pergame et Rhodes) se partagèrent les dépouilles. Ce n’était plus suivre la politique de Flamininus, mais c’était encore un moyen pour Rome d’échapper aux charges de l’administration directe en confiant à des clients le contrôle des zones arrachées à ses rivaux.