Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hébert (Jacques) (suite)

De 1790 à 1793, l’importance de son action politique comme une partie de son existence nous échappent. Les sources qui permettraient de combler cette lacune biographique ont disparu dans les incendies de 1871. Modéré en 1790, il abandonne l’année suivante le parti de ceux qui veulent un impossible compromis avec l’aristocratie ; il rejoint aux Cordeliers ceux qui cherchent à radicaliser la Révolution bourgeoise. Ni terne ni brillante, son action lui vaudra d’occuper le poste de substitut du procureur de la Commune de Paris.

C’est à l’époque de la Convention que son action va pleinement se développer. Jusqu’en août 1793, il soutient les efforts des Montagnards. Engagés dans une lutte contre les Girondins, ceux-ci sont soucieux de maintenir l’alliance avec la bourgeoisie ; aussi sacrifient-ils à cette politique les réclamations des sans-culottes pour un contrôle du commerce. Avec la mort de Marat et la crise de l’été 93, durant laquelle les problèmes sociaux et politiques se font plus aigus et plus forte la poussée populaire, l’attitude d’Hébert se modifie. Tout en continuant à rester séparé des « enragés », il se dissocie de la bourgeoisie montagnarde et pousse aux mesures extrêmes.

À partir de septembre, la volonté d’Hébert de faire dévier les exigences terroristes des masses populaires vers le seul plan politique se précise et apparaît clairement lors des journées des 4 et 5 septembre 1793, où les sans-culottes contraignent la Convention « à s’engager dans la voie de la Terreur et de l’économie dirigée ».

De septembre 1793 à janvier 1794, Hébert continue à faire pression sur le gouvernement pour l’application de la Terreur. Par l’intermédiaire de son journal, il diffuse les idées de défense populaire contre les traîtres et exige la répression contre Marie-Antoinette, les ci-devant et les fédéralistes. Il réclame l’épuration des administrations, des comités révolutionnaires et de l’armée, où son journal est expédié par les soins du ministre de la Guerre, J.-B. Bouchotte (1754-1840). Il aide le gouvernement révolutionnaire à se débarrasser des enragés, mais il reprend leur politique de déchristianisation. Il attaque d’ailleurs plus le clergé et l’Église que la religion et il accepte, en définitive, le coup d’arrêt donné par Robespierre* le 6 décembre (décret sur la liberté des cultes). Le gouvernement révolutionnaire se renforce et met fin à l’autonomie des sections de Paris ; il limite ainsi les possibilités d’action d’Hébert. À la fin de décembre et au début de janvier, ce dernier doit faire face aux attaques des « indulgents », et tout particulièrement de Camille Desmoulins, qui utilise à cette fin son journal, le Vieux Cordelier.

En ventôse an II (févr.-mars 1794), la réglementation se révèle inefficace : le prix du pain s’élève tandis que la plupart des salaires des artisans baissent. Hébert utilise le mécontentement populaire. Il s’en sert d’abord dans sa contre-offensive contre les indulgents. En février, il dénonce le complot abominable qu’ils mènent « contre les bougres à poil qui ont fait la révolution du 31 mai » qui chassa les Girondins.

Mais il ne ménage pas non plus les membres du gouvernement révolutionnaire. Il dénonce l’insuffisance des décrets de ventôse, que les robespierristes ont pris pour affaiblir la colère populaire. Le 4 mars, stimulé par l’atmosphère d’insurrection qui règne au club des Cordeliers, il renouvelle ses attaques contre les indulgents, mais aussi, en termes à peine voilés, contre Robespierre.

« Une faction veut anéantir les droits du peuple. Quels sont les moyens de nous en délivrer ? L’insurrection. » En fait, il n’a prévu aucun moyen pour prendre le pouvoir, et les masses populaires, qui dénoncent plus la cherté de la vie que le modérantisme de certains des conventionnels, hésitent à le suivre. Le gouvernement révolutionnaire passe à l’action, et, dans la nuit du 23 au 24 ventôse, Hébert et les principaux chefs des Cordeliers sont mis en état d’arrestation. Ils seront condamnés à mort et exécutés, comme agents de l’étranger, dix jours plus tard (24 mars).

Hébert a été l’un des meilleurs porte-parole de la sans-culotterie. Plus qu’aucun autre, il a su en traduire les angoisses, et d’abord celle du consommateur, qui, en face de la vie chère, est prêt à accuser de contre-révolution le riche négociant.

« La patrie, foutre, les négociants n’en ont point. Tant qu’ils ont cru que la Révolution leur serait utile, ils l’ont soutenue ; ils ont prêté la main aux sans-culottes pour détruire la noblesse et les parlements ; mais c’était pour se mettre à la place des aristocrates... Tous ces jean-foutre nous ont tourné casaque et ils emploient le vert et le sec pour détruire la République. »

Il a aidé la sans-culotterie à exprimer ce qu’elle sentait parfois confusément et il a su systématiser ses aspirations en un programme cohérent qu’il a été capable de diffuser assez largement.

« Tandis que d’une main vous tenez la foudre, dira-t-il aux députés montagnards, pour écraser les despotes et leurs vils esclaves, tendez l’autre aux malheureux, assurez du travail à tous les citoyens, accordez des secours aux vieillards et aux infirmes, et pour couronner votre ouvrage, organisez promptement l’instruction publique. »

Mais faut-il pour cela faire d’Hébert le guide de tout ce monde de l’échoppe et de la boutique qui pousse en avant la révolution bourgeoise ? Les recherches les plus récentes interdisent de confondre sans-culottisme et hébertisme. Les idées d’Hébert sur le droit à l’existence, le droit au travail, à l’assistance et à l’éducation sont en fait celles que ces masses populaires en révolution créent depuis quatre ans sans savoir toujours les formuler. Faire de ce journaliste brillant, qui ne fut qu’un piètre homme d’action en politique, le personnage central du mouvement populaire, « c’est lui donner une consistance politique qu’il n’eut pas et fausser la perspective historique » (A. Soboul).

J.-P. B.

➙ Convention nationale / Jacobins / Révolution française.