Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hampton (Lionel) (suite)

Personnalité volcanique à l’imagination intarissable, Hampton est surtout un paraphraseur très véloce, produisant de foisonnantes gerbes de notes en tempo rapide ou en tempo lent, des arabesques lyriques et séduisantes toujours habilement situées au niveau rythmique afin de favoriser le phénomène du swing, qui est essentiel dans le pouvoir de charme de sa musique. Son grand orchestre est un écrin pour mettre en valeur ses solos. Des riffs simples viennent renforcer l’effet de choc et sollicitent la transe des foules par des procédés incantatoires qui annoncent le « rock and roll » des années 50. Ainsi, Hampton est non seulement l’un des plus brillants parmi les solistes de la génération du middle jazz, mais aussi l’idole d’un public plus large, ce qui lui autorise de longs séjours dans les music-halls (l’Olympia de Paris notamment) au même titre que les vedettes de la chanson. Au piano, dont il se sert comme d’un vibraphone, ou à la batterie, il se montre toujours explosif, bouillonnant de vitalité ; il cherche sans cesse à extérioriser le trop-plein d’un tempérament qui sollicite essentiellement le caractère paroxystique de la musique improvisée.

F. T.

Hamsun (Knut)

Romancier norvégien, de son vrai nom Knut Pedersen (Garmostraeet, près de Lom, Gudbrandsdal, 1859 - Nörholm, près de Grimstad, 1952).


Le 22 février 1946, l’information suivante parut dans la presse norvégienne : « L’auteur Knut Hamsun est accusé d’avoir contrevenu au paragraphe 86 (première partie) du Code pénal (haute trahison). L’accusation comprend l’affiliation au national-socialisme allemand et propagande étendue et pernicieuse dans la presse au profit du national-socialisme et des Allemands et contre les autorités légales norvégiennes. À la demande du procureur, Hamsun a subi un examen mental à la clinique psychiatrique de [...]. Les experts sont arrivés aux conclusions suivantes : 1o Nous ne considérons pas que Knut Hamsun souffre de maladie mentale et nous présumons qu’il n’en souffrait pas à l’époque où ont été commis les actes sur lesquels porte l’accusation ; 2o Nous le considérons comme une personne appartenant à la catégorie des « aveugles moraux » (varig svekkede sjelsevner). »

Hamsun a alors quatre-vingt-sept ans. Il est l’un des plus grands écrivains de la littérature norvégienne de cette première moitié du siècle et il a été jusqu’à la guerre l’objet de la fierté nationale ; en 1920, il a reçu le prix Nobel. Homme changeant, impatient, à la sensibilité frémissante, mais aussi fidèle à ses origines et à sa ligne de conduite, il est l’individualiste par excellence et avant tout le poète de l’âme, de ses mouvements inconséquents et raisonnés, de sa puissance d’inspiration, des gouffres insondables de ses secrets. Il ne reniera pas le parti pris philosophico-politique de sa vieillesse et le livre qu’il publiera en 1949, På gjengrodde Stíer (Sur des sentiers perdus), prouvera que ses facultés intellectuelles et mentales sont entières : il refusera l’excuse d’irresponsabilité.

Son œuvre montre sa prédilection pour une totale subjectivité de l’individu (le culte des qualités sublimes chez l’homme), prédilection qui débouche sur une voie antilibérale (dans le domaine politique). Sa passion pour la vie l’amène à rejeter la bourgeoisie anémique, et il ridiculise la démocratie et son système politique. En fait, le mot masse n’a pas de sens pour lui ; Hamsun est tout à l’individu, il aime la vitalité, la vie et les forces fondamentales : l’âme et la terre. C’est, comme il l’écrit, « la logique subjective de mon sang ». On le dit néo-romantique. Mais il crée la notion d’un réalisme de la pensée. La « subjectivité » de son œuvre rend les personnages particulièrement vivants. Leur dimension dépasse celle de l’homme. Elle exagère et, en cela, clarifie le mécanisme et la réalité de l’âme. André Gide dit à propos du livre le plus « subjectif » de Hamsun, la Faim : « Notre culture méditerranéenne a dressé dans notre esprit des garde-fous dont nous avons le plus grand mal à secouer enfin les barrières ; et c’est là ce qui permettait à La Bruyère d’écrire, il y a deux siècles de cela : « Tout est dit. » Tandis que devant la Faim on est presque en droit de penser que, jusqu’à présent, presque rien n’est dit, au contraire, et que l’homme reste à découvrir. »

Hamsun passe son adolescence dans le Nordland, et la nature sauvage de cette région le marque de façon définitive : les étés clairs du Grand Nord, ses montagnes et ses forêts illuminées par la lumière limpide du jour automnal se retrouvent étroitement liés à la vie de l’homme dans son roman Pan. Élevé chez des parents éloignés, berger, Hamsun apprend, cependant, à aimer les livres, et sa vocation d’écrivain naît très tôt. Après avoir essayé divers métiers (maître d’école, cantonnier, portier, etc.), il se retrouve à Christiana (auj. Oslo), où il s’essaie à la littérature et où il connaît une période de misère et de faim. Il part alors pour l’Amérique, où il restera trois ans — travailleur agricole, conducteur de tramway à Chicago et aussi conférencier. À la suite de son séjour, il fait paraître en 1889 une critique violente, des États-Unis : De la vie intellectuelle de l’Amérique moderne.

Hamsun a trente ans quand il publie l’ouvrage qui le rend célèbre : la Faim (1890). Ce roman nous livre le spectacle d’un homme sans cesse sur le point de mourir de faim. Sa base est autobiographique. Dans une lettre du 8 décembre 1888, Hamsun écrit : « Lorsque j’étais pauvre, un pain de seigle de 20 øre (centimes) en deux jours était un ordinaire normal ; mais cet été cela ne se passait pas toujours de façon normale ; quelquefois c’en était bien fait de moi : j’avais mis au clou tout ce que j’avais, je ne mangeais pas pendant quatre jours et quatre nuits de suite, j’étais assis ici et mâchais des bouts d’allumettes. » La Faim ne comprend aucune attaque sociale. Hamsun y fait l’apologie du génie, dépeint l’abondance de l’imagination dans la misère, décrit le mystère des réactions nerveuses et émotionnelles. Le poète affamé du roman est un être asocial qui met en gage son seul gilet pour pouvoir donner de l’argent à un mendiant, qu’il insulte.