Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Haïti (république d’) (suite)

La littérature

V. francophones (littératures).

➙ Antilles / Dominicaine (république).

 J. A. Léger, Haïti, her History and her Detractors (New York, 1907). / M. J. Herskovits, Life in a Haitian Valley (New York, 1937 ; rééd., 1964). / P. I. R. James, The Black Jacobins : Toussaint-Louverture and the S. Domingo Revolution (New York, 1938 ; trad. fr. les Jacobins noirs, Gallimard, 1949). / R. Bastien, La familia rural haitiana (Mexico, 1951). / F. Duvalier et D. Lorimer, le Problème des classes à travers l’histoire d’Haïti (Haïti, 1959). / A. Métraux, le Vaudou haïtien (Gallimard, 1959 ; nouv. éd., 1968). / A. Césaire, Toussaint-Louverture, la Révolution française et le problème colonial (Club fr. du livre, 1960 ; nouv. éd., Présence africaine, 1962). / P. Moral, le Paysan haïtien (Maisonneuve et Larose, 1961). / H. Courlander et R. Bastien, Religion and Politics in Haïti (Washington, 1966). / G. Pierre-Charles, l’Économie haïtienne et sa voie de développement (Maisonneuve et Larose, 1967). / T. Lepkowski, Haïti (La Havane, 1968). / I. Béghin, W. Fougère et K. W. King, l’Alimentation et la nutrition en Haïti (P. U. F., 1970). / M. Bitter, Haïti (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1971).

Ḥakīm (Tawfīq al-)

Romancier et dramaturge égyptien (Le Caire 1898).


Né dans une famille aisée qui le destinait à la magistrature, Tawfīq al-Ḥakīm entreprend des études de droit qu’il achève à Paris après 1922. Sa formation française se confirme à la faveur des six années qu’il passe en France ; ses études juridiques sont alors loin de l’absorber tout entier, et il s’intéresse avec passion aux mouvements littéraires et artistiques ; ses lectures le poussent vers le symbolisme, et la découverte de Maeterlinck autant que celle de Lenormand le marquent profondément. De retour en Égypte, en 1928, il est toutefois accaparé par les obligations d’une carrière dans la magistrature ; heureuse circonstance d’ailleurs, puisque, de ses expériences, il tirera deux de ses romans les plus remarqués. Dès 1933 s’affirme en littérature sa double vocation. Cette année-là, il donne en effet un roman, l’Âme retrouvée, et un drame, les Dormants de la caverne, suivis en 1934 d’une pièce de même tendance, Schéhérazade. Al-Ḥakīm découvre peu à peu un public choisi, qu’il déconcerte et attire tout à la fois. Il cède bientôt totalement à sa vocation littéraire, et, s’il se montre parfois soucieux des problèmes de son temps, il le fait en essayiste, avec un détachement un peu hautain, et toujours prêt à retourner à sa solitude ; cette attitude se manifeste en particulier dans son livre sur le Genre littéraire (1952). Pour lui, le théâtre et le roman constituent donc de plus en plus ses vrais moyens d’expression. Dans l’Âme retrouvée, parue en 1933, il avait rappelé, sous une forme romancée, ce que devait être le réveil de la nation égyptienne. Quatre ans plus tard, dans le Journal d’un substitut de campagne, il décrit avec humour et avec un pessimisme sans agressivité la médiocrité de la vie rurale et la petitesse de ses misères quotidiennes. Avec Pygmalion (1942) et surtout avec Salomon le magicien (1943), Tawfīq al-Ḥakīm réussit à donner au drame symbolique tel qu’il le conçoit une forme qui le rend assimilable au public auquel il s’adresse ; dans cette dernière pièce, en particulier, les thèmes sont empruntés au fond oriental et au Coran, en même temps que se trouve posé le problème de la toute-puissance détenue par un surhomme qui a su dompter certaines forces redoutables et obscures ; dans la seconde édition de ce drame, en 1948, l’auteur revient dans une postface sur l’angoisse que fait surgir en lui la puissance atomique, évoquée sous forme de symbole par le règne de Salomon sur les génies de la terre. En présentant en 1949 au public égyptien le thème d’Œdipe roi, le dramaturge recourt une fois encore à une transposition : la tragédie grecque s’est dépouillée de sa spécificité, et, sous le voile transparent du symbole, le public de langue arabe retrouve ses propres angoisses devant le Destin. À partir de cette œuvre, Tawfīq al-Ḥakīm apparaît de plus en plus obsédé par la menace qui pèse sur le monde contemporain. Sans doute en 1959, dans le volume de souvenirs intitulé Magistrature et art, revient-il encore sur ses expériences de magistrat, mais ce n’est là qu’une pause. Dans le Roi indécis (1960 ; titre de la traduction française : J’ai choisi), le dramaturge philosophe reprend en effet le problème qui a hanté Einstein, Oppenheimer et tant d’autres : l’homme, par sa maîtrise grandissante sur la nature, par le progrès constant qu’il imprime à la science, est en voie de se détruire s’il ne sauve pas en lui ses valeurs morales et son sens de l’humain. Une attitude identique se retrouve quelques années plus tard dans une pièce à thèse : Du pain pour chaque bouche (1963), où l’auteur tente d’intéresser le public égyptien au problème de la faim dans le monde, en recourant à une forme symbolique volontairement naïve.

Chez Tawfīq al-Ḥakīm, le romancier se révèle essentiellement non comme un observateur, mais comme un esprit critique qui voit dans ses semblables des êtres dont la médiocrité ne saurait justifier ni le sarcasme ni la condamnation ; à cet égard, il n’est pas sans faire songer à Tchekhov. Dans son théâtre, Tawfīq al-Ḥakīm a été diversement jugé et suivi ; son attachement au symbolisme ne pouvait faire de lui un auteur prisé d’un large public ; en revanche, ses admirateurs ont découvert en lui l’écho de leurs inquiétudes et parfois la formulation des problèmes qui les obsèdent. Son style dramatique volontairement dépouillé et rebelle au flot de l’éloquence a été senti comme un trait original et propre à mettre en relief la pensée ainsi transmise. À la différence de ses contemporains plus jeunes, ce romancier dramaturge n’a point cédé à la pression du social et du politique ; il s’est refusé du même coup à l’évocation d’un réalisme et à l’obsession de thèmes qui eussent pu lui assurer un public plus large et plus avide d’engagement. Dans la littérature contemporaine en langue arabe, Tawfīq al-Ḥakīm fait figure d’un penseur épris à la fois de justice, de mesure et de respect pour l’art.

R. B.