Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Haïti (république d’) (suite)

La population et l’économie

La population avoisine aujourd’hui 5 millions d’habitants (densité dépassant 180 hab. au km2). La natalité est très élevée, de l’ordre de 40 à 50 p. 1 000. La mortalité a diminué, en particulier grâce à l’action des missions sanitaires internationales ou étrangères, mais elle demeure encore voisine de 20 p. 1 000 (la mortalité infantile est forte). La croissance naturelle est de l’ordre de 2 à 2,5 p. 100 par an. La population est rurale à plus de 80 p. 100. Port-au-Prince, la capitale, se développe très vite à cause de l’exode rural et doit dépasser 500 000 habitants avec ses banlieues. Faute de moyens financiers, cette belle ville s’est progressivement délabrée. C’est la seule grande ville. Le Cap-Haïtien (25 000 hab.) n’est qu’une cité déchue, et les autres agglomérations ne sont que de grosses bourgades commerciales et administratives.

La répartition de la population rurale est liée aux facteurs naturels et à l’histoire. La population est très dense sur les pentes humides ou aménagées. Dans les régions de l’Est, du plateau central, de la frontière, les densités sont moins élevées. Elles sont très faibles dans les régions sèches et dans les plaines abandonnées ; 50 p. 100 de la population rurale se concentrent sur 17 p. 100 du territoire.

Du point de vue ethnique et culturel, la population comprend 95 p. 100 de Noirs et 5 p. 100 de mulâtres (2 000 Blancs). Bien que la religion officielle soit le catholicisme, le culte vaudou a une importance fondamentale, dépassant largement le cadre religieux. L’alphabétisation n’est que partielle, moins du tiers des enfants scolarisables fréquentant une école ; aussi, le créole reste-t-il la langue de la masse, alors que le français n’est guère parlé que par une élite cultivée.

L’économie est dominée par une agriculture vivrière archaïque, à laquelle sont associées quelques cultures commerciales. Elle a peu changé depuis sa mise en place à la suite de l’effondrement de l’économie esclavagiste ; ses conditions se sont même aggravées, car les exploitations se sont morcelées. Le paysan est en général propriétaire de sa terre, mais celle-ci est trop petite et trop morcelée pour nourrir une famille nombreuse. L’exploitation moyenne a une superficie de 1,1 ha. Sur un petit lopin de terre, le paysan pratique une polyculture sans moyens techniques ; les instruments aratoires sont rudimentaires, et les façons culturales relèvent du jardinage. Les versants ne sont pas aménagés, ce qui explique, avec le déboisement, les ravages de l’érosion.

Le champ présente un aspect hirsute avec un fouillis indescriptible de plantes vivrières (racines et tubercules tropicaux, pois, légumes, maïs, arbres fruitiers, bananiers, pieds de canne à sucre, etc.), avec çà et là des pieds de caféiers que l’on cultive jusqu’à 1 700 m d’altitude. Le paysan consomme la moyenne partie de sa production et vend le surplus au marché voisin. Les rendements sont très faibles.

Bien souvent alors, le régime alimentaire est insuffisant, et, quand les conditions climatiques sont défavorables, les paysans peuvent être menacés par la famine. À côté des petites exploitations paysannes existent un certain nombre de grandes plantations, en général dans les plaines. On compte environ 1 000 propriétés de plus de 120 ha, appartenant à l’aristocratie locale. Partagées entre des métayers, elles sont en général mal exploitées et peu productives. Il existe aussi quelques grandes plantations étrangères. La Haitian American Sugar Company exploite un vaste domaine autour de Port-au-Prince et peut produire jusqu’à 70 000 t de sucre. D’autres compagnies cultivent le sisal.

Dans ce pays au relief ingrat et au climat capricieux, les aménagements restent disparates et limités, faute de capitaux. Le barrage de Peligre, qui permet d’irriguer 30 000 ha dans la vallée de l’Artibonite sur lesquels de petits paysans organisés en coopératives produisent 10 000 t de riz, est le seul exemple notable d’aménagement.

Haïti connaît une crise démographique et économique profonde. Le produit intérieur brut par habitant (assuré pour moitié par l’agriculture) a diminué de 1960 à 1970, tombant de 77 à moins de 70 dollars. Le café, qui fournit près de 60 p. 100 des exportations, a vu sa production régresser, passant de 44 000 t vers 1930 à 25 000 t. Celle du sucre est également en recul (60 000 t environ, dont la moitié peut être exportée aux États-Unis). Le sisal, 25 p. 100 des exportations, est aussi en crise (16 000 t). Le recul des cultures commerciales exportables n’est pas compensé par l’essor des mines ou des industries. Haïti possède des gisements de bauxite, exploités par la Reynolds Company, qui exporte 420 000 t de minerai. Des exportations de concentrés de cuivre ont commencé (9 000 t). Le pays manque d’énergie. L’électricité est rationnée (20 kWh par an et par habitant). Les industries sont disparates (occupant 2 p. 100 seulement de la population active) : une cimenterie, des usines de traitement des produits agricoles (la moitié des ouvriers travaillent dans les fibres), de confection. Beaucoup appartiennent aux Américains. Récemment, ceux-ci ont commencé à implanter, profitant du faible coût de la main-d’œuvre et de l’exemption de taxe, des industries légères plus ou moins liées au tourisme ou aux loisirs, destinées à l’exportation. L’artisanat local reste très archaïque. Le tourisme, qui a connu des débuts encourageants vers 1955, ne peut se développer dans des conditions politiques et avec un environnement défavorables. Les équipements collectifs sont dérisoires, les routes délabrées. Bien des campagnes habitées ne sont accessibles qu’à cheval ou à pied. On ne compte qu’une voiture de tourisme pour 700 habitants. La valeur du commerce extérieur ne dépasse pas 80 millions de dollars. Les capitaux et l’aide étrangère font défaut. Le niveau de vie est certainement l’un des plus bas d’Amérique latine. La population n’a même plus la ressource d’émigrer : la république Dominicaine a fermé sa frontière depuis longtemps, et Cuba ne reçoit plus d’ouvriers agricoles haïtiens depuis 1958. Seule l’élite cultivée, pourvue de diplômes, émigré, ce qui n’est pas l’un des moindres paradoxes de ce pays qui manque de cadres, alors que la masse du peuple est dans la misère.

J.-C. G.