Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hadrien (suite)

Ces voyages eurent des conséquences plus heureuses. L’empereur s’attaqua à une économie qui en était encore à un stade arriéré dans de nombreuses régions et chercha à améliorer le sort des paysans pour obtenir une meilleure production. Dès le début de son règne, il intervint dans l’économie agraire de l’Égypte et, par une loi générale, il permit aux cultivateurs d’acquérir des droits sur les terres en friche à condition de les cultiver. En outre, il fit apporter un très grand soin au bornage des terres.

Pour assurer l’unité du monde romain et son renouveau, Hadrien s’intéressa à l’administration de l’empire. La tendance dominante poussa à la centralisation ; le conseil du prince fut renforcé dans son rôle et reçut un noyau de « permanents » choisis par l’empereur, particulièrement parmi les jurisconsultes. Les constitutions impériales, prises en conseil, formèrent désormais l’essentiel de la législation, et une interprétation uniforme de la loi fut assurée par la codification de l’édit du préteur (Édit perpétuel de 131). Les bureaux devinrent les organes les plus efficaces de l’administration ; ils furent dirigés par des chevaliers, fonctionnaires au service exclusif de l’empereur. L’ordre équestre fut le meilleur appui de l’empereur, et ses membres eurent leur carrière fixée dans ses échelons, rétributions et titres. Avec leur aide, Hadrien prit un soin tout particulier des finances et de la justice, où pénétrèrent les idées d’humanité et de respect de l’individu sous l’influence de la pensée grecque. Dans l’intérêt de l’équilibre général de l’empire, Hadrien tenta d’arrêter la décadence de l’Italie ; mais les moyens employés, l’envoi de curateurs dans les cités pour en surveiller les finances et la création de quatre districts avec des consulaires à leur tête, enlevèrent à l’Italie une partie de la place juridique privilégiée qu’elle avait jusqu’alors. Ces mesures furent assez mal accueillies par les sénateurs, dont le rôle dans l’État se trouvait amoindri et le prestige atteint.

Comme ses prédécesseurs, Hadrien ne négligea pas les grands travaux, d’autant qu’il pensait être lui-même un excellent architecte. À Rome, il fit élever son propre mausolée (l’actuel château Saint-Ange), la rotonde du Panthéon et le temple de Vénus et de Rome aux deux cellae adossées. Son action s’exerça aussi dans les provinces et particulièrement à Athènes ; après avoir fait terminer l’Olympieion, il dota la cité d’un gymnase et d’une bibliothèque. Mais son œuvre la plus caractéristique fut sa villa de Tibur (Tivoli), où l’ensemble des bâtiments et des jardins reproduisait ce qu’il avait le plus admiré durant ses voyages et contenait les plus belles œuvres d’art.

L’empereur ne pensa qu’assez tard à sa succession ; il l’établit sur les bases de l’hérédité. En 136, il adopta L. Ceionius Commodus Verus, sans doute son fils bâtard ; de santé médiocre et de mœurs douteuses, ce dernier mourut dès janvier 138. Hadrien adopta alors Antonin*, son neveu par alliance, à charge pour lui d’adopter le fils de L. Ceionius Commodus Verus, et Marc Aurèle*, un descendant du père de Trajan. Antonin, dans la pensée d’Hadrien, ne devait être qu’un intermédiaire avant l’accession au pouvoir des deux jeunes gens.

Hadrien mourut le 10 juillet 138. Cet intellectuel intelligent, quoique vaniteux et irascible, et attiré par le beau sous toutes ses formes (cf. son attachement pour son favori Antinoüs), fut l’une des individualités les plus difficiles à cerner de son temps : « varius, multiplex, multiformis ».

J.-P. M.

 B. d’Orgeval, l’Empereur Hadrien. Œuvre législative et administrative (Domat-Montchrestien, 1950). / M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien (Plon, 1952). / S. Perowne, Hadrian (Londres, 1960). / Les Empereurs romains d’Espagne (C. N. R. S., 1965).

Hāfiz (Chams al-Dīn Muḥammad)

En pers. Chamsoddin Mohammed Hāfez, poète persan (Chirāz, Fārs, v. 1320 - id. 1389).


Il ne quitta pratiquement jamais la ville de Chirāz, qu’il aimait par-dessus tout. Son nom de plume, « Ḥāfiẓ », signifie « celui qui a appris le Coran par cœur ». Une grande partie de son existence fut consacrée à l’enseignement de l’exégèse coranique dans une madrasa de Chirāz ; mais sa renommée de poète ne tarda pas à être grande dans cette ville. Durant sa jeunesse et jusqu’en 1353, Chirāz était gouvernée par un prince ami des poètes, Abū Isḥāq Īndjū, qui administrait sa ville plus avec des odes et des madrigaux que par le fer ou le bâton. À sa chute, l’atmosphère de la cité devint pesante, et Ḥāfiẓ ne put jamais s’habituer aux manières fortes de son successeur, le prince muẓaffaride Mubāriz al-Dīn, qui, il est vrai, ne régna que cinq ans. C’est en 1368 que Ḥāfiẓ décida de réunir dans un dīwān un certain nombre de ses poèmes. Ce recueil devint vite célèbre au-delà des frontières du Fārs et de l’Iran. Le poète reçut des invitations au Deccan, à Bagdad, mais jamais il ne put s’habituer à l’idée de laisser sa terre natale. Peu avant sa mort, on lui prête un entretien avec Tamerlan, qui avait épargné Chirāz. Il mourut dans la pauvreté et en disgrâce, sans avoir pu retrouver un protecteur aussi attentif que le prince de sa jeunesse. Son tombeau dans un jardin de Chirāz est devenu un lieu de pèlerinage.

Le dīwān de Ḥāfiẓ est constitué presque exclusivement de rhazal (ou ghazal). Le rhazal existait bien avant Ḥāfiẓ, mais c’est avec lui qu’il atteignit sa perfection. C’est un poème assez court (de sept à quinze vers) employé le plus souvent pour les pièces lyriques. Poète de cour, Ḥāfiẓ sait manier le rhazal pour faire le panégyrique des souverains et des grands et leur prodiguer des louanges, sans toutefois s’abaisser ni s’avilir. Il célèbre également Chirāz, ses promenades, ses cours d’eau, son charme et son élégance. Dans la période troublée que connurent le Fārs et l’Iran pendant sa vie, on pourrait s’attendre à ce que transparaisse l’écho de ses peines et de ses souffrances. Apparemment, il n’est question que de vin, d’ivresse, de beauté, de jeunesse, d’amour, de descriptions bucoliques : la rose, le rossignol, le printemps et bien d’autres tableaux chers à la poésie persane. Si certaines beautés et certaines ivresses que chantent ses vers ne représentent rien de plus que ce qu’elles sont, il n’est pas douteux qu’une interprétation symbolique, voire mystique, des rhazal de Ḥāfiẓ est possible. Des études sur la chronologie des poèmes ont essayé d’en faciliter l’exégèse. On est allé jusqu’à penser que si Ḥāfiẓ utilise parfois un vocabulaire mystique, c’est pour déguiser ses réflexions et se protéger contre l’intolérance du souverain ou de personnalités religieuses. Sans vouloir attirer Ḥāfiẓ dans l’un ou l’autre camp, dans l’une ou l’autre chapelle, voyons en lui un esprit indépendant pour qui seule compte la poésie : il a su trouver un langage susceptible d’être compris par chacun selon ses dispositions et selon les époques, sans jamais donner l’impression d’avoir vieilli. Il est assez frappant que ce poète, l’un des plus « difficiles » de la littérature persane, soit aussi le plus populaire. Pour beaucoup, son dīwān est « livre sacré », et c’est avec recueillement qu’il est ouvert et lu, ou récité. Ḥāfiẓ est devenu le mage, et ses paroles oracles.

B. H.