Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Habsbourg (suite)

La monarchie universelle et l’empire de Charles Quint (1519-1555)

La monarchie universelle (c’est-à-dire la domination du monde connu) était le but lointain que Frédéric III s’était fixé pour la maison d’Autriche et qu’il exprima dans sa devise A. E. I. O. U. (Austriae est imperare orbi universo. [« Il appartient à l’Autriche de régner sur tout l’univers. »]). Élu empereur en 1440 à la place de son cousin Albert II, Frédéric III (1415-1493) n’avait rien d’un conquérant ; il opposa à l’adversité la patience, la résignation apparente et la ténacité. Il était un bien triste continuateur de la maison de Luxembourg (Charles IV, au siècle précédent, et Sigismond, mort en 1437). Battu par le roi de Hongrie Mathias Corvin, chassé pour un temps de Vienne, sa capitale, qui aurait pu prévoir que « le Soleil ne se coucherait jamais » sur les terres de son arrière-petit-fils, Charles Quint ? Pourtant, à sa mort, en 1493, il pouvait se dire qu’il avait accompli l’essentiel. En effet, en mariant (1477) son fils Maximilien à Marie de Bourgogne, la fille unique du Téméraire, il scella le destin européen de la dynastie ; en recueillant l’héritage bourguignon, la maison d’Autriche sortait tout d’un coup de l’espace allemand et danubien pour s’emparer d’une des plus riches contrées d’Europe, les Pays-Bas. En outre, les Habsbourg allaient se brouiller à mort avec les Valois, qui récupérèrent la Bourgogne, tandis que le reste de l’héritage du Téméraire leur échappait.

Bien plus, le processus des unions dynastiques est amorcé, justifiant la formule célèbre : Bella gerant alii/Tu, felix Austria, nube. Maximilien réussissait en effet à marier son fils Philippe le Beau à l’infante Jeanne la Folle, héritière des Rois Catholiques, tandis que, par le traité de Vienne de 1515, il préparait la mainmise de la maison d’Autriche sur les royaumes de Bohême et de Hongrie. Sans doute, cette politique matrimoniale fut accompagnée d’heureux hasards : la mort prématurée de Philippe le Beau (1506), l’incapacité totale de Jeanne la Folle à exercer le pouvoir en Espagne, la découverte du Nouveau Monde, la disparition précoce de Louis II Jagellon à la bataille de Mohács, en 1526. Toujours est-il qu’une famille princière allemande se trouva à la tête d’un empire mondial sans se livrer à la moindre guerre de conquête.

Certes, Maximilien* Ier (1459-1519), empereur de 1493 à 1519, disputa aux Valois héritage bourguignon et possessions italiennes (duché de Milan, royaume des Deux-Siciles), mais jamais aucune province ne tomba sous son autorité par droit de conquête. Même son petit-fils Ferdinand Ier (1503-1564) fut élu régulièrement roi en Bohême et en Hongrie, après la disparition de Louis II Jagellon ; ainsi, les ordres des deux royaumes ratifièrent le traité de Vienne de 1515 passé entre les deux maisons souveraines ; d’ailleurs, leur nouvelle reine, l’épouse de Ferdinand Ier, était une Jagellon. Dans tous les cas, les populations éprouvaient le sentiment que le Habsbourg était leur souverain légitime et qu’il représentait l’autorité légale, à laquelle il convenait d’obéir, puisqu’il était l’héritier du dernier souverain du pays. Milan ou les Pays-Bas n’avaient pas été conquis par un prince « allemand », mais obéissaient à l’héritier des Sforza ou des ducs de Bourgogne. La nuance est de taille et mérite d’être soulignée. Les principales difficultés provinrent des aristocrates, qui tentèrent parfois de profiter de la situation pour élargir leurs pouvoirs au détriment du souverain. Tant que Charles* Quint (1500-1558) fut au pouvoir, aucune nation ne s’imposa aux autres, et ce qu’on appelle l’Empire fut en fait une vaste confédération. C’est pourquoi, fort de l’autorité que lui conférait la légitimité et du prestige que lui apportait la dignité impériale, Charles Quint tenta de gouverner seul les Pays-Bas, l’Espagne, les Indes occidentales, une bonne partie de l’Italie et l’Allemagne, où il avait réussi à se faire élire Empereur, en 1519, à la mort de son grand-père Maximilien Ier. Seule la France, sur le continent, échappait à son autorité, puisque, après 1526, son frère Ferdinand Ier contrôlait l’Europe centrale et danubienne.

Pourtant, Charles Quint ne disposa jamais d’un véritable gouvernement centralisé. Il n’eut même pas de capitale pour l’ensemble de ses États ; laissant à chaque pays, à chaque royaume sa propre administration et son propre gouvernement, il s’entoura, quant à lui, de conseillers bourguignons et italiens, qui le suivaient dans ses multiples déplacements. Son règne fut une longue suite d’échecs, peut-être parce qu’il voulait défendre des valeurs auxquelles ses contemporains ne croyaient plus ; chrétienté, monarchie universelle. Lui qui se sentait « bourguignon » sans être attaché à aucune nationalité particulière, il se heurta aux nationalismes naissants, tant en France qu’en Allemagne ; ses sujets comme ses adversaires lui menèrent la vie dure, et, en dépit d’éclatantes victoires remportées sur François Ier ou ses vassaux allemands, il ne put rétablir l’unité politique de la chrétienté. Mais surtout, il assista, impuissant, aux progrès de la Réforme en Allemagne ; toutes les mesures qu’il put prendre contre Luther d’abord, contre les partisans de ce dernier ensuite échouèrent lamentablement ; par la paix d’Augsbourg, il reconnut l’existence de deux confessions chrétiennes en Allemagne, tandis que l’hérésie se propageait aux Pays-Bas et dans toute l’Europe du Nord. Il avait été incapable de sauver l’unité religieuse de la chrétienté. Profondément déçu, il abdiqua pour finir ses jours dans un monastère castillan, après avoir soigneusement réglé sa succession.

Aveu implicite de renonciation à la monarchie universelle : il partagea le patrimoine des Habsbourg entre son frère cadet Ferdinand Ier (1503-1564) et son fils Philippe* II (1527-1598), créant volontairement une branche allemande distincte de la branche espagnole. Déjà, dès 1522, il avait confié le gouvernement des pays héréditaires de langue allemande à son frère Ferdinand. Après la disparition de Louis II Jagellon et l’élection de Ferdinand aux trônes de Bohême et de Hongrie (1526) naissait la monarchie danubienne, qui, sous le nom d’Autriche-Hongrie, devait se maintenir jusqu’en 1918.