Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Guyenne (suite)

La cathédrale Saint-Étienne de Cahors et l’abbatiale Sainte-Marie de Souillac gardent deux autres œuvres majeures. Le portail nord de Cahors (1135) représente l’Ascension, thème déjà traité à Saint-Sernin de Toulouse. Deux anges entourent le Christ glorieux, au visage empreint de tendresse et de paix, qui lève les deux mains à la hauteur des épaules pour bénir et présenter l’Évangile, que les apôtres, figurés en dessous, vont avoir à répandre. Du portail de Souillac subsistent les représentations d’Osée et Isaïe, très proches des prophètes et saints de Moissac. Étonnante de virtuosité est la figure d’Isaïe : le regard inspiré, le corps souple, drapé en tourbillon dans une longue tunique, il semble s’échapper de la pierre, frémissant, bondissant d’allégresse. Saint-Étienne de Cahors et Sainte-Marie de Souillac, comme Saint-Front et Saint-Étienne de Périgueux*, sont voûtées de coupoles, formule adaptée de l’architecture orientale qui crée un espace intérieur dégagé et lumineux.

Ces fortes œuvres n’épuisent pas la richesse romane d’une province qui compte plusieurs centaines d’églises des xe, xie et xiie s., comme celles de Bordeaux*, La Sauve, Agen, Valcabrère, Moirax, Brantôme, Duravel, Carennac, Figeac, Marcilhac-sur-Célé, etc., et aussi les cloîtres de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Saint-Lizier, les fresques de Saint-Plancard et de Saint-Aventin, la Vierge en bois sculpté de Saint-Savin (Lavedan), émouvants témoignages de la prodigieuse vitalité d’un art irrigué de sève spirituelle.

L’art gothique s’est répandu en Guyenne et Gascogne pendant la seconde moitié du xiiie s. et surtout au xive s. À Bordeaux, Bazas, Bayonne*, Auch, des réalisations d’envergure, inspirées des cathédrales du Nord, attestent sa vigueur. Bel édifice à trois nefs et déambulatoire, sans transept, la cathédrale de Bazas a ses trois portails ornés de sculptures du xiiie s. Celle d’Auch, reconstruite à partir de 1489, est une des dernières grandes œuvres gothiques, achevée par une façade Renaissance qu’encadrent deux tours classiques ; ses vitraux à grands personnages, aux tons pourpres, violets, verts et jaunes sont typiques de l’art des verrières du xvie s. ; les motifs chrétiens et ceux de la mythologie antique se mêlent dans l’impressionnant ensemble de ses 113 stalles de chêne, exécutées de 1520 à 1551. L’influence du gothique septentrional est manifeste dans bien d’autres églises, mais le type du gothique méridional à nef unique et chœur sans déambulatoire a été largement reproduit. La cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges (début du xive s.) est un large vaisseau sans bas-côté terminé par une abside à sept pans. L’influence toulousaine apparaît à Saint-Jacques de Montauban (xive-xve s.), dont la masse de briques roses surmontée d’un clocher octogonal à fenêtres mitrées domine le Tarn, et à l’église-forteresse de Simorre, hérissée de créneaux. La formule des deux nefs a été utilisée à la basilique Saint-Sauveur de Rocamadour (xiiie s.) et à l’ancienne cathédrale de Lombez. Enfin, l’art des cloîtres gothiques s’est épanoui à Cahors, Cadouin, Loc-Dieu, La Romieu, Saint-Émilion.

Les châteaux du Moyen Âge abondent. Leur architecture vigoureuse, parfois altière, toujours pleine d’imprévu, accuse l’originalité de leurs bâtisseurs et l’individualisme de leurs propriétaires. Châteaux du Périgord, parmi lesquels Beynac, au puissant donjon carré à l’aplomb d’une falaise qui domine la Dordogne et dont la grand-salle s’orne d’une fresque de la Cène, et aussi Biron, Bourdeilles, Jumilhac, Laroque ; châteaux du Quercy : Castelnau, Fénelon, Mercuès, Bruniquel, Bonaguil ; de Gascogne : Mauvezin, Lourdes, Montaner, Thermes d’Armagnac, Xaintrailles ; du Bordelais : Villandraut, Roquetaillade, La Brède.

L’architecture robuste et svelte du pont Valentré de Cahors (xive s.) allie parfaitement le fonctionnel à l’esthétique : la beauté de l’ouvrage réside dans la ligne dépouillée de ses six arches ogivales de 16 m d’ouverture, de ses avant-becs crénelés et de ses trois tours carrées hautes de 40 m. Les bastides édifiées du xiie au xive s. relèvent de l’art de bâtir des villes. Presque toutes semblables par leur plan que conçurent des urbanistes conscients des exigences de la vie communale, elles diffèrent par le style des maisons et des couverts. Centrées sur la place carrée, de vaste proportion par rapport à la surface construite, qu’entourent des galeries à arcades sous lesquelles s’ouvrent les boutiques, elles ont des rues rectilignes qui aboutissent aux promenades ou boulevards aménagés sur l’emplacement de leur enceinte abattue. Ainsi, en Gironde : Créon, Sauveterre-de-Guyenne ; en Dordogne : Monpazier, Beaumont-du-Périgord ; dans le Lot : Montpezat-de-Quercy, Montcabrier ; dans le Lot-et-Garonne : Villeneuve-sur-Lot, Castillonnès ; dans le Tarn-et-Garonne : Puylaroque ; dans le Gers : Gimont, Saint-Clar.

La Renaissance a paré de ses grâces plusieurs châteaux féodaux, tels Montal, Assier, Aynac, Puyguilhem, Lanquais, Lauzun, Caumont, Nérac. Des demeures urbaines de cette époque, il reste la maison de La Boétie et l’hôtel de Plamon à Sarlat, la maison des Consuls à Périgueux.

Encore renaissant avec ses dômes et ses lanternons, le château de Hautefort assure la transition avec l’art classique. Le palais épiscopal de Montauban, devenu le musée Ingres (œuvres d’Ingres*, de Bourdelle*, etc.), est une remarquable construction de style Louis XIII, bien que postérieur à ce règne, et la place Nationale, avec ses doubles galeries voûtées qui supportent des maisons à trois étages aux beaux toits débordants de tuiles romaines, une parfaite réalisation de l’art urbain du xviie s. Mais c’est à Bordeaux que triomphe le grand urbanisme classique du xviiie s., qui a aussi remodelé le centre d’Auch. De cette époque datent d’élégantes et charmantes demeures du Bordelais, dont certaines portent des noms de crus illustres : la Dame-Blanche, Château-Lafite, Beychevelle. Le Bouilh est l’œuvre de Victor Louis ; un de ses disciples a construit Château-Margaux.

J. P.