Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Guyenne (suite)

Dévasté par les opérations militaires (chevauchées anglaises de 1355 et de 1356, française de 1442, etc.), dépeuplé par les famines et par les pestes, notamment par celle de 1348, coupé en 1453 (reconquête de Bordeaux par Charles VII après la victoire de Castillon) du marché anglais, qui absorbait ses vins, le duché de Guyenne entre en convalescence. La reconstruction, déjà entreprise pendant les périodes de trêve, reprend avec vigueur. Elle est à la fois démographique (appel à des immigrants dans l’Entre-deux-Mers, le bas Quercy, etc.), économique (substitution fréquente de plants de vignes à la céréaliculture dans le cadre des contrats de complant ; reprise des exportations de vin à destination de Londres et de Bristol à partir de 1463 et surtout de 1475), artistique (construction de la chartreuse de Villefranche-de-Rouergue), intellectuelle (écoles de Montauban).

Apanage de Charles de France, frère cadet de Louis XI, entre 1469 et 1472, le duché de Guyenne est étroitement repris en main par la monarchie, qui brise la révolte de 1548 contre la gabelle. La renaissance intellectuelle et artistique s’épanouit alors dans les villes, où se multiplient les centres d’imprimerie (La Réole en 1503 ; Bordeaux en 1517 ; Agen en 1526) et où se créent des institutions culturelles nouvelles, notamment le célèbre « collège (bordelais) de Guyenne », qui forme Michel de Montaigne et Joseph Scaliger (1540-1609), et qui favorise la diffusion du luthéranisme, à la propagation duquel la cour de Marguerite d’Angoulême à Nérac, accueillante aux humanistes, a créé un climat favorable. Le duché est victime des guerres de Religion* : il devient l’un des foyers essentiels du parti réformé, où lui sont accordées de nombreuses places de sûreté dès 1570. Soumise à la suite de l’abjuration d’Henri IV en 1593, la Guyenne est divisée dès 1542 entre les deux généralités de Bordeaux et de Montauban (basse et haute Guyenne), dont sont détachées en tout ou en partie celles de La Rochelle en 1594, d’Auch en 1717 et de Bayonne-Pau en 1783. La Guyenne, qui a été économiquement affaiblie par la Fronde et par la révocation de l’édit de Nantes en 1685, connaît une très grande prospérité au xviiie s., notamment grâce à la chambre de commerce de Bordeaux, créée en 1705 et qui favorise l’exportation des vins et le négoce de ce port avec les Antilles. Départementalisée en 1790, entraînée dans l’insurrection fédéraliste après le 2 juin 1793 par les députés brissotins (dits « Girondins* »), victime de la Terreur en 1793-94, un moment agitée en 1796 par un complot anglo-royaliste, elle est envahie en 1814 par Wellington et connaît les contrecoups de la Terreur blanche, en particulier à Montauban en 1815. Orientée essentiellement vers les spéculations agricoles, elle devient en 1918 le centre de la VIIIe région économique et en 1961 celui de la Région Aquitaine, dont Bordeaux reste le cœur.

P. T.

➙ Aquitaine / Bordeaux / Cent Ans (guerre de) / Gascogne / Gironde / Religion (guerres de).

 M. Gouron, l’Amirauté de Guyenne depuis le premier amiral anglais jusqu’à la Révolution (Sirey, 1938). / R. Boutruche, la Crise d’une société. Seigneurs et paysans du Bordelais pendant la guerre de Cent Ans (Les Belles Lettres, 1947) ; Une société provinciale en lutte contre le régime féodal : l’alleu en Bordelais et en Bazadais du xie au xviiie siècle (Les Belles Lettres 1947). / C. Dartigue, Histoire de la Guyenne (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1950). / La Guyenne sous les rois d’Angleterre, 1154-1453 (catalogue d’exposition, introduction par Y. Renouard) [Bordeaux, 1952]. / Y. Renouard, « les Institutions du duché d’Aquitaine », dans Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, sous la dir. de F. Lot et R. Fawtier, t. I : Institutions seigneuriales (P. U. F., 1957). / C. Higounet (sous la dir. de), Histoire de l’Aquitaine (Privat, Toulouse, 1971). / J.-P. Trabut-Cussac, l’Administration anglaise en Gascogne sous Henry III et Édouard Ier, de 1254 à 1307 (Droz, Genève, 1972).


L’art en Guyenne et en Gascogne

Dans la vaste région du Sud-Ouest que nous considérons ici, incluant Périgord et Quercy, excluant Rouergue*, Languedoc* toulousain et Béarn*, la création artistique est attestée, comme dans toute cette partie de la France dès l’époque paléolithique*, et a produit des chefs-d’œuvre : peintures de Lascaux et autres grottes de la région de Sarlat ; Vénus de Lespugue, conservée au musée de l’Homme (Paris) ; Dame de Brassempouy ou Bisons d’argile du Tuc d’Audoubert, conservés au musée national de Saint-Germain-en-Laye. Le musée d’Aquitaine de Bordeaux, les musées de Périgueux, des Eyzies, du Mas-d’Azil possèdent également d’importantes collections de gravures préhistoriques sur pierre, os et ivoire.

Les invasions ont été tellement destructrices qu’il ne reste que des ruines de l’architecture romaine, mais les fouilles poursuivies en plusieurs sites, notamment à Saint-Bertrand-de-Comminges et à Montcaret, mettent au jour statues et mosaïques.

De l’âge roman subsistent des ensembles prestigieux. L’abbaye de Moissac, fondée au viie s. par saint Didier, évêque de Cahors, affiliée à Cluny en 1047, a compté jusqu’à 350 moines. Lieu privilégié de prière, grande exploitation agricole, centre d’accueil pour les pèlerins, elle fut aussi un foyer de vie artistique qui entretenait des échanges constants avec les ateliers toulousains. L’art roman n’a conçu rien de plus grandiose que le portail de Moissac (v. 1115-1120). Le Christ de la parousie, selon la vision fulgurante de l’Apocalypse, roi et juge suprême, portant la couronne carrée, vêtu de l’ample tunique impériale, le visage impénétrable, la main droite levée pour bénir, la gauche posée sur le livre de vie, rayonne de majesté. Autour de lui, les animaux qui symbolisent les évangélistes sont subjugués, les chérubins en extase et les vieillards couronnés jubilent. Tympan théologique par excellence, qui offre le spectacle de la gloire de Dieu à l’heure où s’accomplit l’histoire et invite à l’adoration. Les pieds-droits festonnés supportent les figures de saint Pierre et d’Isaïe, penchés vers la terre mais saisis par le souffle de l’Esprit. Trois couples de lions et de lionnes dressés en X, crispés, d’inspiration orientale, occupent la face du trumeau, et deux longs personnages aux barbes ondulantes, les côtés : Jérémie, écrasé par les malheurs de Jérusalem ; saint Paul, dévoré par un feu intérieur. Sur les bas-côtés de l’ébrasement s’opposent le monde de la grâce, évoqué par des scènes de la vie de la Vierge, et celui du péché, représenté par une femme nue qu’un satyre agrippe et que des serpents enlacent et sucent. Et, au bout de la frise, saint Jean le visionnaire, inspirateur de l’ensemble du portail, contemple son Dieu. Toujours à Moissac, la suite des fines colonnes jumelées du cloître (fin du xie s. - début du xiie s., remanié au xiiie s.) est interrompue aux angles et au centre par des piliers massifs en marbre qui portent les effigies des apôtres. Les 73 chapiteaux, où la nature est représentée par les trois règnes et l’histoire du salut par des scènes bibliques et la geste des martyrs, constituent un répertoire de la sculpture romane.