Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique précolombienne (suite)

À son tour, cette culture est détruite par une nouvelle vague venue d’Amérique du Sud, celle des Caraïbes. Vainqueurs et vaincus cohabitent au moment de la conquête, et il est bien difficile de rendre à chacun ses sites et ses œuvres. Cette invasion dut être guerrière. Elle fournit en tout cas l’occasion d’un exemple dans tous les manuels d’ethnologie : les hommes caraïbes enlevèrent les femmes taïnos et, au moment de la découverte des Antilles, deux langues s’y superposaient : l’une parlée par les hommes, l’autre par les femmes. On peut imaginer que ces femmes taïnos transmettaient en même temps d’autres secrets propres aux femmes : ceux de la cuisine, du tissage, de leurs besognes quotidiennes...

On a tenté de mettre en évidence quelques faits : la prodigieuse richesse de ces civilisations de l’Amérique moyenne, la perfection de leurs réalisations opposée à la pauvreté de leurs techniques, l’exigence des dieux et la soumission des hommes, l’intérêt d’un art chargé de signification, même si celle-ci nous est encore étrangère, même si beaucoup reste à découvrir.

M. S.-A.

 B. Díaz del Castillo, Histoire véridique de la Nouvelle-Espagne (Madrid, 1632 ; trad. fr., Club des Libraires de France, 1959). / J. Soustelle, la Pensée cosmologique des anciens Mexicains (Hermann, 1941) ; la Vie quotidienne des Aztèques à la veille de la conquête espagnole (Hachette, 1955). / P. Kirchhoff, « Mesoamérica » dans Acta americana, t. I (Mexico, 1943). / A. Caso, El Pueblo del sol (Mexico, 1953). / J. H. Stewart (sous la dir. de), Handbook of South American Indians (New York, 1957 ; 7 vol.). / H. D. Disselhoff et S. Linné, Amérique précolombienne (Albin Michel, 1961). / M. D. Coe, Mexico (Londres, 1962) ; The Jaguar’s Children, Pre-Classic Central Mexico (New York, 1965). / F. Dockstader, Indian Art in Central America (New York, 1964 ; trad. fr. l’Art indien de l’Amérique centrale, Ides et Calendes, Neuchâtel, 1965). / University of Texas, Handbook of Middle American Indians (Austin, 1964-1967 ; 6 vol.). / J. Alcina Franch, Manual de arqueologia americana (Madrid, 1965). / G. H. S. Bushnell, Ancient Arts of the Americas (Londres, 1965 ; trad. fr. l’Art de l’Amérique précolombienne, Larousse, 1966). / G. R. Willey, An Introduction to American Archeology (Englewood Cliffs, New Jersey, 1966-1971 ; 2 vol.). / C. F. Boudez, Amérique centrale (Nagel, Genève, 1970).


Les civilisations de l’Amérique du sud précolombienne

Si l’on entend par « civilisation » l’existence de grandes sociétés sédentaires évoluées et organisées, tant sur le plan politique et social que sur les plans technique, religieux et esthétique, celle-ci n’existe, au moment de la conquête espagnole, que dans une région limitée de l’Amérique du Sud. Son extension coïncide approximativement avec celle de la région andine, et l’aire civilisée recouvre, en termes de division politique actuelle, la partie occidentale de la Colombie, les régions côtières et montagneuses de l’Équateur et du Pérou, le haut plateau de Bolivie, le nord-ouest de l’Argentine, le nord et le centre du Chili. Tous ces territoires, excepté la Colombie, font partie, lorsque les Espagnols débarquent en 1527, de l’Empire inca. Mais cet Empire, si puissant qu’il soit, n’occupe qu’une place très réduite dans le temps. La préhistoire sud-américaine a trop longtemps été confondue avec l’histoire des Incas*, auxquels, pendant des dizaines d’années, furent attribués tous les vestiges trouvés dans la région andine. En réalité, il avait fallu des millénaires pour que se forgent lentement les éléments constitutifs de cette civilisation sud-américaine, dont l’Empire inca fut, du xiiie au xve s., la plus haute et l’ultime expression. Cette longue évolution est loin de s’être effectuée de façon uniforme à travers tout le continent. Au moment où l’Empire inca atteignait son apogée, les peuplades des basses régions situées à l’est des Andes vivaient toujours de chasse et de pêche, parfois d’une agriculture rudimentaire ; elles ne devaient d’ailleurs jamais dépasser ce stade techno-économique, qui est encore celui des dernières tribus d’Indiens* amazoniens vivant à l’heure actuelle.


Le peuplement de l’Amérique du Sud et les premiers établissements humains

C’est sans doute plus de trente mille ans avant notre ère que les premiers groupes humains venus d’Asie orientale franchissent le détroit de Béring, alors émergé. Les bandes de chasseurs-collecteurs, encore fort clairsemées, envahissent peu à peu l’Amérique du Nord, puis parviennent en Amérique du Sud après avoir franchi l’isthme de Panama. Nous ignorons encore si ces premiers immigrants pénétrèrent en Amérique du Sud par l’intérieur des terres, empruntant les couloirs interandins ou les plateaux situés à l’est des Andes, ou s’ils descendirent le long des côtes. Les deux voies de pénétration furent sans doute utilisées simultanément, mais les sites côtiers antérieurs à 5000 av. J.-C., qui pourraient nous servir de jalons, s’ils existèrent, ont actuellement disparu, submergés par la lente remontée postglaciaire du niveau marin. Les sites les plus anciens que nous connaissions se trouvent à l’intérieur des terres :
14000 av. J.-C.
El Jobo. Venezuela (très controversé)
9400 av. J.-C.
San Vincente de Tagua-Tagua.
Chili central
8500 av. J.-C.
la grotte Fell. Patagonie
8000 av. J.-C.
El Inga. Équateur
8000 av. J.-C.
Lagoa Santa. Brésil
7500 av. J.-C.
le lac Lauricocha. Pérou
6000 av. J.-C.
Intihuasi. Argentine.

Tout le continent sud-américain, jusqu’au détroit de Magellan, était donc déjà occupé par l’homme il y a environ dix mille ans. Ces premiers établissements sont des grottes et des abris rocheux, parfois des campements de plein air, où les groupes de chasseurs errants ont laissé leurs outils de pierre taillée et parfois leurs sépultures.

Vers 5000 av. J.-C., les côtes sont déjà très peuplées. Les hommes sont établis tout le long du littoral pacifique et sur la côte atlantique, qu’ils jalonnent d’immenses amas de coquilles et de déchets divers. Environ un millénaire plus tard, les premières traces d’agriculture apparaissent : le haricot, la courge, un peu plus tard le coton sont cultivés sur la côte pacifique, mais les hommes vivent encore surtout de pêche et de cueillette. Les maisons de ces premiers sédentaires, retrouvées au Pérou, sont petites, souvent semi-souterraines, aux parois de terre sèche ou de galets couvertes d’un toit de roseaux. Le maïs, probablement apporté de Méso-Amérique et qui deviendra très vite le principal produit alimentaire, n’est cultivé qu’à partir du IIe millénaire avant notre ère. Quant à la poterie, elle apparaît à des dates différentes suivant les régions, soit dans un contexte préagricole (sur les côtes équatoriennes et colombiennes), soit chez des cultivateurs (au Pérou, au Venezuela). Cette poterie fut-elle inventée sur place ou apportée d’un autre pays ou d’un autre continent ? Le problème n’est pas résolu et les thèses s’affrontent.