Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Guillaume II (suite)

Dans l’Empire ottoman, la Weltpolitik connaît un succès important, auquel le kaiser participe directement. D’abord celui-ci accepte de faire un voyage dans cette région, afin d’appuyer les efforts du baron Adolf Marschall, qui s’efforce d’obtenir du Sultan le droit, pour l’Allemagne, de construire la voie ferrée Berlin-Bagdad, axe de pénétration germanique en Asie Mineure. En 1898, après avoir rencontré le Sultan à Constantinople, il entre à cheval dans Jérusalem, s’enthousiasme pour l’islam à Damas, au point de se déclarer l’ami des 300 millions de mahométans. Ses efforts et ceux de Marschall ne sont pas vains : la concession de la « Bagdadbahn » à une compagnie allemande est obtenue du Sultan en 1902, et Guillaume II multiplie les pressions sur les milieux financiers du Reich pour qu’ils accordent les concours nécessaires à cette vaste entreprise. Ces financiers, qui veulent l’aide de capitaux étrangers, n’arrivent pas à vaincre les obstacles politiques que Français et Anglais dressent contre la participation des marchés financiers de Paris et de Londres.

En Afrique, le Reich se heurte à l’Angleterre et à la France. En Afrique du Sud, l’infiltration anglaise interdit tout espoir ; en Afrique centrale, les partisans d’un « Mittelafrika » allemand comptent surtout sur un partage des colonies portugaises : leurs espoirs sont déçus, malgré l’accord secret anglo-allemand de 1898.

C’est vers le Maroc que l’Allemagne tourne les yeux au début du siècle. Pangermanistes, milieux coloniaux, grands commerçants de Hambourg y espèrent un territoire ou, du moins, un régime favorable au commerce allemand. Irrité de voir la France traiter du Maroc avec l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Espagne, en laissant le Reich de côté, le kaiser estime avec Holstein qu’il y va du prestige pour des raisons politiques plus qu’économiques. La conjoncture paraît encourager une épreuve de force avec la France : les échecs russes en Extrême-Orient (guerre russo-japonaise) paralysent Paris, qui ne peut pas compter sur l’allié russe. Berlin veut frapper un grand coup, et, pour cela, un plan soigneusement préparé par la Wilhelmstrasse prévoit le voyage de Guillaume II au Maroc, où il devra présenter l’Allemagne comme le champion de la souveraineté du sultan. Long à se décider, le kaiser finit par débarquer à Tanger le 31 mars 1905, mais il ne prononce pas les paroles prévues ; c’est le chargé d’affaires Richard von Kühlmann qui « fabrique » le fameux discours de Tanger, texte dicté à l’agence Havas, mais jamais prononcé par le kaiser. D’un ton provocant, ce « discours » irrite la Wilhelmstrasse, qui y voit, à tort, une nouvelle incartade du kaiser. Profitant de l’effet du discours en France, Holstein demande la réunion d’une conférence internationale pour régler la question marocaine.


L’Allemagne veut-elle la guerre ?

Les chefs de l’armée « poussent » à la « guerre préventive », mais Guillaume II et le chancelier Bülow rejettent cette perspective, tout en exerçant une vive pression sur la France pour obtenir la démission de Delcassé et le règlement du problème marocain dans un sens favorable au Reich. Cependant, le kaiser s’intéresse plus à la Russie qu’à la France. La conférence d’Algésiras (1906), qui montre que l’Allemagne est isolée, se termine en défaite diplomatique pour un Reich qui, désormais, fait le complexe de l’encerclement, d’autant plus que l’accord anglo-russe de 1907 permet la naissance de la Triple-Entente.

Guillaume II devance ou appuie les efforts de la Wilhelmstrasse pour tenter de dissocier cette Triple-Entente. Dans l’affaire de l’« interview », parue dans le Daily Telegraph le 28 octobre 1908, il se couvre de ridicule en tendant de démontrer son anglophilie et sa souffrance de ne pas être payé de retour : cette initiative malheureuse, que les fonctionnaires de la Wilhelmstrasse n’ont pas su arrêter, vaut à l’empereur des critiques sévères concernant « son manque de profondeur ». Le kaiser espère toujours un rapprochement germano-russe. Il se montre réticent à l’égard de l’Autriche-Hongrie lorsqu’elle annexe la Bosnie-Herzégovine (1908), en provoquant ainsi une grave crise austro-russe, mais il appuie finalement Bülow, qui soutient Vienne et traite durement la Russie. À la fin de 1910, à Potsdam, il tente, une fois encore, d’amorcer un rapprochement ; s’il ne peut dissocier l’entente anglo-russe, il obtient du moins la signature de l’accord du 19 août 1911, par lequel la Russie s’engage à ne plus mettre d’obstacle à l’achèvement de la « Bagdadbahn ». L’accord franco-allemand du 9 février 1909 sur le Maroc semble amorcer une détente voulue par le kaiser, qui pense qu’il faut « en finir avec ces frictions ». Mais, devant l’impossibilité de donner une suite pratique à cet accord et en raison des progrès de la pénétration française, Guillaume II finit par accepter le plan d’Alfred von Kider-len-Waechter, qui prépare la grave crise d’Agadir (1911), dont l’évolution et la conclusion, par l’accord du 4 novembre 1911, le mécontentent profondément. La tension franco-allemande devient de plus en plus vive ; le kaiser en vient à accepter l’idée d’un conflit permettant de régler les « comptes une fois pour toutes ».

Il ne veut pas saisir les diverses propositions anglaises concernant un arrêt de la course aux armements navals ; il s’irrite des pressions britanniques et reste intransigeant. Après l’échec de la mission de lord Haldane à Berlin en février 1912 — échec dû aux exigences allemandes, car Guillaume II veut un véritable renversement des alliances pour prix d’un arrêt des constructions navales —, l’empereur donne libre cours à son hostilité envers la Grande-Bretagne.

Quelle part Guillaume II prend-il dans les crises balkaniques qui mènent à la guerre ? En octobre-novembre 1912, lorsque, à la suite de la première guerre balkanique, la Serbie, soutenue par la Russie, lance ses troupes vers l’Adriatique, Vienne n’admet pas cette poussée : des mesures de mobilisation sont commencées en Autriche-Hongrie et en Russie. Guillaume II se montre hésitant ; il n’est pas disposé à soutenir Vienne. Mais ses ministres le font changer d’avis : le kaiser promet alors un appui absolu à l’Autriche-Hongrie. Lors de la deuxième guerre balkanique, Vienne songe à appuyer la Bulgarie contre la Serbie. Cette fois, le gouvernement allemand refuse son appui ; pour le kaiser, Vienne commettrait « une grosse faute » en soutenant la Bulgarie (juill. 1913). Mais, quatre mois plus tard, lors d’une nouvelle menace de conflit austro-serbe, Guillaume II donne un appui absolu aux autorités de Vienne : « Je suis prêt à tirer l’épée, si c’est nécessaire. » C’est aussi son attitude lors de la crise décisive de juillet 1914. Dès le début de la crise, il estime que le moment est favorable pour l’Autriche, car il ne pense pas que la Russie interviendra en cas de guerre austro-serbe, et, même dans cette éventualité, il promet son « plein appui ». La réponse serbe à l’ultimatum autrichien lui paraît écarter une rupture, mais l’empereur ne fait rien pour empêcher la déclaration de guerre de Vienne à Belgrade le 28 juillet. Il laisse faire les militaires, qui acceptent, voire recherchent une guerre générale ; il ne soutient pas le chancelier Bethmann-Hollweg, qui, à l’ultime moment (29-30 juill.), donne des conseils de modération à l’Autriche. Ainsi, depuis la fin de 1913, il est résigné à la guerre ; il a déclaré au roi des Belges, en novembre, qu’elle était « nécessaire et inévitable ».