Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Guillaume II (suite)

Dans le choix du chancelier, qui assiste le souverain, il se montre soucieux d’écarter les personnalités marquantes : il entend, avant tout, choisir des hommes dociles, issus de l’armée, de l’Administration et non du Reichstag. Dès 1890, il se débarrasse de Bismarck* et le remplace par un général, Georg Leo comte von Caprivi (1831-1899), ancien chef de l’amirauté, qui a surtout pour mérite de connaître le milieu parlementaire. Quatre ans plus tard, il choisit un vieillard, le prince Chlodwig de Hohenlohe-Schillingsfürst (1819-1901), catholique, doté d’une grande expérience administrative et diplomatique. En 1900, il le remplace par Bernhard von Bülow (1849-1929), diplomate brillant, cultivé, mais arrogant, vaniteux, souple et manœuvrier. Croyant avoir trouvé en lui « son Bismarck », il déchante et, en 1909, nomme un fonctionnaire prussien fidèle, pondéré, mais hésitant, Theobald von Bethmann-Hollweg (1856-1921).

Ainsi, Guillaume II n’a pas su choisir les hommes capables de résoudre les grands problèmes intérieurs, pour lesquels lui-même ne manifeste pas grand intérêt. Le système électoral de la Prusse n’est pas modifié ; l’empereur n’accepte le régime parlementaire qu’à la fin de la guerre, sous la pression des événements. La question budgétaire ne trouve pas de solution ; les dettes de l’Empire et de la Prusse augmentent rapidement, notamment en raison des dépenses militaires et navales, sans que le souverain sache imposer à la droite une réforme fiscale seule capable de remplir la caisse impériale. Tout en affirmant sa volonté de ne pas être le « roi des gueux », Guillaume II se contente de compléter la législation sociale bismarckienne, sans, pour autant, réussir à endiguer la montée de la social-démocratie, qui devient le plus important parti à la veille de la guerre (110 sièges au Reichstag), parce que le régime se montre incapable de résoudre la question sociale. Irrité par la propagande socialiste, l’opposition à la Weltpolitik, il se détourne du prolétariat pour soutenir l’armée, l’Administration, la noblesse, la bourgeoisie d’affaires, remparts solides contre la marée des « rouges ». Figé dans un conservatisme étroit, il porte donc une part de responsabilité dans le malaise politique et social qui affecte l’Allemagne à la veille de la guerre.


La politique extérieure

Mais on veut surtout voir en lui l’un des responsables de cette Première Guerre* mondiale, résultat d’une politique extérieure ambitieuse. Ce jugement mérite d’être nuancé.

Il faut d’abord remarquer que, bien qu’attiré par les problèmes de politique extérieure, le kaiser se rallie très souvent à l’opinion de la Wilhelmstrasse, où il laisse « régner » un Friedrich von Holstein (1837-1909), par exemple, jusqu’en 1906. À partir des années 1890, le rôle d’Holstein ne cesse de grandir. Travailleur consciencieux, intègre, solitaire, ce dernier refuse de devenir secrétaire d’État, et pourtant il inspire toute la politique de la Wilhelmstrasse. Parfaitement informé par la correspondance privée, que ne manquent pas de lui adresser les diplomates en plus des dépêches officielles, il se maintient à la direction des affaires politiques de la Wilhelmstrasse bien que ses idées maîtresses — rapprochement avec la Grande-Bretagne, hostilité envers la Russie — soient en opposition complète avec celles du kaiser. Étrange situation, surtout lorsqu’on sait que Guillaume II connaît à peine cette éminence grise.

Cependant, le kaiser porte une part de responsabilité dans l’affaiblissement de la position continentale du Reich jusqu’en 1906. Bien que partisan d’un rapprochement avec la Russie, il laisse s’édifier une alliance franco-russe qui entame le processus d’encerclement de l’Allemagne. Profitant des difficultés de la Russie — battue par le Japon et en proie à la révolution en 1904-05 —, il essaie de démontrer au tsar Nicolas II l’inefficacité de l’alliance française, si bien qu’il obtient son adhésion à un système germano-russe (Björkö, juill. 1905). Mais le tsar n’est pas suivi par son gouvernement.

En encourageant le développement de la flotte allemande, en appuyant la Weltpolitik, le kaiser ne peut manquer d’irriter la Grande-Bretagne. L’avenir de l’Allemagne étant, d’après lui, sur l’eau, il soutient fermement la politique de l’amiral Alfred von Tirpitz (1849-1930). Il appuie aussi une expansion commerciale de l’Allemagne dans le monde qui met en question la suprématie du commerce anglais. Après les paroles encourageant le président Kruger à la résistance devant la pression anglaise (3 janv. 1896), il préfère rechercher les ententes coloniales avec l’Angleterre (1898) et abandonne la cause des Boers pendant la guerre (1899-1902). Mais, toujours méfiant à l’égard de l’Angleterre, le petit-fils de la reine Victoria et neveu d’Édouard VII ne fait rien pour faire réussir les négociations (1898-1901) en vue d’une alliance avec la Grande-Bretagne, qui, en fin de compte, n’aboutissent pas. Le kaiser, pas plus qu’Holstein, ne croît à un rapprochement franco-anglais, et la conclusion de l’Entente cordiale est, pour lui, une fâcheuse surprise.

Guillaume II ne fait rien, non plus, pour éviter un rapprochement franco-italien, susceptible d’ébranler la solidité de la Triple-Alliance (ou Triplice) [Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie]. L’accord commercial franco-italien de 1898 est suivi d’un accord colonial, puis du traité politique secret de 1902 ; certes, à la même date, la Triple-Alliance est renouvelée, mais elle se trouve vidée d’une partie de sa substance, si bien que le kaiser songe à infliger à l’Italie « une correction salutaire ».

Les déceptions continentales sont-elles compensées par les succès de la Weltpolitik ? Tard venue dans la compétition coloniale, l’Allemagne entend bien obtenir des zones d’influence. Elle obtient satisfaction en Chine, où le « traité à bail » du 3 mars 1898 lui assure une large zone dans la région de Jiaozhou (Kiao-tcheou). Lorsqu’en 1900 la révolte des Boxeurs (ou Boxers) menace les Européens, Guillaume II n’hésite pas à prononcer un violent réquisitoire contre le péril jaune en conseillant aux contingents allemands de l’expédition internationale, commandée par le général von Waldersee : « Montrez l’Allemagne en Chine sous un jour si violent que jamais plus un Chinois n’ose regarder un Allemand en face. »