Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Guerre mondiale (Première) ou Grande Guerre de 1914-1918 (suite)

Noël 1914, une guerre d’un type entièrement nouveau

À la fin de 1914, le conflit prend un visage réellement imprévu ; tous les plans des états-majors se sont effondrés et, pour chacun, tout est à recommencer. C’est chez les Allemands que la déception a été la plus vive, entraînant dès le 14 septembre le remplacement de Moltke à la direction suprême de l’armée par le jeune ministre de la guerre prussien, le général Erich von Falkenhayn (1861-1922). Reprenant à son compte la pensée de Schlieffen, ce dernier cherche, en reportant ses forces vers l’ouest, à déborder de nouveau l’aile gauche française au-delà de Compiègne. Mais, cette fois, Joffre répond aussitôt à sa manœuvre en transférant des forces de Lorraine en Picardie et en Artois, où, en octobre, se constitue un front, prolongé bientôt jusqu’à la mer. En novembre, Falkenhayn tente un suprême effort sur Calais, qui échoue au cours de la sanglante mêlée des Flandres, où Foch coordonne l’action des forces britanniques, belges (repliées d’Anvers) et françaises.

Dans les deux camps, les munitions manquent, et un front continu s’établit dans les tranchées sur 750 km, de Nieuport à la frontière suisse... Deux belligérants nouveaux sont entrés en lice : dès le 23 août, le Japon s’engage aux côtés des Alliés avec la volonté d’affirmer sa situation en Extrême-Orient. Au cours de l’été, en dépit de l’arrivée des croiseurs allemands Goeben et Breslau dès le 10 août à Constantinople, la Turquie hésite encore et ne rompra avec les Alliés que le 3 novembre. Sur le plan militaire, tout est donc à repenser, mais le premier souci des belligérants est alors de « durer » en remettant en marche administrations et industries de guerre pour permettre aux populations de vivre et aux armées de combattre. Si l’Allemagne, qui a définitivement écarté l’invasion de son territoire, bénéficie de l’organisation moderne et puissante de son économie, la France se trouve au contraire gravement handicapée : ses départements les plus riches sont envahis par l’ennemi et soumis à un très rude régime d’occupation ; leur potentiel représente 95 hauts fourneaux sur 123, 90 p. 100 du minerai de fer et 40 p. 100 du charbon français... Quant aux Anglais, ils découvrent avec Kitchener* que leur engagement militaire les entraînera beaucoup plus loin qu’ils ne le pensaient, mais ils fondent tous leurs espoirs sur le contrôle de la liberté des mers, qu’ils viennent de rétablir à leur profit et qui leur permet de jouer désormais à fond l’arme du blocus.


1915, la politique reprend ses droits

Au lendemain des hécatombes des Flandres et de Pologne, l’impuissance du facteur opérationnel à résoudre à lui seul les problèmes posés par le conflit s’avère flagrante. Aussi, dans les réactions des belligérants, la politique reprend-elle partout ses droits.

Chez les Allemands, qui, seuls, disposent avec le grand état-major d’une véritable direction de la guerre, l’année va être dominée — outre un souci constant d’organisation économique pour pallier les effets du blocus — par la volonté d’obtenir de gré ou de force une paix séparée avec la Russie. Chez les trois « grands » de l’Entente, en dépit de l’engagement solennel mais assez négatif de Londres (5 sept. 1914) de ne conclure aucune paix séparée avec l’Allemagne, on ne prendra encore en 1915 que des décisions plus juxtaposées que coordonnées. Elles traduiront la volonté anglaise exprimée par le jeune ministre Churchill* de retrouver une stratégie indirecte chère aux Britanniques. Pour les Français seuls, le problème numéro un demeure celui de la libération du territoire : joint au souci de soulager le front russe, durement pressé, il entraînera sur le front occidental une activité offensive soutenue sans répit malgré de terribles pertes. Au mois d’avril, l’Entente reçoit cependant un très sérieux renfort : après de nombreuses hésitations, l’Italie déclare le 23 mai la guerre à l’Autriche-Hongrie, qui se voit obligée d’ouvrir un nouveau front à sa frontière des Alpes. L’Italie ne rompra avec l’Allemagne que le 27 août 1916.


L’effort allemand sur la Russie

« Il est absolument nécessaire d’en venir à une paix séparée avec la Russie », écrit le Kronprinz Frédéric-Guillaume le 6 février 1915 au grand-duc de Hesse, frère de la tsarine. Pour appuyer les démarches allemandes à Petrograd. Falkenhayn, dont le Q. G. passe en avril de Mézières à Pless ([auj. Pszczyna] Silésie), décide d’engager une grande offensive sur le front des Carpates. Déclenchée le 2 mai à Gorlice par Mackensen, elle conduit en octobre les forces austro-allemandes, après une avance de 200 à 500 km à travers la Pologne, sur une ligne allant des portes de Riga à la frontière roumaine.

La consternation est si grande à Petrograd que le tsar Nicolas II* prend lui-même la tête de ses armées, tandis que les échos du congrès socialiste de Zimmerwald, en Suisse, où l’on réclame une paix « sans annexion ni contribution », ont une grande résonance dans la classe ouvrière russe, représentée au congrès par Lénine, Trotski et Rakovski. Le plan allemand échoue pourtant devant la fidélité du tsar à ses alliés, qui n’a d’égal que son aveuglement devant la situation intérieure de l’empire. Par trois fois, Nicolas II refuse les propositions de paix allemandes et signe ainsi son arrêt de mort. En décembre, Berlin se décide, « pour faire exploser la coalition de l’Entente », à jouer avec Lénine la carte de la révolution en Russie. Mais, à la grande déception de Falkenhayn, les armées russes sont toujours debout.


Les Balkans en guerre : Dardanelles, Serbie, Bulgarie

Après avoir rallié Paris à ses vues, Churchill engage en février une action franco-britannique sur les Détroits ; son but est de tendre la main aux Russes et, en enlevant Constantinople, d’abattre la Turquie, qui vient de faire très peur à Londres en réussissant un raid sur Suez (févr. 1915).

Après l’échec des escadres alliées de l’amiral de Robeck à Çanakkale contre les ouvrages turcs des Dardanelles (mars), des unités franco-anglaises débarquent le 25 avril à Seddülbahir, mais, malgré leurs efforts, ne parviennent pas à déboucher de leur tête de pont. À la fin de l’été, l’attention des alliés est attirée par les Balkans, où les Allemands réussissent à engager la Bulgarie (14 oct.) à leurs côtés pour liquider la résistance de la Serbie et garantir leur liaison terrestre avec Constantinople. L’armée serbe, conduite par le vieux roi Pierre Ier, doit se replier et, après une mémorable retraite, est recueillie à Durrësi par la marine française. Pour répondre à ce coup de force, une armée alliée d’Orient, confiée à Sarrail, est constituée en octobre à Salonique, où les Franco-Anglais replient leurs unités des Dardanelles, dont ils décident l’évacuation (déc.). Cependant, l’attitude de la Grèce, dont le roi Constantin Ier est le beau-frère de Guillaume II, demeurera longtemps équivoque en dépit des efforts de Venizélos pour entraîner son pays dans les rangs de l’Entente.