Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique latine (suite)

À partir de 1938, le cinéma mexicain prend une extension considérable. En six ans vont débuter 79 nouveaux réalisateurs. La production est en constante augmentation (21 films en 1933, 58 en 1938, 81 en 1945, 121 en 1950). Les acteurs connaissent une célébrité internationale : outre Dolores del Río et Pedro Armendáriz, dont la carrière se partage entre leur pays d’origine et les États-Unis, se révèlent le comique Cantinflas, Arturo de Córdova, Jorge Negrete, María Félix.

La nouvelle promotion de cinéastes trouve son porte-parole en la personne d’Emilio Fernández, qui pendant dix années (1943-1953) va conduire le cinéma mexicain à ses sommets. Les films de Fernández — et de son opérateur Figueroa — ont, par leur notoriété même, laissé dans l’ombre certaines autres œuvres qui eurent aussi le grand mérite de chercher — sans toujours y parvenir pleinement — à s’écarter des chemins battus d’un folklorisme envahissant. Ainsi Julio Bracho : l’Aube (Distinto amanecer, 1943), la Femme de tout le monde (La Mujer de todos, 1946), María la Voz (1954) ; Roberto Gavaldón : La Barraca (1944), Mains criminelles (En la palma de tu mano, 1950), Macario (1960) ; Alejandro Galindo : Champion sans couronne (Campeón sin corona, 1945), Espaldas mojadas (1953), Los Fernández de Peralvillo (1953) ; Alfredo Crevenna : la Rancune de la terre (El Rencor de la tierra, 1949), la Révolte des pendus (La Rebelión de los colgados, 1954) ; Benito Alazraki : Racines (Raíces, 1953) ; Ismael Rodríguez : Nous les pauvres (Nosotros los pobres, 1947), Animas Trujano (1961) ; et Carlos Velo : Toro (¡Torero !, 1955), Pedro Páramo (1967). Dès 1952, cependant, une crise grave, qui se prolonge pendant une douzaine d’années, paralyse le cinéma mexicain. Cette ankylose touche surtout les structures de l’industrie cinématographique, mais se répercute aussi sur le travail artistique proprement dit des cinéastes : traditionalisme des scénarios (on tourne de nombreux films populistes, qui se réclament assez hypocritement d’un néo-réalisme dépassé, ou des comédies, qui rencontrent un certain succès public mais ne parviennent cependant pas à s’exporter), vieillissement des techniciens, qui entendent conserver leurs privilèges et barrent la route aux « jeunes » (de 1950 à 1965, sept nouveaux réalisateurs seulement parviennent à s’immiscer parmi la cohorte des « anciens »).

Enfermé dans ses propres contradictions, le cinéma mexicain n’apparaît plus dans les palmarès des festivals internationaux, sauf en de rares occasions. C’est Luis Buñuel* qui sauve le Mexique de l’oubli des cinéphiles en tournant dans ce pays d’adoption quelques-unes de ses meilleures œuvres : Los Olvidados (1950), la Montée au ciel (Subida al cielo, 1951). Robinson Crusoë (1952), El (1952), la Vie criminelle d’Archibald de la Cruz (1955), Nazarin (1958), l’Ange exterminateur (1962), Simon du désert (1965). Buñuel reste néanmoins un auteur « marginal », dont la renommée flatte le cinéma mexicain sans réussir à le transformer.

La production tombe à 30 films en 1962. Une réaction timide d’abord, puis de plus en plus hardie, essaie d’imposer un « nuevo cine ». Ses partisans ne sont pas tous des jeunes. Ce grupe hétérogène, sans négliger l’exploitation du vieux fond social et des chevauchées patriotiques, cherche surtout à rompre des lances contre les conservateurs, dont la technique n’a pas évolué depuis une vingtaine d’années. Les meilleurs représentants des années 1960 et 1970 sont Luis Alcoriza : les Jeunes Gens (Los Jóvenes, 1960), Toujours plus loin (Tarahumara, 1965), le Présage (Presagio, 1974) ; Servando Gonzales : Yanco (1960), Viento negro (1964) ; José Bolanos, Archibaldo Burns, Alberto Isaac, Paul Leduc, Arturo Ripstein et surtout José Miguel García Ascot : Sur le balcon vide (En el balcón vacío, 1960) et Felipe Cazals (Canoa, 1975) ; enfin Alexandro Jodorowski : El Topo (1970), la Montagne sacrée (La Montaña sagrada, 1972).


Argentine

La première représentation cinématographique a lieu le 28 septembre 1896. L’année suivante, Eugenio Py tourne le Drapeau argentin (La Bandera argentina), l’un des premiers petits documentaires ; mais la véritable histoire du cinéma argentin commence en 1908, quand l’Italien Mario Gallo produit, dirige et photographie la Fusillade de Dorrego (El Fusilamiento de Dorrego). Le cinéma remporte assez vite un succès non négligeable, et les années 1915-1920 imposent certains films de valeur comme Noblesse oblige (Nobleza gaucha, 1915) d’E. Martínez et E. Gunche, La Resaca (1916) d’Atilo Lipizzi, les Habitants de la Leonara (Los Habitantes de Leonara, 1917) de C. A. Gutiérrez ou Juan sin ropa (1918) d’Hector Quiroga et Benoit. Le cinéma est alors fort tributaire du théâtre. Cette tendance se poursuivra longtemps, mais sera très concurrencée par les films à caractère folklorique. Gaucho, pampa et tango : trois mots magiques dont les producteurs useront et abuseront pour attirer le chaland. Aux côtés d’Edmo Cominetti, de Carlos Campogalliani et de Julián Ajurja (auteur d’Une jeune et glorieuse nation [Una joven y gloriosa nación, 1928], film interprété par des acteurs hollywoodiens), le cinéaste marquant de l’époque « muette » et des débuts du « parlant » est José A. Ferreyra : Buenos Aires ville des rêves (Buenos Aires ciudad de sueños, 1922), le Petit Orgue du soir (Organito de la tarde, 1925), Muñequitas porteñas (1931). À partir de 1934, la production va augmenter régulièrement (7 films en 1934, 50 en 1938), pour se stabiliser ensuite autour d’une quarantaine de longs métrages annuels. Parmi les cinéastes les plus représentatifs, il faut citer Luis Saslavski : la Fuite (La Fuga, 1937), la Porte fermée (Puerta cerrada, 1939), la Dame fantôme (La Dama duende, 1945) ; Francisco Mugica : Ainsi va la vie (Así es la vida, 1939); Luis C. Amadori, L. Torre-Rios et le Français Pierre Chenal. Mais deux réalisations tranchent nettement sur la production courante par leur souci de créer une authentique cinématographie nationale, débarrassée des influences folkloriques de plus en plus superficielles qui avaient alors tendance à monopoliser les écrans : Vent du nord (Viento norte, 1937), de Mario Soffici, et la Guerre des gauchos (La Guerra gaucha, 1942), de Lucas Demare. L’un et l’autre de ces deux cinéastes marqueront de leur talent certains de leurs films ultérieurs : Prisonniers de la terre (Prisioneros de la tierra, 1939), Héros sans gloire (Héroes sin fama, 1940), Terre de feu (1948) et Rosaura de dix heures (1958) pour Soffici, et Derrière le grand mur (1958) pour Demare.