Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

groupe (suite)

Précisons encore notre problème. Nous devons, dans les conditions actuelles de la vie d’un groupe, chercher comment s’y développent et évoluent les identifications qui constituent la matrice d’une culture ; et puisqu’une telle question n’apparaît justiciable d’un traitement expérimental que dans le cadre des groupes restreints, il convient de nous demander par quelle procédure la question d’une identification culturelle peut y être effectivement évoquée.

L’ambition d’un tel projet pouvait apparaître comme confinant à l’utopie scientifique avant que K. Lewin n’ait apporté le soutien d’une théorie générale du champ à la preuve expérimentale de sa légitimité. Conduite entre 1937 et 1940, cette recherche vise l’influence de l’attitude « autoritaire » ou « démocratique » du moniteur sur l’atmosphère et sur le travail d’un groupe d’enfants ; sa portée au regard d’une anthropologie culturelle expérimentale des groupes restreints tient de l’équivalence de la « reconnaissance » ou du statut des membres du groupe avec l’identification psychanalytique, du leader avec l’autorité extérieure qu’intègre le surmoi, de l’atmosphère suscitée par le mode d’action du leader avec l’idéologie. Ainsi, les divers moments dégagés par l’analyse culturaliste issue de la psychanalyse se retrouvent transposés dans l’investigation des processus de groupe. Simplement, le concept de genèse perdra la signification d’une histoire du développement, qui lui était attachée dans la société globale, pour viser l’émergence de certaines normes de comportement en fonction des conditions actuellement assignables dans les groupes expérimentaux.

Dynamique, cette analyse l’est donc par l’élaboration d’un système de concepts propres à déterminer la variation spatio-temporelle du groupe. Et elle a effectivement servi de prototype à un grand nombre de travaux expérimentaux. Mais elle a révélé aussi ses limites dans l’insuffisance de son élaboration formelle. La méthode consiste en effet en une construction progressive qui, à partir d’un « univers d’éventualités », détermine les événements observables en fonction des contraintes inscrites dans la structure du champ. Concrètement, cela signifie, par exemple, que l’on traitera comme « contraintes » ou comme restrictions du champ des éventualités les entraves apportées par un leader « autoritaire » à l’accomplissement des initiatives spontanées des sujets. K. Lewin, conscient qu’il était de la disproportion de cette exigence au degré d’avancement de la psychologie, n’a, cependant, pas poussé la formalisation rigoureuse de sa méthode. La question n’en était pas moins posée de savoir si l’affinement convergent des techniques mathématiques de formalisation et de la technique expérimentale n’en autoriserait pas ultérieurement la mise en œuvre.


Le problème des modèles formels

De là, un troisième type de modèles, celui des modèles formels. L’impulsion sous laquelle ceux-ci ont pris naissance est sans doute antérieure à K. Lewin : un historique plus poussé aurait, en particulier, à montrer leur dépendance à l’égard de V. Pareto et de L. von Wiese. Mais ces tentatives sont demeurées spéculatives. Plus intéressant, du point de vue du développement et de la critique des méthodes, apparaît le courant issu, entre les deux guerres, de la sociométrie de Jacob Levy Moreno : il illustrera en particulier la fonction de généralisation remplie par les mathématiques dans la mise en forme d’une pratique élémentaire.

Emery Stephen Bogardus, entre 1918 et 1925, avait en effet conçu, avec l’« échelle de distance sociale », l’une des premières tentatives de mesure en psychologie sociale, celle de l’« acceptabilité » de groupes nationaux minoritaires. L’apport de Moreno devait alors consister à inscrire ces relations dans une situation donnée hic et nunc et à en assurer la figuration spatiale par le moyen de liaisons orientées. Le problème demeurait cependant de dépasser le niveau de l’illustration pour atteindre à une représentation véritable des concepts. Cette démarche de formalisation s’est prononcée en de multiples directions qui s’inscrivent — à l’encontre de l’impulsion dynamiste de K. Lewin — dans le cadre d’une analyse de type béhavioriste.

Ainsi, J. H. Criswell, H. Solomon et P. Suppes distinguaient, dans un bilan présenté en 1962, entre l’analyse mathématique des « caractéristiques du stimulus » et l’analyse mathématique des « caractéristiques de la réponse ». Du premier point de vue, la situation expérimentale qui donnera prise à la formalisation est comparable à un comptabilisateur social où le sujet est censé recevoir deux types d’informations : les unes concernent des demandes du milieu (social en l’occurrence), qui, selon qu’elles seront ou non satisfaites, donneront lieu, d’après la terminologie béhavioriste, à récompense ou à punition ; les autres concernent certains moyens de satisfaction correspondant à ces demandes. Des modèles mathématiques sont alors conçus pour s’ordonner à l’analyse des tâches (procédures de type factoriel, éventuellement élargies selon l’élaboration de Louis Guttman), à leur utilité pour le sujet (dans l’acception mathématique des fonctions d’utilité) et à l’information (dans le registre de la théorie mathématique classique). Pionnier de ces recherches en France, Claude Flament, notamment, a contribué à en élargir le champ, en étudiant les éléments qui aident le sujet à estimer la probabilité qu’une stimulation donnée se soit produite, et conclut à la mise en œuvre d’une procédure de type bayesien. Du second point de vue, outre la théorie classique de l’espérance mathématique, s’appliquera la théorie contemporaine des décisions et des jeux. L’ensemble de ces méthodes, enfin, aboutit à la constitution de modèles d’interaction s’appuyant sur la théorie logico-mathématique des relations.

Mais la difficulté est alors d’assurer la liaison entre cette représentation formalisée et l’exigence perspectiviste, consacrée par la méthodologie de K. Lewin ; faute de quoi, la théorie échouerait à se donner ses points d’ancrage empirique dans la relation inhérente à tout processus psychologique, et en particulier aux processus de groupe. Il revenait à Clinton Burgel De Soto d’en faire la démonstration en 1960 sur l’exemple de l’étude expérimentale des réseaux.