Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

groupe (suite)

Nous venons, en effet, de proposer du groupe restreint une notion méthodologique. On objectera qu’il requiert, à tout le moins et pour sa définition même, une communauté d’implication et d’intérêt. Faute de quoi nous substituerions à l’expérience qu’en ont effectivement ses membres la représentation que s’en forme l’expérimentateur. Le vis-à-vis, dans cette acception, n’exprimerait plus une proximité spatiale, mais la participation d’une même situation et, à la limite, une participation existentielle. Mais, tout d’abord, la difficulté est justement de préciser la nature de cette identification des membres du groupe. Pour peu que l’élaboration en soit poursuivie, elle devra recevoir un statut théorique. Or, nous ne préjugeons aucunement de ce statut. L’objection se réduit donc à souligner que la construction à laquelle nous visons doit admettre une mise en perspective des processus de groupe par ceux-là mêmes qui y participent, et nous donner les moyens conceptuels de la déterminer.

Une autre objection viserait la mise en œuvre du programme expérimental. L’étude psychosociale des groupes restreints se propose de parvenir à une théorie générale dont les processus spécifiés seraient dérivés. Or, les réductions que l’on vient d’esquisser ne cessent de s’appuyer sur des groupes réels. Il semble donc que nous renoncions à constituer expérimentalement une théorie pure des groupes. Le problème, cependant, n’est, une fois encore, que de méthode. Il s’agira seulement de donner forme à une situation expérimentale, telle que ses conditions d’instauration y figurent comme éléments intégrants des processus proposés à l’analyse.

Les deux exigences que nous venons d’énoncer — mise en perspective des processus, constitution d’un type expérimental opérationnellement défini dans sa pureté par le système de leurs conditions de variations — sont à l’origine de la dynamique de groupe. Celle-ci, inaugurée par K. Lewin* en 1937 et culminant dans sa conception des groupes de diagnostic en 1946, demeure aujourd’hui même la source la plus féconde des applications de la théorie des groupes dans les domaines les plus variés. On n’en comprendra cependant l’originalité, et aussi les limites, qu’en la situant par rapport au courant d’idées issu du xixe s. et qu’a renouvelé l’avènement de la psychanalyse.


Vers une anthropologie culturelle expérimentale

La première des formes sous laquelle s’est opérée la conceptualisation du groupe est la représentation organiciste de Herbert Spencer. L’origine du modèle, cependant, en fixe les limites : d’inspiration biologique, il n’a aucun égard à la rupture de niveau qui marque le passage de l’ordre vital à l’ordre de la culture. La contribution de S. Freud* a consisté à pousser l’analyse jusqu’à la formation même du lien social, pour ainsi donner assise à une théorie stratifiée des relations humaines. Encore faut-il souligner qu’elle la fonde plutôt qu’elle n’en assure le développement.

Dans l’acception proprement psychanalytique, les divers types de groupes s’ordonnent en effet en une série qui procède du simple au complexe et dont les termes peuvent être caractérisés du double point de vue de l’extension et du contenu :
1o La relation amoureuse inclut le moi et l’objet. Elle repose sur la coexistence de tendances directes et de tendances déviées quant au but ;
2o L’hypnose est également un rapport duel ; elle se distingue de la relation amoureuse du point de vue dynamique, en ce que les tendances qu’elle engage sont essentiellement inhibées quant au but, et du point de vue topique, en ce que l’objet y vient à la place de l’idéal du moi ;
3o La masse a les mêmes caractéristiques dynamiques et topiques que l’hypnose. D’une part, elle tient sa cohésion de tendances inhibées quant au but ; d’autre part, l’objet occupe la place de l’idéal du moi. Elle se spécifie pourtant par une caractéristique qui l’affecte en extension : l’identification entre individus, identification qui, précise S. Freud, a peut-être été rendue possible par la similitude de son rapport à l’objet. La masse, par ailleurs, peut être inorganisée, à la manière de la horde ; elle peut être organisée, à la manière d’une Église ou d’une armée. Dans tous les cas, elle est une formation régressive, pour autant que l’identification qui la spécifie se produit aux lieu et place du choix d’objet ;
4o Concrètement, « chaque individu fait partie de plusieurs foules, présente les identifications les plus variées, est orienté par ses attaches en des directions multiples et a construit son idéal du moi d’après les modèles les plus divers. Chaque individu participe ainsi à de nombreuses âmes collectives » (Psychologie collective et analyse du moi, 1920).

Cette théorisation n’engage pas encore spécifiquement la formation sociale que nous avons définie comme « groupe restreint ». Simplement en prescrit-elle le fondement dans les trois catégories sous lesquelles nous sommes appelés à penser les processus de groupe en général : énergie, structure, sublimation. De sa plasticité à s’ordonner aux mutations de la structure, l’énergie pulsionnelle tient en effet son statut d’énergie « psychique », et l’on verra se préciser avec le développement de l’œuvre freudienne cette conception des niveaux de socialisation. Le changement de but par lequel se définit la sublimation aurait donc à se spécifier en chacun des niveaux de cette stratification, et en particulier au niveau de cette structure sociale originale qu’est le groupe restreint.

Mais cette tâche relève d’une autre discipline que la psychanalyse : en premier ressort, de l’anthropologie culturelle, dont Margaret Mead a posé les principes dans son introduction de 1937 à l’ouvrage collectif Cooperation and Competition among Primitive Peoples (1937).

Mais nous ne pouvons expliquer par un retour à des types anachroniques d’identification les processus actuels. Tout au contraire, nous devons chercher dans le présent les conditions de certaines modifications de structure, dont il est sans doute possible de montrer qu’elles sont isomorphes à des figures antérieures du développement, mais qui ne portent des effets dans la situation actuelle qu’au titre de facteurs actuels de changement.