Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

groupe (suite)

La typologie marxiste simplifie l’analyse des groupes en fonction du seul facteur économique que constituent les modes de production (classes sociales), estimant que c’est en cela que réside la clef de l’édifice social, dont tous les autres éléments découlent nécessairement. L’enquête sociologique, elle, qui utilise des méthodes quantitatives et statistiques, néglige fréquemment la typologie des groupes au profit des catégories sociales que constituent l’âge, le sexe, la densité d’habitation du lieu de résidence, le niveau d’instruction, etc. Dans les enquêtes de marché, on tient compte en particulier des catégories socioprofessionnelles (ouvriers manuels, employés, cadres moyens, cadres supérieurs, etc.). Ces catégories mettent en général sous la même rubrique les militaires, le clergé et les artistes, ce qui montre bien que le critère retenu (niveau de revenus par exemple) n’a pas grand-chose à voir avec le concept de groupe.

Dans le cadre d’une sociologie dynamique, au-delà de ce découpage social et de l’analyse des tensions entre les groupes, l’analyse porte sur la mobilité sociale, c’est-à-dire sur le passage d’un individu d’un groupe à un autre.

La typologie des groupes présente donc essentiellement l’intérêt, outre son caractère descriptif, de souligner l’importance des distorsions ou des ruptures de la trame sociale, donc le caractère dialectique de la société, et de fonder l’analyse de la mobilité sociale, qui prend une importance considérable parmi les recherches empiriques de ces dernières années.

H. F.


Psychosociologie des groupes restreints, dynamique des groupes

Des adolescents s’excitant les uns les autres à la sortie d’un bal, des administrateurs de société discutant d’une augmentation de capital, un gang d’enfants, l’équipage d’un bombardier, les membres d’un atelier se répartissant entre leurs postes de travail constituent des groupes. L’une des tâches les plus stimulantes de la psychologie sociale contemporaine est de rechercher si les phénomènes qui tombent ainsi sous l’observation ne seraient pas justiciables d’un seul et même univers de discours, c’est-à-dire, en principe, d’un système cohérent de lois et de relations sur le fondement duquel leurs traits caractéristiques viendraient à s’articuler. Il s’agit de rompre, en d’autres termes, avec la notion vague d’un groupe défini par son extension, pour tenter d’établir des concepts opératoires ; alors seulement les processus inhérents aux divers types de groupes pourront-ils être déterminés dans leur champ spécifique, ainsi que le demande la pratique. Supposons, par exemple, que nous ayons réussi à ordonner, en les rapportant à un ou à plusieurs facteurs de variation, les modes de dépendance des participants d’un groupe par rapport au style de direction d’un leader. Nous ne pourrons, évidemment, spécifier qu’à l’aide de nouveaux paramètres l’action effective d’un chef de gang, d’un moniteur universitaire ou d’un président d’assemblée politique. L’autonomie des domaines concrets dont elle relève sera donc ainsi préservée ; mais elle le sera dans un système de relations dynamiques, tel que les processus singuliers puissent en être précisément dérivés selon les règles du système.

Le concept de groupe, ainsi entendu, est donc une construction ; encore reste-t-il à en produire les titres méthodologiques ; le problème essentiel, à cet égard, reste celui de la délimitation, dans le tissu de la société globale, du champ d’analyse correspondant aux groupes restreints. Plaçons-nous, en effet, dans la perspective d’une théorisation sociologique du type de celle de Durkheim : aucune expérience intermédiaire entre la perspective individuelle et la société globale objective, statistiquement analysable, et donc aucune prise empirique pour une psychosociologie des groupes restreints ne semble possible.

Or, non seulement cette expérience existe, mais elle est originelle : tel est, autour de 1930, l’apport décisif de la Gestalttheorie*.

Faisons en effet, avec A. Michotte, varier la forme, la position, la vitesse, l’orientation, les temps respectifs de départ, en bref la configuration spatio-temporelle de différents mobiles. Nous verrons corrélativement varier l’appréciation d’un observateur quant aux « influences » qui sont censées se propager à travers ce champ et que traduira l’assignation spontanée de rapports de causalité entre ces mobiles. Ceux-ci, par exemple, auront d’autant plus de chance d’être formulés que les mobiles étaient plus rapprochés au départ.

Or, cette représentation dynamique, qui dérive spontanément des données immédiates de la perception, se trouve, non moins spontanément, hantée d’intentions. Les mobiles, en tant qu’ils forment un système, apparaissent comme dotés d’une finalité qui les apparente aux membres d’un groupe. À plus forte raison serons-nous fondés à estimer que la perception que nous avons d’un ensemble d’individus en tant que groupe porte, elle aussi, les caractères d’une Gestalt primitive.

L’expérience de la structure assure donc d’une idée régulatrice la construction de la notion de groupe, et il n’est que de développer cette idée sur le plan théorique pour lever l’antinomie posée par E. Durkheim. Du moment que les processus individuels sont conçus comme structurés, ils doivent en effet apparaître, à ce titre, comme susceptibles d’être articulés entre eux et au champ global. Ainsi, Kurt Koffka, dans ses Principles of Gestalt-Psychology (1935), envisage l’équilibre du champ social global comme la résultante des équilibres partiels intervenus entre la Gestalt du groupe et chacun des champs individuels, eux-mêmes en interaction réciproque.


Du vécu à la théorie

Le problème, du point de vue méthodologique, est alors de faire fonctionner cette notion de manière à dégager les processus d’interaction caractéristique des groupes restreints de la réalité sociologique où nous les trouvons inscrits. Pour préciser sur un exemple, évoquons la série des réductions auxquelles aurait à se prêter, sur une société de grand format, une enquête statistique, telle qu’un sondage d’opinion (v. enquête). Tenons-en d’abord les résultats pour acquis. Une nouvelle étape consisterait à intégrer les diverses éventualités d’opinions en une multiplicité de types cohérents. Elle trouverait son illustration dans l’étude qu’a faite Th. Adorno* de la « mentalité fasciste ». Nous pourrions alors, en un troisième temps, poser la question des conditions effectives d’avènement de ces types dans une société : autrement dit, entreprendre l’analyse des processus dont ils sont les effets. À la détermination abstraite des propriétés statistiques succédera, dans cette perspective, l’investigation de la vie réelle d’un groupe. Mais notre tâche est loin d’être achevée. Les processus que nous cherchons à décrire peuvent, en effet, impliquer un volume de population très variable. Faut-il désigner par convention comme « groupe restreint » la collection des individus dont nous pourrions avoir la saisie empirique globale ? Ce serait retomber d’abord dans la confusion de la notion théorique du groupe et de l’expérience qui en sous-tend génétiquement la notion ; ce serait également s’interdire de caractériser le groupe restreint en tant que tel. Serre-t-on maintenant la difficulté, on verra qu’elle tient à l’imprécision de la notion d’échelle. Nous nous exprimons comme si elle se réduisait à une variation quantitative. Elle consacre en vérité un changement dans le système de référence théorique. Et, de ce point de vue, la définition du groupe restreint apparaît des plus simples. Nous désignerons comme tel le groupe expérimental, celui que nous pouvons tenir non sous aperception d’un seul regard, mais sous la prise d’une unique et cohérente variation dans les facteurs déterminants du processus. Réalité concrète non pas au sens perceptif, mais dans une acception rigoureusement épistémologique — c’est-à-dire dans les limites où un tel groupement donne prise à un ensemble cohérent de variations empiriques.

Deux remarques s’imposeront ici. L’une concerne la part qui revient au « vécu » collectif dans la définition du groupe, l’autre la distinction des groupes « réels » et des groupes « artificiels ».