Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique latine (suite)

L’apparition massive des immigrants européens, vers la fin du siècle dernier, a enfin contribué de façon certaine à la constitution des musiques nationales de l’Amérique latine. Non seulement ils ont apporté une conception toute faite de ce que la musique signifie dans la vie quotidienne — et le nombre des pays où l’on a composé des opéras sur des livrets en langue italienne est en proportion directe avec le contingent des immigrants italiens —, mais encore ils ont déterminé, dès la deuxième génération, la direction des influences européennes ultérieures ; le fait que les jeunes musiciens des républiques américaines se soient dirigés vers la France — d’abord la Schola, ensuite Nadia Boulanger —, vers l’Italie (Milan, Rome, Naples) ou vers l’Allemagne (Leipzig, Berlin) est aussi en rapport avec le type d’immigration dominant dans chaque contrée.


Musiciens et écoles musicales

La période coloniale de l’Amérique latine se place sous le signe direct de la musique espagnole contemporaine, alors à son apogée. Le Mexique possède dès le xvie s. une imprimerie musicale, et offre quelques compositeurs dignes de mention, de Juan Navarro (xvie s.) à José Aldana († 1810). La république Dominicaine et Cuba, le Venezuela et l’Équateur, ainsi que le Pérou comptent quelques figures intéressantes dans cette période (Cristóbal de Llerena, xvie s. ; Esteban Salas, 1725-1803 ; le P. Sojo, 1739-1799 ; Manuel Blasco de Nebra, xviiie s. ; le P. José de Orejón y Aparicio, 1690 ?-1765). Mais l’époque de l’indépendance marque l’éveil réel de l’activité musicale, sous le signe du romantisme, en particulier du romantisme italien. Le Mexicain Melesio Morales (1838-1908), le Dominicain Juan Bautista Alfonseca (1810-1875), le Cubain Ignacio Cervantes (1847-1905), la Vénézuélienne Teresa Carreño (1853-1917), tout en étant des musiciens intéressants, pâlissent devant le Brésilien Carlos Gomes (1836-1896), dont les succès à la Scala de Milan (Il Guarany, 1870 ; Lo Schiavo, joué à Rio de Janeiro en 1889) marquent le commencement d’un état de choses jusqu’alors inconnu : le fait qu’un compositeur de l’Amérique latine puisse soutenir la comparaison avec des musiciens européens, en Europe, et dans un genre de musique cultivé avec succès par des compositeurs européens.

La fin du xixe s. s’écoule, à peu près partout, sous le signe du nationalisme musical. Manuel Ponce (Mexique, 1886-1948), Daniel Alomía Robles (Pérou, 1871-1942), Alfonso Broqua (Uruguay, 1876-1946), Leopoldo Miguez (Brésil, 1850-1902) et Alberto Williams (Argentine, 1862-1952) sont les chefs de file de ce mouvement, qui adapte, tant bien que mal, les idiotismes de la musique autochtone aux subtilités de la musique européenne fin de siècle. Leur effort contribue néanmoins à l’éclosion d’une musique techniquement et esthétiquement plus digne ; nombre de compositeurs plus jeunes profiteront de leur exemple, soit directement, soit par réaction. Au Mexique, à côté d’un pionnier authentique comme Julián Carrillo (1875-1965), il faut citer deux maîtres : Silvestre Revueltas (1899-1940) et Carlos Chávez (né en 1899). L’école cubaine est centrée autour de José Ardévol (Barcelone, 1911) et Amadeo Roldán (1900-1939) ; la figure, un peu solitaire, de Guillermo Uribe-Holguín (né en 1880) honore la musique de Colombie, de même que celle d’Eduardo Fabini (1883-1950) suffit à donner du prestige à la musique uruguayenne. Nombre de bons musiciens (Próspero Bisquertt, né en 1881 ; Carlos Lavín, né en 1883 ; Enrique Soro, né en 1884 ; Humberto Allende, né en 1885) entourent le principal compositeur du Chili, Domingo Santa Cruz Wilson (né en 1899) ; après un maître distingué (Alberto Nepomuceno, 1864-1920), d’autres compositeurs (Luciano Gallet, 1893-1931 ; Francisco Mignone, né en 1897 ; Oscar Lorenzo Fernández, 1897-1948) méritent d’être nommés avec Heitor Villa-Lobos (1887-1959), le compositeur brésilien le plus important ; et, après les compositeurs de l’école nationaliste (Julián Aguirre, 1868-1924 ; Carlos López Buchardo, 1881-1948), il faut citer, en Argentine, Juan Carlos Paz (1897-1972) et Alberto Ginastera (né en 1916).

D. D.


Le cinéma de l’Amérique latine


Mexique

Le cinéma fait son apparition au Mexique grâce à l’enthousiasme d’un jeune ingénieur des Mines, Salvador Toscano Barragán, qui inaugure le 15 août 1896 la première salle de cinéma avec un programme comportant les bandes des frères Lumière. Ne se contentant pas du simple rôle d’agent de diffusion, Barragán tourne dès 1898 le premier petit film de fiction mexicain, Don Juan Tenorio, d’après l’œuvre de José Zorrilla y Moral, et consacre ensuite une vingtaine d’années à enregistrer sur pellicule l’histoire mouvementée de son pays, recueillant ainsi d’irremplaçables documents, qui seront réunis plus tard dans un film de montage exploité sous le nom de Souvenirs d’un Mexicain (Memorias de un Mexicano).

Il faut attendre les années 1910-1920 pour voir les premiers longs métrages, tous plus ou moins ostensiblement inspirés des « drames à l’italienne ». Dans ce style, Orgueil fatal (Fatal Orgullo, 1916), de Felipe de Jesus Haro et Manuel de la Bandera, malgré son échec commercial, et La Luz (1917), de Manuel de la Bandera, feront date, comme trois ans plus tard dans un genre tout différent le sérial d’Enrique Rosas : la Bande de l’automobile grise (El Automóvil gris).

Outre celui du chef opérateur Ezequiel Carrasco, passé documentaliste avec la Lutte pour le pétrole (1924), le cinéma muet révèle le talent de Miguel Contreras Torrès : De race aztèque (De raza azteca, 1922), l’Homme sans patrie (El Hombre sin patria, 1922).

Mais, à partir de 1925, le Mexique sert de tremplin à la voracité conquérante des grandes firmes américaines, qui cherchent à étendre leur domination sur le marché latino-américain. La production nationale subit une crise, que la révolution du film sonore ne fera qu’accentuer. Certains acteurs n’hésitent pas à répondre aux offres de Hollywood (ainsi Ramón Novarro, Dolores del Río, Lupe Vélez), et la plupart des studios mexicains végètent en attendant quelque miracle. Le premier film sonore, Plus fort que le devoir (Más fuerte que el deber, 1930), de Rafael Sevilla, sans connaître cependant un grand succès public, ouvre la voie à une longue série d’œuvres commerciales : comédies folkloriques, mélodrames larmoyants, opérettes sentimentales, qui feront sortir le cinéma mexicain de sa léthargie. Sur le plan artistique, le tournage du célèbre Que viva Mexico !, de S. M. Eisenstein, en 1932, est d’une tout autre importance. Mais le grand réalisateur soviétique, à qui le romancier américain Upton Sinclair avait commandé une vaste fresque épique à la gloire du peuple mexicain, rencontra en cours de route divers obstacles qui lui interdirent de mener à bien son entreprise, et surtout d’en assurer le montage final. Néanmoins, les fragments de l’œuvre, qui furent ultérieurement projetés (sous les titres suivants : Tonnerre sur le Mexique, Kermesse funèbre, Time in the Sun et Eisenstein’s Mexican Project), témoignent de la puissance créatrice d’Eisenstein et de son opérateur Edouard Tissé. L’influence d’Eisenstein n’eut cependant pas les effets escomptés, les cinéastes mexicains se préoccupant essentiellement de répondre aux goûts d’une clientèle populaire peu exigeante du point de vue technique et artistique. Cependant, plusieurs réalisateurs parviennent à échapper à la médiocrité générale : ainsi Carlos Navarro, avec Janitzio (1934) ; Alejandro Galindo, avec Quand Mexico dort (Mientras México duerme, 1938) ; Juan Bustillo Oro, auteur d’un curieux film post-expressionniste, les Deux Moines (Dos Monjes, 1934) ; Arcady Boytler, avec La Mujer del puerto (1933), qui fera débuter l’acteur Cantinflas ; Chano Urueta, auteur d’Enemigos (1933), de la Nuit des Mayas (La Noche de los Mayas, 1939) et de Ceux d’en bas (Los de abajo, 1939) ; Miguel Contreras Torres, avec Juárez et Maximilien (1933), Simón Bolívar (1941), La Vida inútil de Pito Pérez (1943) ; et surtout Fernando de Fuentes, qui, après le Prisonnier no 13 (El Prisionero trece, 1933), signe deux œuvres de valeur sur la Révolution nationale : El Compadre Mendoza (1933) et Suivons Pancho Villa (Vámonos con Pancho Villa, 1935). Il faut aussi signaler un curieux essai de néoréalisme prenant pour thème une révolte de pêcheurs, les Révoltés d’Alvaredo (Redes, 1934), dû à l’opérateur Paul Strand, à Fred Zinnemann, alors débutant, et au Mexicain Gómez Muriel.