Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Grèce d’Occident (suite)

Malheureusement, à ces conflits sauvages (plus farouches que les joutes de la région égéenne) s’ajoutent les désolants combats qui opposent entre elles les cités grecques, qui doivent, pour survivre, recevoir périodiquement l’apport de nouveaux immigrants : au début du ive s. av. J.-C., il faut, pour sauver Syracuse, que Timothée y conduise 60 000 nouveaux immigrants corinthiens.

Pourtant, le mirage de l’Ouest continue de peupler les rêves des Grecs, particuliers tentés par le départ, hommes d’État, comme Périclès* qui veut fonder Thourioi, Alcibiade* ou Pyrrhos* qui pensent pouvoir y bâtir un empire.


La vie des cités

Si les Grecs de l’Égée furent, dès le ve s. av. J.-C., capables de se prémunir contre les dangers de l’autocratie (à Athènes, les Pisistratides avaient été expulsés à la fin du vie s.), les Occidentaux, toujours menacés de l’extérieur par les Barbares, souvent divisés au sein de leur cité, préférèrent bien des fois s’en remettre à l’autorité d’un maître plutôt que d’assumer démocratiquement leurs responsabilités.

Aucune terre grecque ne fut plus fertile en tyrannies. Ainsi, à Syracuse, c’est un tyran, Gélon, qui mena les Grecs contre les Carthaginois et remporta sur eux la victoire d’Himère (480 av. J.-C.) le jour où les coalisés de la ligue de Corinthe remportaient sur les Perses la victoire de Salamine : il sut constituer un empire dont il partageait la direction avec son allié Théron d’Agrigente ; à sa mort, en 478 av. J.-C., assurant la continuité du pouvoir autocratique, il laissa son pouvoir à Hiéron.

La démocratie put ensuite s’installer, mais elle eut beau remporter de gros succès sur les ennemis de la cité en contenant les Sicules, qui, menés par Ducetios, s’étaient, dans l’île, rendus indépendants en écrasant l’armada athénienne de Nicias (contraint, à son corps défendant, de prendre la responsabilité de l’expédition voulue par Alcibiade), ses succès n’empêchaient pas les Syracusains (surtout le petit peuple) de regretter le prestige, le luxe des tyrans ainsi que leurs accès de générosité.

Aussi, dès l’instant où la victoire cessa de sourire, quand, en 409-408 av. J.-C., eurent été prises Sélinonte et Himère par les Puniques, fut nommé un stratège autocrator (avec pleins pouvoirs), qui, sans vaine pudeur, se qualifia lui-même de tyran : Denys l’Ancien. Il sut, au cours d’un fort long règne (405-367), grâce à l’affaiblissement progressif des Carthaginois, qu’il avait lui-même vaincus (traité de 392), assurer à Syracuse* la possession d’un vaste empire en Sicile et en Italie : il tenait les détroits, avait en main Locres et Crotone, n’hésitait pas à installer bien haut dans l’Adriatique des colonies à Aucune, Issa (auj. Vis) et Pharos. Fastueux, lettré, auteur qui voulait se faire aimer des spectateurs d’Athènes, il était très apprécié du peuple ; en effet, bien différent en cela de ses contemporains, il ne méprisait pas les travailleurs, et n’hésitait pas, à l’occasion, à se rendre dans les ateliers pour encourager par sa présence les ouvriers à produire, justifiant la faveur qu’il leur faisait de ce qu’ils étaient responsables de la puissance de la cité. Son fils lui succéda, mais ne sut pas maintenir cette hégémonie.

L’heure sonnait d’un autre pouvoir : en effet, Tarente s’était donnée à Archytas en l’autorisant à remplir la charge de stratège plusieurs années de suite (367 - v. 360). Elle acquit grâce à lui en Italie la suprématie matérielle et intellectuelle ; on put croire un instant que la péninsule tout entière allait trouver des maîtres grecs, et des ambassadeurs venaient de Locres et Syracuse pour demander aux Tarentins de s’entremettre dans un conflit qui les opposait.

La Grèce d’Occident, pourtant, allait vers son déclin. L’Italie dut faire appel aux soldats de la Grèce propre pour se défendre contre les indigènes italiens et surtout contre Rome, dont la puissance devenait menaçante. Archidamos, Alexandre le Molosse, roi d’Epire, Pyrrhos ne purent empêcher qu’en 272 av. J.-C. (chute de Tarente) toute l’Italie méridionale tombât aux mains des Romains, après la bataille de Bénévent (275 av. J.-C.).

La Sicile vécut encore quelques années de sursis : le bon roi Hiéron II, qui régna à Syracuse de 265 à 215, prit le parti des Romains dans leur conflit contre Carthage ; son fils, impressionné par la victoire d’Hannibal à Cannes, eut le tort de vouloir passer du côté des Carthaginois. En 212, le consul M. Claudius Marcellus prit Syracuse, que le génie d’Archimède*, qui défendait sa cité, n’avait pu protéger de la trahison.

Le destin des deux régions de la Grèce occidentale fut assez différent. En Italie, les Hellènes obtinrent en 89 av. J.-C. comme les Italiens, la citoyenneté romaine et furent assimilés peu à peu à la romanité, grâce d’abord à l’installation auprès de leurs cités de colonies romaines à Thourioi, Crotone ; grâce aussi à l’hellénisation même de Rome. Les Siciliens, eux, restèrent provinciaux jusqu’en 44 av. J.-C. Leur situation fut rendue longtemps difficile par l’installation de nouveaux grands propriétaires, dont la dureté provoqua deux révoltes serviles (135-132 et 104-100), par la rapacité de certains gouverneurs comme Verrès (73-71). Pourtant, la richesse du sol aussi bien que l’habileté des Romains, qui avaient su maintenir en Sicile les lois de Hiéron pour la levée des impôts, permirent au pays de conserver sa prospérité, malgré tout, dans un monde où la sécurité de tous était désormais assurée.

Un philosophe au pouvoir : Archytas

C’est une des plus nobles figures de l’humanité. De 367 à 360 av. J.-C., il a pu assurer à sa cité, Tarente, le contrôle des Barbares et des Grecs ses voisins, lui garantir la tranquillité à l’intérieur. Il traitait bien ses esclaves, aimait les enfants, pour lesquels il inventa la crécelle ; sociable, il n’aurait pu goûter le plus beau des spectacles sans un compagnon pour l’apprécier. Mais il put aussi, par son génie, s’élever aux sommets de la philosophie. Fondateur d’une école pythagoricienne à Tarente, auteur d’ouvrages que l’on ne connaît plus mais que l’Antiquité citait beaucoup, il avait été le correspondant de Platon, qui, s’il lui reproche de ne pas s’élever aux problèmes métaphysiques de l’Univers, reconnaît qu’il ouvre une voie féconde en fondant par ses découvertes scientifiques une vision géométrique du monde.