Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

En outre, si l’on s’attache au mode d’expression de ces récits, on constate qu’ils se présentent sous des apparences différentes : ce sont des mythes cosmogoniques et théogoniques, qui visent à élucider l’origine du monde et des dieux, ou encore des « cycles », c’est-à-dire qu’un dieu ou un héros (Héraclès par exemple) est mis en cause, sans signification cosmique ; un autre type de ces récits légendaires est la « Nouvelle », dont l’unité est assurée par une intrigue (ainsi l’Iliade ou l’Odyssée) ; enfin un certain nombre sont étiologiques et tentent d’expliquer un fait surprenant du réel aussi bien que de découvrir l’origine d’un nom de lieu. Précisons, d’ailleurs, que nombreuses sont les interférences de ces modes d’expression, chacun empruntant souvent quelque chose à l’autre.


Les mythes de la création : cosmogonie et théogonie

Les Grecs ne conçoivent pas le monde et leurs dieux comme nés ex nihilo. Au commencement existait le Chaos, gouffre primordial, qui symbolise l’abîme originel et qui est le vide absolu, non pas un vide inexistant, mais un vide inorganisé et indescriptible. Après lui, selon Hésiode, vinrent la Terre (Gaia) et l’Amour (Éros). Du Chaos naquirent l’Erèbe et la Nuit ; de celle-ci naquirent l’Éther et le Jour, et de la Terre le Ciel (Ouranos). Suivant une tradition différente, Aristophane écrit dans les Oiseaux qu’« au commencement était le Chaos, et la Nuit, et le noir Erèbe, et le large Tartare ». La Terre engendra l’œuf primordial, d’où jaillit Éros, tandis que les deux moitiés de la coquille, en se partageant, formèrent, l’une le Ciel, l’autre la Terre. L’Amour, qui est la force permettant aux choses de se rapprocher et de s’unir, est donc le principe moteur de l’Univers naissant.

Gaia, la Terre, s’unit à Ouranos, le Ciel. De cette union sont issus les Cyclopes « aux cœurs violents » et des monstres à cent bras et à cinquante têtes, les Hécatonchires, et surtout les Titans et les Titanides, qui apparaissent, eux aussi, comme des forces élémentaires et divines. Le plus célèbre de tous les Titans est Cronos, le cadet : « Après eux, vint au monde Cronos, le plus jeune, aux pensées fourbes, le plus redoutable des enfants, et il haïssait son père florissant » (Hésiode, la Théogonie). L’histoire des dieux va commencer par un crime : poussé par Gaia, Cronos mutile Ouranos, qui, haïssant ses enfants, « méditant des œuvres infâmes », les a ensevelis dans les entrailles de la Terre. Tel est le thème de la faute, comparable chez les dieux grecs à l’idée biblique du péché originel. Cette faute entraîne la naissance de puissances menaçantes : du sang de la blessure d’Ouranos sortent les Erinyes, divinités vengeresses, et les Géants, forces redoutables, les uns et les autres étant finalement le produit de la haine d’un père pour ses fils et de la haine d’un fils pour son père.

Ce père évincé et rendu infécond, Cronos s’unit à sa sœur la Titanide Rhéa : sa mère, Gaia, lui avait en effet annoncé que le destin voulait qu’il fût un jour détrôné par l’un de ses enfants, « si puissant qu’il fût lui-même ». Il dévore ses trois filles, Hestia, Déméter, Héra, et ses deux fils, Hadès et Poséidon. Mais, lorsqu’un nouvel enfant, Zeus, est sur le point de naître, Rhéa donne à Cronos, avec la complicité de Gaia, une pierre entourée de langes, que le dieu avale. Ainsi sauvé, Zeus grandit en Crète, sous la garde des Nymphes et des Curètes, nourri par la chèvre Amalthée. Parvenu à l’âge d’homme, il veut à son tour détrôner son père. Aussi, après lui avoir fait restituer, grâce à une drogue, ses frères et sœurs qu’il avait engloutis, avec l’aide des Géants, des Cyclopes et des Hécatonchires il combat son père et les Titans qui se sont rangés du côté de celui-ci. Vainqueur, il enchaîne Cronos et les Titans dans le Tartare. Telle fut cette « titanomachie », qui vit la prise du pouvoir par les premiers Olympiens et qui est la victoire de l’esprit allié à la force sur les puissances chaotiques et désordonnées. Constatons également qu’il s’agit d’une série de substitutions : à chaque fois, le plus jeune des dieux, d’abord Cronos, puis Zeus, supplante par la violence le précédent, comme si de cette violence même et de ces usurpations devait naître, par une sorte de sélection, un pouvoir plus parfait et épuré.

Revenons à Gaia, la Terre. Seule, sans élément mâle, cette divinité primordiale donna naissance à Ouranos, mais aussi aux Montagnes et à Pontos, la Mer ou le Flot. S’unissant ensuite à ce dernier, elle mit au monde Nérée, le « Vieillard de la mer », lui-même père des Néréides, parmi lesquelles Amphitrite et Thétis. Mais Pontos fut à l’origine d’une descendance plus maléfique : son fils Thaumas engendra les Harpyes, et Phorcys, un autre fils, les Gorgones... De Tartare, Gaia eut aussi un monstre effrayant, Typhon, et le serpent-femme Echidna, elle-même mère de Cerbère, de l’Hydre de Lerne, de la Chimère, du Sphinx et d’autres êtres inquiétants. À côté des puissances bienfaisantes voient donc le jour un certain nombre de monstres que connaît la légende et que les héros auront à combattre ; dans l’esprit grec, le bien et le mal sont intimement mêlés. De la même façon, la Nuit, sœur de l’Erèbe, eut une descendance diverse : elle engendra les radieuses Hespérides, mais aussi Thanatos, la Mort, les Moires, divinités du destin, tout comme l’impitoyable Némésis, qui châtie le bonheur insolent. La création du monde et des dieux est la création de forces rayonnantes qui auront à lutter contre des forces de mort.

L’univers ainsi créé, peuplé de divinités secourables ou nuisibles, il reste à expliquer la présence de l’homme. D’après certaines légendes, celui-ci aurait été façonné avec de l’argile par Prométhée, l’un des quatre fils du Titan Japet ; à vrai dire, les mythes relatifs au premier homme ne présentent pas un ensemble cohérent et varient suivant les traditions locales. Hésiode nous conte que c’est pour l’homme que Prométhée déroba le feu du ciel ; il fut, pour cette faute, enchaîné sur un rocher du Caucase. La punition des mortels fut la création de la femme, Pandore, qui ouvrit par curiosité une jarre d’où s’échappèrent tous les maux qui y étaient enfermés ; seule demeura l’Espérance, qui se trouvait au fond. Lorsque Zeus décida de détruire la race humaine, estimant que sa malfaisance était une injure et une menace, seuls Deucalion, fils de Prométhée, et sa femme, Pyrrha, furent épargnés. La terre fut submergée par une pluie torrentielle et tous ses habitants périrent. Les deux justes qui avaient échappé à la colère du dieu formulèrent le désir de voir renaître la race de leurs frères : des pierres que Deucalion jeta par-dessus son épaule naquirent les hommes ; des pierres de Pyrrha, les femmes.