Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

Partant du problème linguistique et de la passion qu’il suscite, une nouvelle période de la littérature néo-hellénique commence. Le démoticisme s’érige en école, la « Nouvelle École d’Athènes ». En dix ans, la langue « pure » est bannie définitivement, du moins dans le domaine de la littérature. La production poétique de la Nouvelle École d’Athènes, inspirée surtout par le romantisme et l’école parnassienne, conditionne désormais l’éducation esthétique et la culture du peuple grec. Quarante ans durant, le démoticisme, avec Palamás toujours en tête, domine la vie littéraire et culturelle du pays. Les poètes appartenant à cette école sont très nombreux, et leur œuvre est riche et très intéressante à tous égards ; citons ici seulement Ghiánnis Ghrypáris (1870-1942) et Lámbros Porfýras (1879-1932). Toujours dans le cadre du démoticisme, Ánguelos Sikelianós (1884-1951), considéré comme le poète le plus lyrique de la Grèce, contribue par sa production poétique à l’ouverture de l’École vers le symbolisme, tandis que Kóstas Várnalis (né en 1884), sans s’écarter des formes traditionnelles, introduit à l’École les idées socialistes et révolutionnaires.

Le mouvement du démoticisme révolutionne aussi la prose, qui, désormais, se tourne vers la vie réelle, agraire et maritime, d’où elle puisera ses sujets. Aléxandhros Papadhiamándis (1851-1911), Andhréas Karkavítsas (1866-1922) et le socialiste Konstandínos Theotókis (1872-1923) sont les représentants principaux d’un grand nombre d’excellents moralistes qui cultivent surtout la nouvelle.

La prose néo-hellénique devra pourtant attendre la génération d’écrivains dite « des années 30 », avec en tête Strátis Myrivílis, pour se donner une technique raffinée alliée à une grande hauteur d’inspiration. Toutes les tendances de la prose européenne de l’entre-deux-guerres se retrouvent dans les romans historiques et psychologiques des écrivains de cette génération (M. Karaghátsis, K. Polítis). Le réalisme s’exprime bientôt à travers le roman social (G. Theotokás, A. Terzákis), auquel s’adonnent en même temps les premiers écrivains révolutionnaires (P. Pikrós, K. Parorítis, N. Katifóris).

Pourtant, de même que le mouvement du démoticisme n’a réussi à s’imposer que dans le domaine de la littérature — car, hésitant à se heurter de front aux forces sociales opposées à sa tentative de rénovation, il a échoué dans tous les autres domaines de l’idéologie, éducation, etc. —, de même la génération des années 30 n’a pas su élaborer des réponses aux besoins du peuple. Or, ces besoins, très pressants après la catastrophe de Smyrne en 1922 et la faillite de la « Grande Idée » de restaurer l’Empire byzantin, hantise de toute la nation après sa constitution en État depuis un siècle, nécessitaient une satisfaction rapide et radicale. Déjà, avant la Seconde Guerre mondiale, les représentants les plus illustres de la génération des années 30 sont tombés dans un certain poétisme stérile vantant une « grécité » paysanne.

Nikos Kazandzákis (Nicos Kazantzaki, 1883-1957), cependant, suit pendant la même période un chemin qui lui est propre. Son œuvre poétique, exempte de toute influence, restera méconnue. Plus tard, en se tournant vers la prose, il découvrira une Grèce exotique et quasi imaginaire pour élaborer les sujets de ses romans, qui le classeront parmi les écrivains les plus célèbres de l’après-guerre européen.

Dans le domaine de la poésie, l’évolution des idées, des formes et des tendances est de beaucoup plus importante. Déjà Kostandínos Kaváfis (Constantin Cavafy, 1863-1933), avec ses poèmes, hérétiques pour leur temps, conteste l’autorité de K. Palamás et crée le modèle d’une poésie qui, libérée de toute convention poétique traditionnelle, cherche à adapter ses moyens d’expression à son niveau d’inspiration. D’autre part, durant les années 30, Nikos Engonópoulos et Andhréas Embiríkos introduisent le surréalisme en Grèce.

La « nouvelle poésie », s’assimilant les courants littéraires européens, cherche non seulement le renouvellement de ses moyens d’expression et de ses formes, mais aussi et surtout la mise en valeur d’un monde qui n’a pu atteindre sa plénitude dans sa création culturelle. Le retour aux sources, à la tradition de la littérature crétoise ainsi qu’à celle de Solomós et de Makryghiánnis prouvera que le démoticisme n’avait exploité ces origines que superficiellement et seulement au niveau de la forme, en négligeant leur signification fonctionnelle au sein de la société grecque. Gheóghios Seféris (1900-1971), Ghiánnis Ritsos (né en 1909), Odhysséas Elýtis (né en 1911), Nikifóros Vrettákos (né en 1912), qui sont considérés aujourd’hui comme les classiques de la nouvelle poésie, ont réussi à créer une poésie moderne typiquement néo-hellénique, dont certaines réalisations ont déjà dépassé la frontière grecque.

Après les événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale, de l’occupation allemande et de la Résistance, ainsi qu’après la guerre civile et ses conséquences sur la société grecque, la poésie néo-hellénique d’après guerre est imprégnée de l’idéalisme de la Résistance et de la douloureuse expérience de son échec.

À côté des classiques de la nouvelle poésie, une nouvelle génération de poètes fait son apparition vers 1950. L’appréciation définitive de son œuvre serait prématurée ; cependant, on pourrait lui reconnaître son effort pour dépasser son pessimisme originel — poésie de la défaite — afin d’aboutir à une synthèse positive.

De son côté, la prose se développe en suivant les courants modernes de la prose européenne ; on en retiendra une synthèse néo-réaliste de la société athénienne moderne réalisée par Andhréas Franguiás, la synthèse de Strátis Tsírkas (Cités à la dérive) et la trilogie de Vassílis Vassilikós, en tant qu’une expression grecque de la révolte des jeunes.

On notera également que la conscience du retard pris par la société grecque devient actuellement l’axe de la vie culturelle du pays. La dictature du 21 avril 1967 interrompra encore une fois l’effort de rénovation qui s’était manifesté.

D. H.