Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

gratte-ciel

Immeuble de grande hauteur (trad. de l’angl. sky-scraper).


Expression majeure de l’architecture du xxe s., le gratte-ciel apparaît comme significatif de notre civilisation : produit d’une technologie avancée, il représente la domination du monde des affaires sur notre espace urbain.

L’origine du gratte-ciel est directement liée aux progrès de l’industrie : la construction en hauteur n’a été rendue possible que par l’apparition des structures métalliques, en fonte puis en acier, dont la résistance était incomparablement supérieure à celle des constructions en pierre (v. fer). C’est à l’école de Chicago* que revient, malgré bien des discussions, le mérite de l’invention du gratte-ciel, tant sur le plan d’une expression architecturale propre que sur celui des techniques.

Mais le gratte-ciel américain s’est bientôt orienté vers une esthétique plus « historiciste ». Le Woolworth Building de New York (Cass Gilbert [1859-1934], 1913) atteint 240 m de haut, mais son style est gothique perpendiculaire : Paul Morand l’a fort justement défini comme une « cathédrale de Mammon ». Après Chicago, Manhattan s’était engagé dans une course à la hauteur : Bush Terminal Buildings (Helmle and Corbett, 1918), Shelton Hotel (Arthur L. Harmon, 1924), American Radiator (Raymond Hood, 1924), New York Central Building (Warren and Wetmore, 1929), Chrysler Building (William von Allen, 1930) se succèdent pour aboutir à l’imposant Empire State Building (Shreve, Lamb and Harmon, 1930-1932), dont les 381 m regroupent 102 étages, 940 sociétés, 20 000 employés. C’est à ce type d’architecture qu’appartiendra encore, en 1949-1953, l’université Lénine de Moscou.

Les architectes modernes (et surtout Erich Mendelsohn) ne se sont pas privés de critiquer l’esthétique du gratte-ciel américain. Dès 1919-20, Ludwig Mies* van der Rohe dessinait deux projets théoriques visionnaires : forme géométrique simple, verticalité et transparence absolues. Les premiers gratte-ciel construits en style moderne aux États-Unis seront le Daily News Building (1930) et le McGraw-Hill (1931) à New York, par John Mead Howells et R. Hood. À Philadelphie, William E. Lescaze et George Howe édifieront en 1932 l’immeuble de la Savings Fund Society Building. Enfin, en 1931, consacrant l’esthétique nouvelle, commence la réalisation du gigantesque Rockefeller Center à New York (Reinhard and Hofmeister ; Harvey W. Corbett ; Harrison and McMurray ; Hood and Fouilhoux).

Second âge du gratte-ciel, l’après-guerre américain lui a donné ses lettres de noblesse : une esquisse de Le Corbusier* pour le palais de l’O. N. U. à New York — transposée par Wallace K. Harrison (né en 1895) et Max Abramovitz (né en 1908) en un bâtiment tout de verre, sur plan étroit et allongé — servira de modèle. Simultanément, Mies van der Rohe sera appelé à la réalisation de tours d’habitation (à Chicago) ou de bureaux qui restent la part la plus spectaculaire de son œuvre. Utilisant le béton, puis l’acier et le verre, il définit l’esthétique nouvelle dont ses projets de 1921 étaient une préfiguration. Avec le Seagram Building de New York (1956-1958), tour de verre fumé et d’acier noir haute de 42 étages (160 m), on pourra dire que le gratte-ciel a atteint sa perfection.

L’esthétique de Mies a été largement diffusée par des agences spécialisées telles que Harrison and Abramovitz (Corning Glass Building, New York, 1959) ou Skidmore, Owings, Merrill (SOM), dont l’architecte en chef. Gordon Bunshaft, est parvenu à une notoriété internationale : son activité s’est étendue de l’élégante Lever House (1952), avec ses vitrages teintés et ses raidisseurs d’aluminium, à la Chase Manhattan Bank (1957-1960), qui domine New York du haut de ses soixante-six étages.

Les années 60 ont marqué le début de la crise du gratte-ciel et de sa dégénérescence formelle. On a tout d’abord dramatisé la structure : ossature en portiques extérieurs auxquels se suspendent les étages (Inland Steel Building, Chicago, par SOM, 1954) ; travées hors d’échelle se superposant à la trame (Civic Center de Chicago, par C. F. Murphy avec Loebl, Schlossman and Bennett et SOM, 1961-1966) ; enfin, immenses croix de Saint-André exprimant le contreventement en façade (Alcoa Building de San Francisco par John Rodgers avec SOM, 1966).

L’évolution formelle devait aussi atteindre la paroi : dès 1952, l’Alcoa Building de Pittsburgh (Harrison and Abramovitz) était revêtu de panneaux en tôle d’aluminium emboutie. L’invention des verres réfléchissants (Eero Saarinen*, siège de John Deere and Co. à Moline, Illinois, 1961-1964) devait accentuer ce parti, comme en témoignent les Imprimeries réunies de Lausanne (1965) et l’immeuble de la rue Saint-Jean à Genève (1966), par les architectes suisses J. P. Dom et F. Maurice, ou bien la Société royale belge de Bruxelles (René Stapels et Pierre Dufau, 1970).

Enfin, c’est la transparence même de l’édifice qui a été mise en cause : Gordon Bunshaft, avec le John Hancock Building de San Francisco (1960), crée un nouveau type de façade, à dominante des pleins. À la banque Lambert de Bruxelles (1958-1962), il place en avant du vitrage une ossature porteuse en « schockbeton ». Mais c’est Bertrand Goldberg qui — avec les deux grandes tours de Marina City (1962-1964), puis la rénovation du Raymond Hilliard Center (1966-1968), à Chicago — définira une nouvelle image de l’immeuble haut à ossature en béton et planchers débordants. Enfin, l’énorme Panam Building de New York (divers architectes avec Walter Gropius*, 1960-1963) imposera en travers de Park Avenue la masse de ses 59 étages, revêtus de panneaux de béton préfabriqués et culminant à près de 250 m. Cette transformation n’a pas d’origine qu’esthétique : le gratte-ciel métallique était issu de la crise du marché de l’acier après la Seconde Guerre mondiale ; la guerre du Viêt-nam a renversé le processus, imposant par voie de conséquence une nouvelle conception architecturale.