Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique latine (suite)

C’est le cas de la Bolivie, qui entreprit en 1952 une réforme agraire fondée sur l’expropriation des grands domaines et la redistribution des terres en tout petits lots aux ouvriers agricoles. Cette réforme aboutit à l’éclatement des latifundia en une multitude de minifundia, offrant un cadre trop exigu pour permettre une mise en valeur rationnelle. Par ailleurs, les paysans ne reçurent du gouvernement ni la formation technique leur permettant de s’ouvrir à de nouvelles méthodes de culture, ni les moyens financiers nécessaires pour améliorer les sols et les techniques de mise en valeur. Les paysans ne purent que maintenir une médiocre agriculture d’autosubsistance. La réforme agraire ne fut donc pas pour l’économie agricole un facteur de progrès, ni la base d’une amélioration du niveau de vie des masses rurales.

Très précocement au Mexique, un certain nombre d’haciendas dépassant 300 ha furent confisquées, et les terres distribuées en grands lots à des communautés villageoises, les ejidos, organisées en un système coopératif sous contrôle de l’État. Parallèlement, celui-ci s’efforçait d’assurer un programme d’assistance technique et financière aux exploitations ainsi constituées.

Au Pérou, un essai de réforme est en cours : des terres sont concédées aux familles paysannes, les anciennes prestations de travail abolies, tandis qu’est mise en place une politique d’assistance dans les domaines de l’agronomie, de l’éducation et de la santé. Des tentatives plus restreintes ont été faites en Colombie et au Venezuela, mais elles exigent des gouvernements un gros effort financier qu’ils ne sont pas à même de fournir. Le Brésil cherche des remèdes originaux à la faible mise en valeur des trop grandes propriétés.

Partout, ces tentatives se heurtent à la résistance des grands propriétaires, qui usent de toute leur influence politique pour préserver leurs privilèges. Ainsi, au Brésil, en 1964, la tentative de réforme visant à l’expropriation des grands domaines situés le long des routes fédérales, des voies ferrées, des barrages et des canaux d’irrigation a été l’une des causes de la crise politique.

L’échec de la réforme bolivienne indique, de toute façon, que la neutralisation des propriétaires fonciers, l’expropriation des grands domaines et la redistribution des terres ne constituent pas les conditions suffisantes d’une réforme agraire efficace. En effet, une fois réalisée l’expropriation des haciendas trop vastes et mal exploitées, de nombreux problèmes restent à résoudre, telles l’adaptation du nouveau cadre foncier aux exigences d’une agriculture moderne, la définition du type le plus rentable d’exploitation (collectiviste ou individuel), la réalisation de grands travaux d’intérêt régional et la modernisation des techniques agricoles, etc.

Le succès implique que les gouvernements soient en mesure de fournir un gros effort financier pour la modernisation du secteur agricole et l’éducation des masses rurales. C’est pourquoi il apparaît qu’une réforme agraire efficace s’inscrit dans le cadre plus vaste du développement global des économies nationales. Mais l’on se heurte au second problème crucial : la faiblesse du secteur industriel.


Le retard industriel et l’effort récent d’industrialisation

Même lorsqu’ils possèdent d’importantes ressources minières, les pays d’Amérique latine restent partiellement au stade d’une économie de matières premières, car ces richesses sont exportées directement vers les pays développés après leur extraction du sous-sol. Aussi, le secteur de transformation est-il assez réduit par rapport aux possibilités naturelles, ce qui prive les économies de ces pays d’une partie de la valeur ajoutée qu’elles seraient susceptibles d’y gagner.

• Les facteurs du retard et du mouvement récent d’industrialisation. Le rôle de l’histoire est fondamental. L’indépendance ne modifia pas la structure coloniale de l’économie de ces pays. Plus soucieuse de dépenses somptuaires que d’investissements productifs, l’aristocratie foncière songea d’autant moins à placer ses capitaux dans le secteur industriel que la faiblesse du marché intérieur, composé d’une masse rurale misérable, en rendait les débouchés problématiques. Ainsi, jusqu’à la fin du xixe s., l’Amérique latine demeura à l’écart du développement industriel mondial.

Cette économie traditionnelle de matières premières fut renforcée par la pénétration des capitaux étrangers, qui visaient à développer les moyens de transport et les conditions d’exploitation des richesses naturelles. Une industrialisation partielle se fit à travers le continent en fonction des intérêts européens et nord-américains. C’est ainsi que vers la fin du xixe s. furent installées des voies ferrées et des conserveries de viandes en Argentine et en Uruguay grâce aux capitaux anglais, tandis que de grandes compagnies américaines entreprenaient l’extraction et le traitement du minerai de cuivre du Chili.

À la même époque, cependant, certains émigrants européens introduisaient l’esprit d’entreprise et les moyens financiers nécessaires au développement d’une petite industrie de biens d’usage et de consommation, développement que favorisait un élargissement du marché intérieur dû à l’accroissement démographique et à l’afflux d’argent résultant des exportations.

La Première Guerre mondiale joua un rôle déterminant dans la consolidation de cette industrie naissante. Privés des importations européennes, les consommateurs se tournèrent vers les produits nationaux, garantissant ainsi à la bourgeoisie industrielle la rentabilité de ses investissements.

La Seconde Guerre mondiale accéléra le développement de toutes les branches de produits de consommation, auquel participaient, dans une très large mesure, les capitaux étrangers. À la même époque naissait la sidérurgie brésilienne grâce à des capitaux d’État, à une souscription nationale et à une importante aide financière des États-Unis, initiative qui, après la guerre, fut suivie par d’autres États.