Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grande-Bretagne (suite)

L’avènement des Stuarts, beaucoup moins doués que leurs prédécesseurs, ne fut guère favorable aux arts ; le règne de Cromwell leur fut tragiquement néfaste. Cependant, la musique britannique bénéficiait de l’élan donné. Sous les Stuarts s’épanouit un genre de spectacle en musique dont l’importance historique et artistique est considérable. Son origine remonte à un siècle. En 1512, Henri VIII se fait offrir le soir de l’Epiphanie un « divertissement à la manière d’Italie appelé Maske [sic], chose que l’on n’avait pas encore vue en Angleterre ». Rapidement en faveur sous les Tudors, les masques deviennent la plus importante fête à la cour d’Angleterre. Les sujets, généralement empruntés à la mythologie, avec des allusions à l’actualité, donnent lieu à d’impressionnantes mises en scène. Le peintre H. Holbein est souvent mis à contribution pour les décors, et Ben Jonson compose, de 1604 à 1631, presque tous les poèmes des masques de la Cour. À l’apogée du genre se trouve Venus and Adonis, de John Blow (1649-1708), merveille de fantaisie et de fraîcheur, qui est en fait le premier opéra anglais digne de ce nom. Parmi les musiciens qui ont assuré la pérennité de la musique anglaise entre les derniers élisabéthains et Purcell, il faut encore citer Nicholas Lanier (1588-1666), Henry Lawes (1596-1662) et Matthew Locke (v. 1630-1677).

Quelques années après l’éclosion de Venus and Adonis, composé de 1680 à 1685, Henry Purcell* terminait l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Dido and Aeneas, opéra d’une rare intensité dramatique où le compositeur adapte magistralement à la langue anglaise une sorte de « stile rappresentativo » (v. Monteverdi). L’œuvre énorme de Purcell (1659-1695), où tous les genres sont abordés dans une carrière de quinze années seulement, domine de haut celle de ses contemporains anglais ; et, si l’on se place sur un plan international, il est probable que, entre 1650 et 1700, il n’a pas existé un musicien aussi doué. Ce que Corelli fut pour la musique instrumentale, Lully pour la tragédie lyrique, Scarlatti pour l’opéra et la cantate de chambre, Carissimi et Charpentier pour la musique religieuse, Purcell, mort à trente-six ans, l’a été à lui seul. Mais hélas, son extraordinaire génie n’empêcha pas le déclin de l’école anglaise.

Quinze ans après la mort de Purcell, Händel* débarque à Londres, qui est alors un bastion de l’opéra italien. Le musicien allemand devient le maître de ce genre à la mode, exerçant dans la capitale anglaise un véritable monopole, avant de se consacrer à un genre d’oratorio typiquement britannique, qu’il crée à partir de 1732. Les rares compositeurs anglais de valeur (qui, d’ailleurs, écrivent de la musique italienne) sont éclipsés par un tel génie. Et, jusqu’au milieu du xixe s., l’école britannique, dominée par l’étranger, n’aura que de très rares représentants dignes d’être mentionnés, parmi lesquels William Boyce (1710-1779), Thomas Arne (1710-1778), Samuel Wesley (1766-1837), John Field (1782-1837) et William Sterndale Bennett (1816-1875).

Mais, à partir de 1850, s’est dessiné un mouvement de renaissance : August Manns (1825-1907), puis Charles Halle (1819-1895) eurent le courage d’imposer au public anglais des œuvres de leurs compatriotes aux concerts qu’ils dirigeaient, le premier à Londres, le second à Manchester. Les festivals de chant choral (en particulier le Three Choirs Festival, fondé en 1724) commencèrent à susciter une floraison de grands oratorios anglais, dont les plus intéressants jalonnent les étapes du renouveau musical en Grande-Bretagne : Prometheus unbound (1880) de Hubert Parry (1848-1918), The Dream of Gerontius (1900) d’Edward Elgar (1857-1934), Hymn of Jesus (1917) de Gustav Holst (1874-1934), Belshazzar’s Feast (1931) de William Wallon, A Child of Our Time (1941) de Michael Tippett*.

Toutefois, les musiciens anglais de la génération d’Elgar soutiennent mal d’être comparés à leurs confrères du continent, qui se nomment alors Fauré, Janáček, Puccini, Wolf, Mahler, Albéniz, Debussy, Strauss. Il faut attendre Vaughan-Williams* (1872-1958), sorte de Bartók anglais, pour qu’apparaisse en Grande-Bretagne un véritable chef d’école. Sa musique de théâtre et ses neuf symphonies constituent sans doute la part la plus précieuse d’une œuvre considérable. La génération suivante est dominée par trois grands noms : William Walton (né en 1902), Michael Tippett* (né en 1905) et Benjamin Britten* (né en 1913). Seul Britten cependant s’est acquis une large audience internationale, par la qualité musicale et dramatique de ses opéras, de Peter Grimes (1945) à la Golden Vanity (1968). Pourtant, le ferme et original talent de Walton et celui surtout de Tippett sont dignes des meilleurs compositeurs « continentaux » de cette génération. Tous trois présentent cependant dans leur style et leur écriture un léger retard par rapport à l’évolution générale du système musical occidental. Cette remarque peut s’appliquer à leurs contemporains les plus brillants et les plus originaux, tels qu’Élisabeth Lutyens (née en 1906), Priaulx Rainier (née en 1903) ou Humphrey Searle (né en 1915). Le même décalage est encore sensible chez les musiciens du second demi-siècle, même chez les plus audacieux et les plus doués d’entre eux, notamment les jeunes compositeurs du New Music Manchester Group : Alexander Goehr (né en 1932), élève de Messiaen ; Harrison Birtwistle (né en 1934), auteur d’un remarquable opéra, Punch and Judy ; Peter Maxwell Davies (né en 1934), qui fait figure de chef d’école dans cette génération, réalisant une admirable synthèse des traditions musicales de la Renaissance et des acquisitions de l’avant-garde européenne.

Alors que la pop music britannique est une figure de proue, la musique de concert anglaise la plus avancée semble donc un peu en retrait des progrès de la « musique nouvelle ». L’Ars nova de notre temps, comme celle du xive s., concerne moins les musiciens d’outre-Manche que ceux du continent. Sans doute est-ce leur force : dans quelques décennies, la Grande-Bretagne aura assimilé un style neuf et audacieux sorti des crises de croissance ; ou peut-être, au contraire, apportera-t-elle au continent, épuisé par sa quête d’absolu, un art d’avant 1950, éventuellement une tradition d’avant Purcell, considérablement enrichis et perfectionnés à l’abri d’une « insularité » féconde, sous les auspices de folklores toujours vivaces.

R. de C.

 R. de Candé, Petite Histoire de la musique anglaise (Larousse, 1953). / F. Howes, The English Musical Renaissance (Londres, 1966). / J. Michon, la Musique anglaise (A. Colin, coll. « U 2 », 1970).