Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grande-Bretagne (suite)

« Mon esprit, avec les flots amers sur les voies des baleines, vole haut et loin jusques aux confins de la terre... »

Tel le « Seafarer » (viiie s.), les littérateurs anglais ont toujours rêvé d’évasion. Les grands espaces font équilibre à l’étroitesse des horizons insulaires. Widsith, le « grand voyageur » de la fin du viie s., offre une lointaine parenté au Dickens parti en tournée de lecture en Amérique. Byron, Shelley, Browning ou W. H. Pater..., allant enrichir leur vision aux sources italiennes, assurent sa descendance ; et S. Butler* fuyant ses complexes familiaux jusqu’en Nouvelle-Zélande. Le « grand voyageur » annonce aussi le citizen of the world, Goldsmith et tous ces hommes de Conrad* transportés sous des cieux merveilleux et terribles (An Outpost of Progress, 1896 ; Lord Jim, 1900). La grande soif des lointains s’étanche aux récits d’expéditions, fantaisistes (Travels of Sir John Mandeville, 1449) ou, bien réelles, de l’arpenteur des mers sir W. Raleigh* et du sédentaire R. Hakluyt. L’exotisme oriental attire les enfants des brumes saxonnes (The Bride of Abydos, 1813, de Byron) ou celtiques (Lalla Rookh, 1817, de Th. Moore), comme il avait séduit W. Collins (Persians Eclogues, 1742). Franchissant les âges, le charme agit toujours sur S. Maugham* (The Trembling of a Leaf, 1921), T. E. Lawrence (Seven Pillars of Wisdom, 1926), et son parfum tenace monte encore des Collected Poems (1960) de W. Plomer, d’Ultramarine (1933), de M. Lowry, d’Alexandria Quartet (1957-1960), de L. Durrell, ou même d’African Négatives (1962), de A. Ross.


« Seule la réflexion toute fortuite d’un passant dans la rue l’avait mis sur la piste... »

Une autre forme d’évasion aussi vieille que les lettres anglaises (Guy of Warwick, v. 1300), c’est l’aventure, et singulièrement l’aventure policière. Arden of Feversham (v. 1590), A Warning for for Fair Women (1592) en offrent déjà l’indispensable « vraisemblance », magie du mystère et frisson. Avec Triumphs of God’s Revenge (1621), de J. Reynolds, s’affermit la tradition de la littérature of roguery, celle des criminels. Son caractère d’exemplarité et le but moral, plus ou moins apparents, ressortent aussi bien chez Defoe (Moll Flanders, 1722) que dans le pittoresque et satirique Beggar’s Opera (1728) de J. Gay ou chez Fielding (The Life of Mr. Jonathan Wild the Great, 1743). Au xixe s., Dickens confère à la peinture des bas-fonds londoniens un caractère inoubliable. Mais c’est The Woman in White (1860), The Moonstone (1868), de W. W. Collins, qui annoncent le roman policier dans sa forme moderne et le détective à la manière du Sherlock Holmes de Conan Doyle (The Hound of the Baskervilles, 1902) ou du lord Peter Wimsey de D. Sayers. Imagination, analyse subtile de l’homme en situation de criminel (Gun For Sale, 1936, de G. Greene) s’ajoutent au goût, bien anglais depuis les riddles anglo-saxons, de l’énigme imperturbablement menée à sa fin. Dans ce genre où A. Miller (A. Christie) demeure l’impératrice (Ten Little Niggers), la lignée se révèle innombrable du Chesterton versé en théologie au professeur J. I. M. Stewart, à l’essayiste J. B. Priestley ou au poète C. D. Lewis. Enfin, reflet des problèmes du monde moderne, l’aventure policière se fait roman d’espionnage, apporté à la littérature par J. Buchan (The Thirty-Nine Steps, 1915) et où s’illustrent D. J. M. Cornwell et I. Fleming.


« C’est pour sa vie dans le présent que l’intérêt du critique sérieux se porte sur la littérature du passé »

Nouvelle étape de l’évasion dans le temps, la littérature qui entraîne le lecteur vers le passé. Elle satisfait à l’attachement britannique à la tradition. Surtout, elle participe de la nostalgie d’une manière d’être ou de penser (D. G. Rossetti, A. G. Swinburne*) ou de la recherche de l’identité nationale. J. Macpherson, cet « Homère du Nord » (Mme de Staël), y attache le premier son nom avec ses faux poèmes gaéliques, et Poems Chiefly in the Scottish Dialect (1786) font de R. Burns le chantre national du folklore écossais. W. Scott y trouve l’inspiration de The Minstrelsy of the Scottish Border (1802-03), avant d’atteindre au meilleur de son œuvre romanesque en faisant revivre esprit et traditions nationales (Waverly, 1814) et parvenir aux confins indéfinissables du temps (The Bride of Lammermoor, 1819). Par elle, les écrivains irlandais cherchent à redonner au peuple d’Irlande la fierté de son passé (Irish Melodie [1808-1834], de Th. Moore). Plus, comme l’entreprennent W. B. Yeats (The Wanderings of Oisin, 1889) ou J. M. Synge*, réalisant la synthèse du merveilleux, du réalisme et de l’humour nationaux (The Shadow of the Glen, 1903 ; Riders to the Sea, 1905), ils sondent les temps révolus de l’Irlande afin d’éclairer son présent.


« Seul voyant au milieu des aveugles humains... »

À qui veut échapper à l’inhumanité d’une civilisation absurde et inconséquente, il reste, peut-être, un ultime refuge : l’enfance. Gage de l’avenir, espoir du retour à une vue saine et naturelle des réalités essentielles déformées par la société de « progrès », l’enfant paraît dans la littérature anglaise avec Songs of Innocence (1789), de Blake. Dickens, créateur des inoubliables Oliver Twist (1837-39) et David Copperfield (1849-50), révèle aux victoriens qu’ils sont en train de perdre leur âme en prostituant l’innocence. Pureté dans un monde perverti chez G. Eliot (The Mill on the Floss, 1860 ; Silas Marner, 1861), l’enfant mûrit, semble-t-il, chez V. Woolf (To the Lighthouse, 1927). Celui de H. James (What Maisie knew, 1897) ou de L. P. Hartley (The Go-Between, 1954), enfermé dans son univers, découvre, encore étonné, celui des adultes. Dans l’œuvre de miss Compton-Burnett (Man Servant and Maid Servant, 1947 ; The Mighty and Their Fall, 1961), le regard de l’enfance a perdu toute puérilité. Inquiétant et lucide, il veille. Étudié de toutes les manières, sans exclure psychanalyse et entomologie (Lord of the Flies, 1954, de W. Golding), l’enfant n’est pas seulement un grand thème de la littérature anglaise. Les œuvres sur l’enfance s’accompagnent des ouvrages pour l’enfance. À côté de l’Alice de Carroll prennent place The Water-Babies (1863), de Ch. Kingsley, The Happy Prince... (1888), d’O. Wilde, ou les célèbres Just So Stories... (1902), de R. Kipling, ainsi que le Peter Pan and Wendy (1911) de J. M. Barrie ou The Gipsy’s Baby (1946), de R. Lehmann.