Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Amérique latine (suite)

 C. H. Haring, The Spanish Empire in America (New York, 1947). / S. de Madáriaga y Rojo, The Rise of the Spanish American Empire (Londres, 1947 ; trad. fr. l’Essor de l’Empire espagnol d’Amérique, A. Michel, 1955). / V. Vives, Historia social y económica de España y América (Barcelone, 1959 ; 5 vol.). / J. Lambert, Amérique latine, Structures sociales et institutions politiques (P. U. F., 1963). / P. Chaunu, l’Amérique et les Amériques de la préhistoire à nos jours (A. Colin, 1964). / P. Nehemkis, Latin America : Myth and Reality (New York, 1964). / T. H. Donghi, Histoire contemporaine de l’Amérique latine (trad. de l’esp., Payot, 1972). / F. Mauro, l’Amérique espagnole et portugaise de 1920 à nos jours (P. U. F., 1975).


Les problèmes généraux de l’économie et de la démographie

Il suffit d’examiner l’histoire récente des pays d’Amérique latine pour y trouver l’évocation du problème agraire. Qu’ils soient le fait d’un gouvernement, d’un groupe politique ou d’un individu, les nombreux projets de réforme agraire, le plus souvent avortés, indiquent que le plus grave problème est sans doute celui que posent les formes d’appropriation de la terre, héritées de l’époque coloniale, et leurs conséquences sur la vie des masses rurales. Dans le cadre agraire, fait simultanément d’une trop grande et d’une trop petite propriété, c’est le système de culture lui-même qui est à la source d’un second problème : trop souvent, en effet, il repose sur la monoculture spéculative, autre legs de l’économie coloniale.

Outre ces handicaps du monde rural, sans doute les plus importants, puisque plus de la moitié de la population vit misérablement de l’activité agricole, les pays d’Amérique latine doivent affronter le problème de leur sous-développement industriel. Les carences de l’industrialisation se manifestent dans un retard général, plus ou moins accentué selon les pays, dans l’inadéquation entre les richesses du sous-sol et les industries d’équipement, ainsi que dans les localisations de l’industrie à l’intérieur des pays.

L’Amérique latine subit par ailleurs un phénomène qui s’accentue chaque jour et dont l’ampleur rend d’autant plus graves les problèmes économiques et sociaux évoqués précédemment : c’est celui de l’accroissement démographique. Continent peu peuplé, où les densités sont encore faibles, l’Amérique latine connaît l’accroissement démographique le plus rapide du monde.

Ces rythmes accélérés, joints à la mauvaise distribution d’une population chaque jour plus nombreuse, posent le problème du rapport entre le nombre d’hommes et le nombre d’emplois que les économies sont en mesure de leur offrir, entre le nombre d’hommes et les ressources qui leur permettent de vivre ou de survivre.


Le problème agraire

À de rares exceptions près, telle l’Argentine, plus de la moitié de la population des pays d’Amérique latine tire sa subsistance des activités agricoles. Cette population rurale vit dans des conditions misérables et précaires : habitat de cabanes, régime alimentaire déficient, pauvre en protides et plus généralement en calories.

Faut-il imputer cette misère à la nature, trop ingrate pour nourrir ceux qui la cultivent ? Il suffit, pour infirmer cette thèse, de constater une misère analogue dans la riche plaine littorale de Pernambouc, au Brésil, et dans l’intérieur du Nordeste brésilien, semi-aride. Bien que parfois fragiles, les sols sont souvent riches. C’est dans les conditions sociales et techniques d’exploitation qu’il faut chercher les causes du problème agraire, plus que dans l’inégale qualité des milieux naturels. C’est le mode d’appropriation de la terre, façonné par l’évolution historique de ces pays, qui a créé ce cadre agraire, fait d’immenses domaines et de minuscules parcelles, dont l’exploitation ne permet pas aux hommes d’accéder à un niveau de vie décent.

• Origine de la structure foncière actuelle. L’implantation coloniale au xvie s. est à l’origine des immenses domaines qui caractérisent la structure foncière actuelle.

En effet, pour assurer la présence de la métropole en pays conquis, les rois d’Espagne et de Portugal accordèrent aux conquistadores l’usufruit héréditaire de grands fiefs constitués sur les terres des communautés indiennes. Les titulaires de ces encomiendas étaient chargés de contrôler les Indiens, de les christianiser et de percevoir les taxes. Le passage fut rapide de ces encomiendas initiales aux haciendas, véritables propriétés privées, dont l’exploitation reposait sur le travail forcé des Indiens, au bénéfice de l’aristocratie foncière créole.

Fondée sur les principes d’une rentabilité immédiate et importante, pour une mise de fonds très réduite, cette exploitation prit la forme d’une monoculture extensive, essentiellement celle de la canne à sucre. Les débouchés étaient assurés sur le marché de la métropole, qui se réservait l’exclusivité des produits de ses colonies. L’immensité des domaines garantissait l’abondance de la récolte, et les propriétaires fonciers ne se soucièrent nullement de réaliser un système de culture moderne et rationnel, qui aurait nécessité quelques investissements. Aussi, l’exploitation se fit-elle selon les méthodes primitives de culture sur brûlis : les terres partiellement défrichées portaient plusieurs années la même récolte ; lorsque le sol était épuisé, la plantation se déplaçait sur une autre partie du domaine. Ce mode d’exploitation aboutit au gaspillage et à l’épuisement des sols.

Ces deux caractéristiques de l’exploitation coloniale — une structure foncière de grande propriété et un système archaïque de mise en valeur — se sont maintenues jusqu’à nos jours sans que l’indépendance y ait introduit de modification.

Certaines régions, notamment les plaines littorales de la zone tropicale, présentent un autre type de grande exploitation, plus récent que l’hacienda. Ce sont ces vastes plantations, appartenant le plus souvent à des sociétés étrangères, où l’exploitation offre des aspects modernes, mais où les conditions de travail sont aussi dures que dans les haciendas traditionnelles.