Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique latine (suite)

Histoire du premier xxe siècle

• Les révolutions caraïbes. Par Amérique caraïbe, il faut entendre les îles antillaises et les pays du pourtour de cette Méditerranée américaine : Mexique, Amérique centrale, Venezuela. Entre 1850 et 1970, la population de cette zone s’est multipliée par cinq ; de 1930 à 1960, elle a doublé. Aucune autre région n’a connu une telle accélération au xxe s., et cela contribue à expliquer l’histoire explosive de ses peuples.

La révolution mexicaine est déclenchée par l’opposition libérale bourgeoise, fatiguée de la pérennité du régime de Porfirio Díaz (1876-1911). La question de la succession présidentielle sert de prétexte. On fait appel au peuple, et celui-ci répond à sa manière : avec Pancho Villa, bandit social du Nord, fabuleux centaure qui entraîne derrière lui vaqueros, paysans sans terre, mineurs et tous ceux qui n’ont rien à perdre ; avec Zapata, champion de la cause agraire dans le Sud indien. Cela vaut au Mexique vingt ans de guerres civiles, au passif, avec près de 1 million de morts, et un début de solution radicale du problème agraire, à l’actif, grâce au président Cardenas (1934-1940). Celui-ci donne une impulsion énergique à la réforme agraire tout en nationalisant le pétrole, grâce à l’appui du président Roosevelt, qui se refuse à soutenir les compagnies américaines. Depuis, la révolution s’est « institutionnalisée » sous la direction d’un parti officiel, le P. R. I. (Parti révolutionnaire institutionnel), qui exerce le monopole du pouvoir.

L’Amérique centrale, morcelée en cinq républiques, ne peut guère résister aux pressions des États-Unis ; le cas du Guatemala le prouve : en 1952, le régime du colonel Arbenz confisque des terres appartenant à la United Fruit Co. et est immédiatement renversé par une contre-révolution ourdie par la CIA. Ailleurs, on ne trouve guère que des dictatures plus ou moins brutales, Costa Rica excepté. Dictature interne, domination externe, ce sont les « Bananas republics », ainsi nommées parce qu’elles sont pratiquement gouvernées par l’United Fruit.

Le Venezuela, après une longue période de guerres civiles et d’anarchie, a connu la dictature de Juan Vicente Gómez (1909-1935). À partir de 1925, ce qui n’était qu’un pays mal connu du monde devient l’un des premiers producteurs de pétrole. Mais cette richesse fabuleuse lui coule entre les doigts, enrichissant quelques particuliers et les compagnies américaines, tandis que croît la tension sociale. Les paysans sans terre sont momentanément calmés par un début de réforme agraire réalisé par l’Action démocratique, parti de Betancourt, et cela explique leur peu d’enthousiasme à suivre les guérilleros castristes. La révolution menace constamment au Venezuela.

La révolution cubaine s’est produite là où les structures de domination étaient les plus visibles. Colonie américaine de fait, violemment antiyankee par conséquent, Cuba, pour ne pas connaître le même sort que le Guatemala d’Arbenz, a radicalisé la révolution libérale et nationaliste de 1958 pour en faire une révolution socialiste et marxiste, exemple pour le reste du continent, provocation insupportable pour le géant américain. La victoire de Fidel Castro a partout été ressentie en Amérique latine comme une revanche contre les États-Unis, même si, par la suite, ceux-ci ont réussi à enfermer la révolution dans l’île et à bloquer toutes les tentatives de subversion sur le continent.

• L’Amérique andine et indienne. Le Paraguay, la Bolivie et l’Équateur sont des pays immobiles, le Pérou s’éveille, la Colombie est déjà sortie de ce monde.

Le Paraguay ne s’est jamais remis de la guerre d’extermination qu’ont menée contre lui les Blancs du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay (1865-1870). Pays agricole, pays indien à forte majorité (Guaranis), c’est une des républiques les plus pauvres du continent, et son histoire politique se limite à une série de dictatures.

La Bolivie, que le Paraguay a vaincue en 1935 lors de la guerre du Chaco, guerre voulue par les trusts pétroliers, a connu une histoire spécialement tragique : guerres perdues contre des voisins annexionnistes, guerres civiles sanglantes où la haine raciale redouble la haine sociale. Les Blancs et les métis dominent les vallées, tandis que les Indiens Aymaras et Quechuas vivent leur misère sur les hauts plateaux. La révolution de 1952 a donné quelques satisfactions aux paysans en détruisant le grand domaine, quelques satisfactions aux ouvriers aussi en nationalisant les mines d’étain. Mais le capital bancaire, la commercialisation du minerai et le traitement industriel de celui-ci ne sont pas contrôlés par la Bolivie, cas exemplaire de paralysie interne liée à une situation de dépendance externe. L’armée aujourd’hui au pouvoir sera-t-elle capable de mettre fin à des structures aussi puissantes ? La solution castriste, après la mort de Che Guevara, aura-t-elle sa chance ?

L’Équateur a perdu les deux tiers de son territoire en 1942 au profit du Pérou. Environ 5 millions d’hommes, Indiens pour la plupart, y vivent prisonniers d’une structure agraire oppressive, pratiquement attachés à la terre des grands domaines ; un secteur moderne de plantations dépendant de l’United Fruit se développe sur la côte ; l’armée et les étudiants sont les seuls ferments d’une vie politique dominée par la personnalité de Velasco Ibarra depuis 1944.

Le problème essentiel du Pérou, malgré les importants changements des dernières années, c’est la persistance d’une oligarchie de grands propriétaires et de grands intermédiaires financiers associés à l’étranger dans l’exploitation du pays. C’est aussi le maintien d’une masse indienne dominée ou acculturée (« cholos ») dans une situation de domination. L’essentiel reste à faire, car ni à l’extérieur ni à l’intérieur les Péruviens n’ont achevé de « pérouaniser le Pérou », bien que ce soit le mot d’ordre officiel depuis Haya de la Torre, fondateur de l’A. P. R. A. (Alianza popular revolucionaria americana). La junte militaire au pouvoir depuis 1968, après avoir renversé le président Belaúnde Terry, semble vouloir attaquer le mal à la racine lorsqu’elle s’en prend aux compagnies pétrolières américaines.