Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Graal (légende du) et cycle arthurien

Henri Ier Beauclerc, roi d’Angleterre de 1100 à 1135, désirait rallier les Celtes de son royaume et pacifier ses nouvelles conquêtes en pays de Galles.


Il eut l’idée heureuse d’utiliser à son profit leurs légendes et de se présenter comme un nouvel Arthur, vengeur des Bretons et oppresseur de leurs ennemis anglo-saxons. Il fallait, pour ce faire, persuader les Celtes qu’ils n’avaient pas à attendre le retour d’Arthur et donc anéantir la croyance en la « dormition » de ce grand roi. Sous l’impulsion normano-angevine, les récits concernant la mort d’Arthur vont jouer un rôle essentiel dans la renaissance de la littérature arthurienne.

À l’origine, tout un folklore, où les dieux ont pris un visage humain. Gauvain, dont les forces décroissent le soir, serait une divinité solaire, et Lancelot le dernier avatar de Lug, qui donna son nom à Lugdunum (Lyon). D’autres héros viennent de l’Histoire : Arthur aurait rassemblé au vie s. les peuples celtes contre les Anglo-Saxons. Myrddin (le futur Merlin) serait un chevalier-poète originaire d’Écosse. Des éléments de la légende arthurienne se retrouvent dans les récits gallois sur l’enfance et la formation de guerriers exemplaires : on appelle ces récits les Mabinogion. D’autres sont illustrés par des textes irlandais : aitheda, ou enlèvements, imrama ou navigations merveilleuses, relations de vendettas, etc. Parallèlement à cette littérature en langue vulgaire, les allusions à la légende arthurienne se multiplient dans les textes latins à partir de l’Historia Britonum, écrite au début du ixe s. par Nennius.

L’épopée arthurienne circula probablement, au début du xiie s., sous forme de lais, c’est-à-dire de contes en prose comportant un dénouement lyrique en vers. Ces lais auraient eu une diffusion européenne assez large pour que, dès 1120, l’histoire du rapt de Guinlogee-Guenièvre par Melvas-Méléagant (v. Chrétien de Troyes) figurât sur une archivolte de la cathédrale de Modène — ville où vivait, il est vrai, une importante colonie normande. Ce sont des lais sur Tristan que Bréri aurait récités et chantés à la cour de Poitiers dès 1135.

Henri Ier demanda à un clerc gallois, Geoffroi de Monmouth, de composer une Historia regum Britanniae, qui ne fut achevée qu’en 1136. Cette Historia consacre de longs épisodes à la gloire et à la décadence d’Arthur, sans prendre clairement parti sur les conditions de sa mort. Geoffroi écrivit en outre une Vita Merlini et des Prophetiae Merlini à la gloire de la dynastie angevine.

Vingt ans plus tard, Wace, « clerc lisant » originaire de Jersey, entreprit pour la reine Aliénor, femme d’Henri II, le Roman de Brut, chronique des origines bretonnes, qui faisait pendant à son Roman de Rou, chronique des origines normandes. Ce très beau poème en octosyllabes développe les aspects courtois déjà présents chez Geoffroi. Wace inspirera Chrétien*. Il ne semble pas qu’il ait connu la Vita Merlini et les traditions concernant le Graal.

Entre 1170 et 1180, la littérature arthurienne connaît une immense faveur. C’est l’époque des premiers grands romans de Tristan, celle de Chrétien de Troyes et de Marie de France. Le succès de cette littérature est attesté par les déclarations en latin d’auteurs monastiques, qui déplorent l’intérêt excessif manifesté par les moines pour des œuvres, à leur sens, trop profanes. Les seigneurs armoricains de la cour angevine ont probablement contribué à ce triomphe : ils avaient des fiefs de part et d’autre de la Manche et comprenaient la langue des bardes gallois et des harpeurs de petite Bretagne. Ce sont ces derniers qui inspirent à Marie la matière de ses lais.

Les lais de Marie sont en fait de courts contes en vers qui relatent les épreuves d’un couple. Il en est de merveilleux, comme : Lanval, où le héros est l’amant d’une fée ; Yonec, dont la protagoniste est un chevalier qui se métamorphose en autour ; Guigemar, où interviennent plusieurs navigations sur une nef enchantée, après que le héros a été frappé par sa propre flèche, avec laquelle il a blessé une mystérieuse biche blanche. Il est des lais plus symboliques, comme ; Chèvrefeuil, qui illustre un épisode de la légende de Tristan ; Laostic, où l’oiseau mort enchâssé dans un coffret précieux perpétue le souvenir du bonheur perdu. Eliduc raconte le déchirement d’un homme partagé entre deux amours : sa première femme contribue à faire revivre sa rivale tombée en catalepsie et accepte de se séparer de son mari ; sa dévotion héroïque a pour effet la conversion finale d’Eliduc et de Guiliadon, qui renoncent au monde en suivant son exemple. Equitan est l’histoire d’une séduction qui aboutit à la perte du couple coupable. Les Deux Amants développe une légende normande. Fresne chante la résignation d’une jumelle qui sacrifie son bonheur à celui de sa sœur et finit par en être récompensée. Milon décrit un amour illicite qui se justifie au dénouement par sa ferveur exemplaire. Chaitivel est l’histoire d’un amour chevaleresque qui pousse la prouesse jusqu’à la démesure. Bisclavret dénonce la trahison d’une femme qui cherche à perdre son mari, dont elle a horreur depuis qu’elle sait qu’il est un loup-garou.

Beaucoup de ces lais ne sont pas explicitement « arthuriens », mais ils cultivent une certaine qualité de mystère qui doit beaucoup à la féerie celtique. Et l’amour, chez Marie, est une réalité essentielle, comme dans le roman arthurien. Marie est peu sensible aux prestiges du cérémonial courtois ; elle préfère une passion plus simple et plus sobre, plus charnelle aussi. Enfin, elle accepte le merveilleux tel quel. Beaucoup de lais anonymes, après elle, seront plus réticents à l’égard de l’autre monde : Désiré montre un amant qui est pris de scrupule et confesse à un ermite sa tendresse pour une fée dont il se demande si elle ne vient pas de mauvaise part. Il trahit ainsi le secret de sa liaison et préfère un instant sacrifier son amour à son christianisme. Un tel recul devant le merveilleux n’est pas rare après 1180 : on le constate dans des romans comme Partonopeus (v. courtoise [littérature]) et dans certains poèmes arthuriens, comme le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu (v. 1200), où Guinglain, fils de Cauvain, choisit d’épouser la mortelle Blonde Esmérée plutôt que la fée de l’île d’Or. Mais Renaut, pour plaire à sa dame, promet une suite où Guinglain reviendra auprès de la fée, puisque la fine amors n’est pas possible à des époux.