Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

gouvernementale (fonction) (suite)

• Dans les régimes parlementaires, c’est à un ensemble de plusieurs organes qu’est confiée la fonction gouvernementale : d’une part un homme seul, d’autre part un groupe, un membre de ce groupe enfin, de plus en plus souvent, finissant par constituer un troisième organe. L’homme seul, c’est le chef de l’État (monarque constitutionnel ou président de la République) ; le groupe, c’est le ministère ; le troisième organe, c’est le Premier ministre.

L’exécutif dualiste est apparu dans les monarchies constitutionnelles, où les ministres n’étaient tout d’abord que de « simples auxiliaires du monarque », mais où ils « prirent l’habitude de se réunir en dehors de la présence du roi » (Duverger) ; à l’origine, les Constitutions des monarchies du nord de l’Europe (pays Scandinaves, Hollande et Belgique) affirmaient l’autorité royale, mais la limitaient doublement en exigeant du roi qu’il se conforme à la règle de droit et en organisant des garanties pour la liberté individuelle. Les textes précisent que les ministres du roi sont responsables, mais ne spécifient ni devant qui, ni quand, ni comment cette responsabilité est mise en cause (il s’agit sans doute d’une responsabilité pénale doublée d’une responsabilité politique devant le roi). Dans tous les cas, le roi est le chef de l’exécutif, mais, étant inviolable et irresponsable, ses actes doivent être contresignés par un ministre responsable ; cependant, en Suède et en Norvège jusqu’en 1911, le ministre ne peut refuser ce contreseing. Le roi nomme et révoque les ministres (« comme bon lui semble » aux Pays-Bas) ; il continue de « gouverner en son conseil », mais la délibération du Conseil des ministres est, dans de nombreux pays, obligatoire. La reconnaissance coutumière de la responsabilité politique des ministres devant le Parlement diminue les prérogatives royales, mais elle évite, par contre, l’emploi de la procédure de l’impeachement (mise en cause de la responsabilité pénale des ministres pour des actes purement politiques et non constitutifs de crimes ou de délits), procédure qui, au xviie s., avait permis au Parlement anglais d’envoyer à l’échafaud le comte de Strafford et l’archevêque William Laud, et, en 1884, au Parlement norvégien de faire prononcer une condamnation pénale contre des membres du ministère Selmer : la pratique du nouveau système « renforça la solidarité des ministres et favorisa l’avènement du gouvernement de cabinet » (Pactet).

En Angleterre, un ministre se détache du cabinet au début du xviiie s., lorsque, à l’avènement des Hanovre, le roi (ignorant l’anglais) cesse d’en présider les réunions ; dès 1720, Robert Walpole* remplit véritablement les fonctions de Premier ministre, fonctions définitivement reconnues en 1783 et confiées, selon une règle traditionnelle, au chef du parti qui a gagné les élections aux Communes (v. Grande-Bretagne). Le roi nomme les collaborateurs choisis par le Premier ministre : ministres membres du cabinet ; ministres ne participant qu’aux réunions du cabinet où sont débattues des questions entrant dans la limite de la compétence du département ministériel qui leur a été confié ; secrétaires d’État et secrétaires parlementaires (simples assistants des ministres), qui n’accèdent jamais aux réunions du cabinet.

En France, le titre de président du Conseil des ministres apparaît en 1876 dans le décret de constitution du cabinet Dufaure ; des services administratifs spécialisés sont seulement constitués pendant la Première Guerre mondiale et sont organisés par le législateur en 1934 ; à partir de cette date, le président du Conseil n’est plus tenu de prendre la direction d’un département ministériel spécialisé s’il veut disposer de services administratifs. La Constitution de 1946 consacre officiellement l’existence du président du Conseil, et la Constitution de 1958 lui substitue un Premier ministre. Le président de la République choisit la personnalité à laquelle il confie la direction du cabinet, mais avec le souci qu’il puisse réunir une majorité au Parlement (de 1946 à 1954, ce choix doit être ratifié par l’Assemblée nationale avant qu’il puisse y avoir véritablement désignation). Le président de la République préside le Conseil des ministres, auquel sont convoqués tous les ministres (ministres chargés d’un département ministériel, ministres d’État avec ou sans département ministériel, ministres délégués auprès du Premier ministre qui gèrent un département ministériel sous la responsabilité de ce dernier) et seulement quelques secrétaires et sous-secrétaires d’État. (Le président du Conseil présidait des réunions du Conseil de cabinet, auxquelles étaient convoqués tous les ministres et secrétaires d’État ainsi que certains sous-secrétaires d’État.) L’habitude s’est prise de réunir fréquemment des conseils interministériels auxquels n’assistent que les ministres et secrétaires (ou sous-secrétaires) d’État intéressés.

Dans tous les régimes parlementaires, l’ensemble formé par les ministres, secrétaires et sous-secrétaires d’État constitue, y compris le Premier ministre, un corps solidaire (le ministère), collectivement responsable devant l’assemblée parlementaire élue au suffrage universel, dès lors que la politique générale du gouvernement est mise en question. Il est possible à un ministre de se retirer pour des raisons personnelles ; le chef de l’État ou le Premier ministre peuvent également révoquer un ou plusieurs ministres ; en cas d’usage de cette possibilité, l’on parle alors de remaniement ministériel.

Dans la trilogie chef de l’État, Premier ministre, membres du ministère, la répartition des prérogatives et des fonctions est inégale ; elle varie d’ailleurs dans le temps et dans l’espace. En Grande-Bretagne et en Allemagne fédérale (tout au moins dans les périodes où une majorité parlementaire est réunie), le rôle effectif du chef de l’État est faible, alors qu’en France, même sous la IVe République, il a toujours été important ; en conséquence, le Premier ministre britannique et le chancelier fédéral constituent le principal élément du gouvernement, tandis que, depuis 1958, la trilogie gouvernementale française revêt un caractère nouveau assez particulier : les pouvoirs effectifs du chef de l’État sont d’autant plus grands qu’il détient par délégation directe du peuple une fraction de la souveraineté nationale ; en outre, il lui est possible de consulter directement le peuple par voie de référendum*. Le Premier ministre garde un rôle important, mais il se trouve dans la nécessité permanente de réunir tout ensemble la confiance du président de la République et celle de l’Assemblée ; on peut, semble-t-il, dire aujourd’hui que l’importance du rôle joué par le Premier ministre est plus fonction de la personnalité du président de la République que de la sienne propre. Le gouvernement, assumé par trois organes, connaît la prééminence du chef de l’État.