Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gorky (Arshile) (suite)

Comme pour tant d’autres Arméniens, c’est la persécution exercée par les Turcs qui poussera lui et les siens à l’exil. Après des séjours à Erevan et à Tbilissi, Gorky gagne en 1920 les États-Unis avec sa plus jeune sœur. En dépit ou à cause de ce précoce arrachement, les souvenirs d’enfance prendront dans son œuvre future une importance décisive, notamment dans les répliques successives de Jardin à Sotchi (1940-1943), évoquant les superstitions qui s’attachaient à un arbre et à un rocher du jardin de son père. Pour l’instant, il lui faut lutter contre la misère et l’humiliation et suivre des cours du soir pour le dessin à la Rhode Island School of Design de Providence, à Boston, puis à New York. Entre 1926 et 1931, Gorky enseigne à son tour à la Grand Central School of Art. Il rencontre Stuart Davis en 1929 et de Kooning* en 1933. Il interroge passionnément, dans les musées et les galeries, les maîtres de l’art moderne, à commencer par Cézanne. Mais ce sont surtout les œuvres récentes de Picasso* qui vont être l’objet d’une longue approche, utile au peintre en raison de l’interférence, dans ces « modèles », du caprice et de la subjectivité avec l’ordonnance rigoureuse du tableau. La peinture murale que Gorky exécute pour l’aéroport de Newark (1936-37, auj. perdue) montre qu’il a également assimilé la peinture de Fernand Léger*. Il est alors en mesure, seul peut-être aux États-Unis avec Stuart Davis, d’organiser plastiquement une surface selon les lois héritées du cubisme synthétique. Le surréalisme* va lui permettre de faire désormais du tableau le lieu d’une effusion personnelle pleinement créatrice.

Selon Julien Levy, introducteur du surréalisme aux États-Unis, l’automatisme* sera pour Gorky l’occasion d’une véritable libération. Succédant à celui de Picasso, l’exemple de Miró* est très sensible dans l’audace croissante avec laquelle Gorky affirme sa libre interprétation des formes naturalistes. À l’organisation plastique du tableau se substitue dès 1941 son organisation fantasmatique. Primordiale devient alors l’influence de Matta*, chez qui l’automatisme surréaliste se présente dans toute la savoureuse débâcle d’un hasard servi par une extrême sensibilité chromatique. L’amitié qui s’établit entre Matta et Gorky à partir de 1942 sera décisive pour le second, que l’on voit s’abandonner aux ivresses de la couleur très fluide et du trait ravageur pour aboutir à de flamboyants chefs-d’œuvre en 1944 : Le foie est la crête du coq (musée de Buffalo) ou Comment le tablier brodé de ma mère se déploie. L’année suivante, André Breton, dans une admirable préface pour l’exposition de ces toiles automatiques, à la galerie Julien-Levy, souligne l’originalité de la démarche de Gorky, qui découvre dans les structures végétales et animales le tremplin même du lyrisme pictural, apportant ainsi une contribution de premier ordre non seulement au surréalisme, mais à l’analogie poétique en général. Après ces orages chromatiques, Gorky se préoccupe d’organiser ses œuvres, sans pour autant qu’elles cessent de s’alimenter à la source automatique (Journal d’un séducteur, 1945).

Le graphisme aigu apparu dans les dernières versions de Jardin à Sotchi intervient de nouveau à partir de 1945. Somme toute, le graphisme libérateur hérité de Miró compose alors avec la couleur libératrice venue de Matta (à ces influences, il convient d’ajouter celles du Masson* d’alors et du Kandinsky* de la période « dramatique »). Avec autorité, Gorky élague, ne gardant des forêts formelles que ce qui accuse, parfois jusqu’au malaise, la relation avec la sensibilité profonde (toiles de 1947 : Agonie, Museum of Modern Art de New York ; les Fiançailles II, Whitney Museum). Car les plages de lumière sont bientôt assourdies, envahies d’ombres étouffantes : le malheur est sur Gorky. En 1947, une trentaine de ses œuvres récentes parmi les plus abouties sont détruites par un incendie, il subit une opération du cancer, enfin il est victime d’une grave déconvenue sentimentale, à laquelle Matta n’est pas étranger. En 1948, il a la nuque et la main droite brisées dans un accident d’automobile. Un mois après, il se pend à un arbre de la forêt de Sherman. Ces circonstances tragiques ont contribué à faire de Gorky un personnage légendaire, et ses compatriotes ont eu la tentation de considérer l’importance de son rôle à travers le verre déformant de son destin. Ainsi, les critiques américains, notant que sa mort coïncidait, d’une part, avec le retour des surréalistes en Europe et, d’autre part, avec la naissance aux États-Unis de l’expressionnisme* abstrait, s’interrogent-ils gravement pour savoir s’il est le dernier d’une école ou le premier de l’autre. Il pourrait être les deux, à ceci près qu’il n’est pas le dernier surréaliste et qu’il n’est pas non plus un expressionniste abstrait.

J. P.

 E. Schwabacher, Arshile Gorky (New York, 1957). / H. Rosenberg, Arshile Gorky (New York, 1962). / J. Levy, Arshile Gorky (New York, 1968).

Gossart ou Gossaert (Jan), dit Mabuse

Peintre des anciens Pays-Bas (Maubeuge? v. 1478? - Middelburg? entre 1532 et 1536).


Il signait Jennin Gossart ou Johannes Malbodius, et ce surnom a fait supposer qu’il était originaire de Maubeuge. Gossart est maître à Anvers en 1503, mais son nom disparaît des listes de la gilde de cette ville en 1507. Très attaché à la tradition flamande, il étudia et même copia Van Eyck*. Il utilisa plusieurs fois les modèles que lui offrait le fameux polyptyque de Gand, notamment les trois principales figures du Christ en gloire, de la Vierge et de saint Jean, qu’il varia très habilement dans une adaptation qui figure aujourd’hui au musée du Prado. La comparaison avec l’original fait apparaître déjà à cette date ce qui deviendra la caractéristique de Gossart : un certain maniérisme dans le style, révélé aussi dans l’Adoration des Mages exécutée vers 1506 (Londres, National Gallery) et dans le triptyque de Malvagna (musée de Palerme), où les emprunts à Dürer* sont très nets dans le groupe d’Adam et Ève. L’importance, dans son œuvre, des architectures richement ornées, le montre averti des formes italianisantes et du goût humaniste.