Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goethe (Johann Wolfgang von) (suite)

Le dernier mot d’une dernière œuvre n’est pas toujours celui qui résume le mieux les intentions d’un auteur ; du moins la fin du Second Faust donne-t-elle la mesure de l’ambition d’un écrivain qui fut aussi un esprit encyclopédique. Surtout, il a été, plus qu’aucun autre en langue allemande, un créateur d’images et de rythmes, il a prêté aux mots la force qu’il faut pour donner forme au possible : c’est là le privilège des poètes.

P. G.

➙ Allemagne / Faust / Schiller.

 E. Ludwig, Goethe (Leipzig, 1920 ; trad. fr., Attinger, 1929-1950 ; 3 vol.). / J. F. Angelloz, Goethe (Mercure de France, 1949). / M. Brion, Goethe (A. Michel, 1949). / K. Viëtor, Junge Goethe (Berne, 1949). / G. Bianquis, Études sur Goethe (Les Belles Lettres, 1952). / J. Ancelet-Hustache, Goethe par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1955). / M. Marache, le Symbole dans la pensée et l’œuvre de Goethe (Nizet, 1960). / R. K. Goldschmidt, Goethe (Hachette, 1963). / R. Friedenthal, Goethe, sein Leben und seine Zeit (Munich, 1965 ; trad. fr. Goethe, sa vie, son temps, Fayard, 1967). / R. Steiner, Goethes Weltanschauung (Dornach, 1966 ; trad. fr. Goethe et sa conception du monde, Fischbacher, 1967). / E. C. Mason, Goethe’s « Faust », its Genesis and Purport (Berkeley, 1967). / P. Babin, Goethe (Éd. universitaires, 1969).

Gogol (Nikolaï Vassilievitch)

Écrivain russe (Sorotchintsy, gouvernement de Poltava, 1809 - Moscou 1852).


Le succès de Nikolaï Gogol repose sur un malentendu. On le tient pour un gai farceur ou pour un révolutionnaire qui sape le régime tsariste par ses satires sociales. En fait, ce petit homme sarcastique est un conservateur, un conformiste en politique. Il n’attaque pas les institutions, mais les hommes. Sous ses boutades, il cache un pessimisme foncier : « On s’ennuie à se pendre, dans ce monde, Messieurs ! » Il n’a jamais regardé la Russie qu’à travers les portières d’une berline fuyant vers l’Europe, et ses descriptions doivent moins leur vérité à une observation objective qu’aux fantasmes de son imagination.

Comment s’étonner de l’incompréhension des contemporains ? Gogol est à lui-même un malentendu. Doué pour les grimaces, il joue au bon apôtre et prétend faire des sermons. Il rêve de contribuer, par une œuvre édifiante, à la sainteté de son peuple, et il peint, avec férocité, les tares, les ridicules, les bouffonneries de marionnettes sans âme : « Je souhaite, écrit-il pour se justifier, que mon œuvre permette à l’homme de se moquer du Diable ! »

À malin, Malin et demi. Le Diable se venge en devenant ermite : Gogol donne dans le mysticisme ; il exalte le jeûne, le renoncement, la misère, en les proposant comme voies du salut. Mais, depuis qu’il plonge sa plume dans l’eau bénite, il n’écrit plus que des platitudes. Inquiet, renié par ses admirateurs et se reniant lui-même, à la poursuite d’un Dieu qui se cache, Gogol finit, lors d’une pathétique nuit de 1852, par brûler une partie inédite de son œuvre. Le geste à peine accompli, il a reconnu l’ennemi : « Comme le diable est puissant ! Voyez à quoi il m’a poussé... » À ce suicide moral, Gogol ne survivra pas.

Gogol n’en a pas moins ensemencé la terre russe : le Manteau (1842) est de l’étoffe des chefs-d’œuvre dans laquelle Dostoïevski taillera ses Pauvres Gens ; les Âmes mortes inspireront les descriptions provinciales de Tourgueniev et l’humour triste de Tchékhov ; le Nez annonce Kafka ; le Journal d’un fou inaugure une nouvelle forme littéraire, celle du monologue intérieur, qui, de Dostoïevski à James Joyce, est destinée à recevoir de vastes prolongements.


L’arme des faibles, la fabulation

« Le destin se joue de nous bien étrangement ! », soupire l’auteur de la Perspective Nevski. De Gogol, il se joue, en le comblant de dons empoisonnés.

Maigrichon, nerveux, impressionnable, un toupet de cheveux blonds planté sur un front blafard, le nez long et pointu comme un bec d’oiseau, Nikolaï, enfant, se voit fonctionnaire, promis aux plus hauts galons, selon la destinée normale d’un petit noble russe. Sa mère le couve dans un nid douillet, fait de tendresse et de superstition, qu’assombrit seule la peur de l’enfer. Nikolaï se souviendra avec bonheur de ces dix premières années dans la propriété familiale d’Ukraine, au milieu de champs dorés et de vergers croulant de fruits, entre la gaieté d’un père bohème, littérateur à ses heures, et l’indulgence d’une mère qui l’idolâtre.

Les premières épreuves commencent à l’école de Niejine, où l’enfant entre pensionnaire en 1821. Paresseux, mais furieusement ambitieux, assez sec de cœur et pourtant d’une vive sensibilité, il n’est guère aimé de ses camarades, non plus que de ses maîtres. Contre les atteintes de l’extérieur, Nikolaï utilise les armes des faibles, la dissimulation et l’ironie. Il s’échappe par la dérobade, il s’entoure de mystère, ment comme il respire, joue tous les rôles sur tous les tons, avec une prédilection pour le mode emphatique et le pathos sentimental. Lorsqu’il apprend à seize ans la mort de son père, il adopte avec dignité son nouveau rôle de chef de famille et il envoie à sa mère, en proie au chagrin, d’édifiantes homélies : « En ce malheur, recourez au Tout-Puissant ! »

Parfois aussi, vif et drôle, il décoche avec une justesse admirable des traits blessants que ses dons d’observation lui ont fournis. Cabotin-né, Gogol imite ses camarades et déchaîne les rires.

De l’école, il sort régistrateur de collège de quatorzième classe. Piètre titre en regard de ses ambitions ! Mais l’imagination supplée aux défaillances du réel. Gogol se persuade que Dieu veut l’éprouver et, en retour, persuade sa mère de la nécessité de l’envoyer à Saint-Pétersbourg (1828). Après un long voyage où le grand air de la plaine glacée l’enivre autant que le souffle de l’espoir, il découvre les mansardes sordides de la ville, la solitude, l’abrutissement des fonctionnaires, les intrigues de l’avancement, l’odeur moisie des paperasses... En même temps, il élargit son répertoire de comédien, il grossit sa collection de tics, de manies et ridicules qui bientôt, à son insu, vont peupler son cerveau et y faire des ravages comme des sangsues.

Pour arrondir son salaire de gratte-papier, Gogol imagine de publier un poème romantique écrit dans sa jeunesse ; mais les envolées de Hans Küchelgarten retombent dans l’indifférence totale et, dépité, il brûle tous les exemplaires de sa première œuvre. Fuyant cet échec et la tristesse des bureaux, il décide d’entreprendre un voyage.