Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goethe (Johann Wolfgang von) (suite)

Schiller

C’est au retour de sa « campagne de France » que Goethe entra véritablement en rapport avec Schiller. Leur accord sur les événements des dernières années les rapprocha au cours de l’hiver 1793-94 : en juin 1794. Goethe acceptait l’offre de collaborer à la revue les Heures (die Horen), que fondait Schiller ; celui-ci lui adressait, le 23 août, une lettre fameuse. Leur correspondance devait durer jusqu’à la mort de Schiller, en 1805.

Amitié lucide de deux hommes qui se savaient différents et savaient s’éclairer l’un l’autre sur eux-mêmes et leur travail, qui ont œuvré ensemble à faire de Weimar une république des lettres et des arts. Dans cette collectivité d’hommes cultivés, qui ambitionnent de se grandir par cette « éducation esthétique » définie par Schiller en 1795, les relations d’amitié ne peuvent manquer de jouer leur rôle, elles représentent même le degré supérieur de la vie en société et des échanges qui peuvent s’y instituer.

Les années 1796-97 les ont vus collaborer très intimement ; les Xénies, qui sont des épigrammes littéraires, sont leur œuvre commune ; ils écrivent d’un commun accord des ballades ; Schiller remanie Egmont, et, sur son conseil, Goethe termine Wilhelm Meister.

Hermann und Dorothea, épopée en vers qui se veut à la fois homérique et bourgeoise, est un autre produit de cette période d’échanges et de collaboration.

Pour Schiller, théoricien de la poésie « naïve », pour Goethe, néo-homérique, pour Wilhelm von Humboldt, premier commentateur de Hermann und Dorothea, la culture grecque ancienne offrait des modèles et pas seulement des pièces de musée.


« Wilhelm Meister »

Mais, bien plus que dans l’épopée, c’est dans le roman que s’expriment les temps modernes : et, dans l’œuvre de Goethe, plus dans Wilhelm Meister que dans Hermann und Dorothea.

La première ébauche de ce roman est presque aussi ancienne que celle de Faust, et Goethe avait rédigé entre 1775 et 1780 un manuscrit intitulé Wilhelm Meisters theatralische Sendung (la Vocation théâtrale de Wilhelm Meister), où est retracée l’histoire d’un fils de bonne bourgeoisie, irrésistiblement attiré par la scène et par Shakespeare et qui voudrait prendre part à la création d’un « théâtre national » de langue allemande.

Quand Goethe a remis ce texte sur le métier et, largement encouragé par Schiller, en a achevé la nouvelle rédaction en 1796, il a gardé la donnée initiale mais en réduisant la part du théâtre dans la formation du jeune Wilhelm. Dans le texte nouveau, Wilhelm Meisters Lehrjahre (les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister), l’accent est mis sur la formation générale, l’apprentissage de la vie en société, la recherche par le jeune homme de sa vocation et de la place qu’il lui faudra choisir dans l’édifice social, s’il veut construire un morceau d’univers et ne pas entièrement s’abîmer dans sa tâche.

Il n’y a pas de conclusion aux Années d’apprentissage, et les recherches comme les aventures continueront dans Wilhelm Meisters Wanderjahre (Années de voyage), quelque trente années plus tard. Cependant, on voit assez bien par quelle école Wilhelm est passé. L’apprentissage auquel il a été soumis est celui de la liberté.

L’importance de Wilhelm Meister tient aussi à la structure du livre, reconnu tout de suite comme le type d’une variété nouvelle : le « roman de formation » (Bildungsroman), dont le héros connaît aventures et avatars, non pas comme le chevalier ses épreuves, mais comme l’apprenti, qui cherche à enrichir sa formation de ses expériences.


Romantisme et réveil national

En 1799 et 1800 se sont retrouvés à Iéna ceux qui devaient être appelés « romantiques d’Iéna » : les frères Schlegel et Novalis en particulier. Iéna est proche de Weimar ; Schiller a enseigné l’histoire à l’université, dont Goethe s’occupait aussi au nom de son prince.

Les initiateurs de ce qui devait s’appeler le romantisme, et que Goethe combattit plus tard, admiraient le maître de Weimar. C’est F. von Schlegel qui a fait la première grande étude critique du Wilhelm Meister et il y voyait, avec la Révolution française et la Critique de la raison pure, un des trois événements déterminants de son époque.

Les jeunes auteurs groupés à Iéna et les maîtres de Weimar étaient unis par le souci de la forme et l’ambition de donner à leurs lecteurs autre chose qu’un divertissement ; on peut aussi les appeler idéalistes les uns et les autres, car l’exigence intérieure leur importait plus que le succès.

Ils se sont séparés pourtant assez tôt : Fichte, maître à penser d’Iéna, professait un idéalisme philosophique que Goethe refusait entièrement ; quand il voulut écrire un roman, Novalis donna, avec Heinrich von Ofterdingen, le contraire de Wilhelm Meister, le triomphe de la fantaisie poétique sur ce qui est utile, raisonnable et mesuré.

Les premières années du siècle ont ainsi vu coexister tout près l’un de l’autre, en Thuringe, les deux centres les plus vivants de la poésie et de la pensée : Weimar et Iéna. Aussi longtemps que Schiller vécut, Goethe ressentit moins ses divergences avec Iéna et le divorce qui se préparait. Avec la mort de Schiller en 1805 commencèrent des années plus difficiles.

Dans la vie de Goethe comme dans l’histoire allemande, dans l’histoire des lettres aussi, 1805 marque assurément une date, confirmée par le fait que, le 14 octobre 1806 à Iéna, encore, les Français taillaient en pièces l’armée prussienne et que toute la Prusse, ou presque, allait être occupée. Même les poètes les plus retirés ne pouvaient manquer de noter l’événement. Le mouvement de réveil du sentiment national commençait, et les poètes, romantiques en particulier, allaient accepter un « engagement » que Goethe refusa.

Il entrait dans le rôle de prince de la république des lettres, dont les destins ne devaient pas souffrir des vicissitudes nationales ou même internationales. Il est demeuré fidèle à l’esprit des chants populaires, qui inspirent aussi les romantiques. Mais quand, en 1813, les étudiants patriotes d’Iéna prendront les armes dans le corps franc de Lützen, la muse de Weimar ne se fera pas guerrière.

Bien plutôt, Goethe élargit ses horizons aux traditions poétiques d’autres peuples, et il montre un intérêt nouveau pour les écrivains français, publiant la version allemande du Neveu de Rameau, en 1805 précisément, et préparant les études qui devaient le conduire à la Weltliteratur, la littérature mondiale.