Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goethe (Johann Wolfgang von) (suite)

L’Italie

De son premier voyage en Italie, de septembre 1786 à juin 1788, Goethe a laissé une relation journalière dans son Voyage en Italie (Italienische Reise), mais il n’a pas dit pourquoi il avait quitté très brusquement Weimar et ses amis le 3 septembre 1786, prenant la route de Bohême, comme s’il allait aux eaux de Carlsbad (auj. Karlovy Vary). À coup sûr, il réalisait un rêve d’enfance : « J’ai l’impression d’être né ici, d’y avoir été élevé et de revenir maintenant d’un voyage au Groenland ou d’une chasse à la baleine. »

À Rome, il célébrera une manière de culte, celui de la beauté éternelle ; il vit le mariage de l’art et de la nature, du plaisir d’aimer et de la joie des yeux, union de l’âme et du corps avant ou bien au-delà des théologies. Winckelmann, fondateur de l’histoire des arts, auteur d’un traité fameux pour l’imitation de l’antique, lui a montré le chemin des musées, des marbres du Vatican et des temples de Paestum ; mais Goethe a commencé par le paysage : « Ces grands spectacles avaient élargi mon âme, en avaient effacé tous les plis. J’ai compris la grandeur de la peinture de paysages ; j’ai appris à voir Claude [le Lorrain] et Poussin avec d’autres yeux. » Il a rapporté d’Italie plus de mille dessins.

Il suivait régulièrement des leçons d’anatomie et fréquentait les ateliers des peintres allemands établis à Rome : « C’est le corps humain qui attirait maintenant mes regards. Je fus à l’école, j’appris à dessiner... et je pus enfin comprendre l’antique. » Bientôt, la statuaire grecque lui apparaîtra comme la représentation achevée de l’être humain, comme une manière de seconde création de l’homme. Il touche là à une certitude que rien n’ébranlera plus, même quand, aux alentours de 1815, les médiévistes romantiques exerceront sur lui leur attirance. Il est frappant de constater que, voyageant en 1815, après la libération du pays, dans la région de Mayence, il décrit la contrée comme il fait de l’Italie. Le cortège des Rhénans qui vont en pèlerinage à la Rochuskapelle (chapelle Saint-Roch) près de Bingen finit par ressembler à une foule de Toscane ou de Campanie.

C’est à Rome que Goethe aperçut pour la première fois, rapportés par un voyageur qui revenait d’Athènes, des dessins faits d’après les frises du Parthénon : « Ces grandes œuvres ont été réalisées par des hommes, comme les plus sublimes œuvres de la nature, d’après les lois vraies et naturelles. Tout arbitraire, tout imaginaire en sont absents ; c’est la nécessité, c’est Dieu. » Désormais, Goethe s’attachera à créer, en pays allemand, un mouvement d’intérêt pour l’antique, comparable à celui de la Renaissance en France ou en Italie. Il nourrira l’art « classique » de Weimar dans les années de la collaboration entre Goethe, Schiller et Humboldt.


Formes classiques

Le pentamètre iambique, vers désormais classique du théâtre tragique allemand, est celui de la nouvelle version d’Iphigénie en Tauride (1787) et de Torquato Tasso, qui paraîtra en 1790, sa rédaction n’ayant pas été achevée à Rome. Avec ces deux pièces, Goethe a voulu donner l’exemple de ce que devait être, selon lui, le répertoire de la scène « nationale » allemande, qui n’existait pas dans un pays morcelé, mais à laquelle aspiraient auteurs et acteurs.


Les démons

Si Iphigénie et le Tasse ont accepté le noble drapé à l’antique, d’autres ouvrages dramatiques, repris eux aussi par le poète durant son séjour à Rome, n’en portent guère la trace. La douce lumière du printemps romain les a moins touchés. C’est que les démons ne se sont pas enfuis.

Goethe a défini ce qu’il appelle « l’élément démonique » (das Dämonische) pour parler d’un personnage qui n’est nullement diabolique, puisqu’il s’agit du comte d’Egmont, héros d’une pièce commencée dès 1775, achevée à Rome, publiée en 1788. Goethe, au livre XX de Poésie et vérité, présentera encore le « démonique » comme élément constitutif de tout l’univers vivant. Les êtres en qui cette force se manifeste « ne sont pas toujours les meilleurs pour ce qui est de l’esprit ou du talent, rarement pour ce qui est de la bonté ; mais il émane d’eux une immense force et ils exercent une énergie contraignante incroyable sur tous les êtres vivants et même sur les éléments. Les forces morales, même toutes réunies, ne peuvent rien contre eux ; c’est en vain que l’esprit éclairé essaie de les rendre suspects en montrant qu’ils sont à la fois trompeurs et trompés : la masse est attirée par eux. »


Le docteur Faust

C’est avec le Diable en personne, prince des anges déchus et contradicteurs de Dieu, que doit s’expliquer le docteur Faust, et c’est après de longs remaniements en Italie que Goethe a publié en 1790, sous le titre Faust, fragment, la première partie de son drame. Partie en vers, partie en prose, ce drame médiéval magique et fantastique est la contrepartie d’Iphigénie en Tauride. Ici règnent la passion et la provocation. La figure du docteur Faust n’a jamais cessé d’accompagner le poète, comme un double mystérieux qui représente le côté nocturne de la vie.

Le « fragment » de 1790, remanié, augmenté de nouvelles scènes et de figures plus variées, est devenu, en 1808. Faust. Eine Tragödie. C’est le texte définitif, qui est appelé aussi Faust, première partie. Schiller résumait ainsi le sujet : « La douce nature de l’homme et l’essai malheureux d’unir en lui le Ciel et la Terre. »

Mais il y a assez de couleur et de poésie, de variété dans les épisodes, pour que ce « mystère » soit plus aimé du peuple allemand que n’importe quelle comédie. Aucune autre pièce n’a jamais été autant jouée que celle-là, du moins en langue allemande ; elle a fait de son auteur le poète national.


La Révolution française

Dans une page célèbre des Conversations avec Goethe (notées par Eckermann), on peut lire : « Je ne pouvais pas être ami de la Révolution française, car ses horreurs étaient trop proches et me révoltaient tous les jours, alors que ses conséquences bienfaisantes ne nous apparaissaient pas encore... Mais je ne suis pas davantage ami de l’arbitraire des princes. Je suis persuadé qu’aucune grande révolution n’est jamais née par la faute du peuple, mais par celle des princes. Les révolutions sont impossibles là où les gouvernements sont justes et vigilants ; ils préviennent les révolutions en faisant les réformes que demande leur époque au lieu de s’y refuser jusqu’au jour où la nécessité leur en est imposée, par en bas. »

Les événements de France et surtout leurs suites en pays allemand ont laissé une trace dans l’œuvre dramatique du poète, qui s’est moqué des imitateurs allemands des jacobins dans le Citoyen général (Der Bürgergeneral) et des charlatans révolutionnaires dans le Grand Cophte (Der Grosskophta).

Il prit part aussi, dans la suite du duc de Weimar, à l’expédition des armées prussiennes, et il était à Valmy le jour de la fameuse canonnade. Il a rapporté de cette campagne, qui devait être son seul voyage en France, sa Campagne de France (Campagne in Frankreich), publiée en 1822, comme une partie de son autobiographie.