Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goethe (Johann Wolfgang von) (suite)

Ce goût de l’observation est attesté dès sa jeunesse : de Strasbourg, il allait dans les Vosges observer les roches et visiter dans la région de Sarrebruck les mines de houille et d’alun ; il n’a jamais cessé de s’intéresser aux minéraux, et on lui doit un bel essai sur le granit. L’optique a été, surtout après 1800, une de ses passions, et sa Théorie des couleurs (Zur Farbenlehre) lui a valu nombre de polémiques. Il a souvent maudit « la caste des savants », qui hésitait à le reconnaître.

Anatomiste, il a décrit le premier l’os intermaxillaire ; transformiste avant la lettre, il s’est plu à esquisser une histoire du développement des êtres vivants, en particulier des végétaux. Pour lui, c’est par ses feuilles qu’une plante commence d’exister : tiges et racines sont des feuilles transformées par adaptation. Dans le règne animal, les découvertes de la paléontologie, commencées avec le xixe s., le passionnaient assez pour que la polémique entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire lui ait paru, en 1830, digne de plus d’intérêt que la nouvelle d’une révolution à Paris. Déjà au temps où il parcourait l’Alsace, il avait noté avec beaucoup de surprise qu’on trouvait sur une montagne proche de Bouxwiller des coquillages fossilisés ; il fallait donc admettre qu’un terrain situé maintenant au sommet d’une colline avait été autrefois au fond d’une mer : « Eh bien oui ! ces montagnes avaient été, un jour, recouvertes des vagues de la mer ; que ce fût pendant ou avant le déluge m’importait peu, il me suffisait de savoir que la vallée du Rhin avait été une mer immense, un golfe à perte de vue ; personne ne pouvait plus me convaincre du contraire. Bien plus, je me proposai alors d’avancer dans la connaissance des pays et des montagnes, quoi qu’il doive en être du résultat de mon étude. » Si nous en croyons le récit de Poésie et vérité, cette réflexion date de 1770 ; elle est, en tout cas, celle d’un observateur passionné de découvertes.


Charlotte von Stein

Le cadre de Weimar — petite ville de quelque quatre mille habitants quand il y arriva — devait lui paraître souvent étroit, et les intrigues de la cour bien mesquines, mais les randonnées avec le duc à travers les forêts de Thuringe y apportaient de la variété. Le culte de la nature, que déjà célébrait Werther, prend, dans les années de Weimar, un ton plus ample : « La nature seule est artiste, de la matière la plus simple jusqu’aux plus grands contrastes, sans apparence d’effort jusqu’à la plus grande perfection, jusqu’à la détermination la plus précise, toujours ornée de quelque chose de doux » (la Nature, fragment de 1782).

À Weimar, c’est Charlotte von Stein qui a tenu, au moins jusqu’au voyage en Italie, la plus grande place dans la vie du poète. À une passion ardente, elle a répondu en termes chaleureux, mais surtout amicaux. Sans doute fut-elle la première à savoir tenir en haleine, sans le décourager ni s’abandonner à lui, le génie éclatant mais destructeur à qui elle aura su enseigner le renoncement et la nécessaire maîtrise de soi.

La reconnaissance d’une limitation volontaire et en même temps nécessaire va se retrouver désormais aussi bien dans l’esthétique de Goethe que dans ses réflexions morales. Passé la période des déchaînements enthousiastes de Strasbourg et de Francfort, Goethe weimarien, bien loin encore du calme olympien de la vieillesse, cherche sa propre loi et la trouve d’abord dans des projets mesurés, des déterminations saisissables.

Dans sa première version en prose, Iphigénie auf Tauris (Iphigénie en Tauride) a été donnée au théâtre de la cour de Weimar en 1779. L’auteur tenait le rôle d’Oreste, et c’est de la guérison d’Oreste qu’il s’agit.

En Tauride, Iphigénie est prisonnière du roi Thoas, dont elle a gagné la confiance. Quand surgit son frère Oreste plein de pensées vengeresses, elle se trouve prise entre deux devoirs. Oreste le furieux ne connaît que la violence. Faisant confiance à l’humanité de Thoas, Iphigénie avoue que ce captif assoiffé de vengeance est son frère. Cette suprême confiance touche le cœur de Thoas, qui libère les captifs.

La seconde version d’Iphigénie, en vers iambiques écrits durant le voyage en Italie, ne change rien à l’agencement de la pièce, qui est un hymne à l’humanisme.

C’est beaucoup l’historien Winckelmann (1717-1768) qui avait amené Goethe à chercher des sujets dans l’antique. Il renonçait à n’adorer que Shakespeare et allait vers un élargissement de ses horizons qui se poursuivra en Italie.


Les secrets

Le secret a sa place dans la pensée et l’œuvre de Goethe, mais il tenait que les hommes doivent en faire bon usage et continuer à progresser dans le chemin de la découverte. Il pensait aussi, disciple en cela de Lessing, qu’il y a un usage pratique, moral et social du secret. C’est le sujet d’un grand poème inachevé, de 1785, intitulé Die Geheimnisse (les Secrets). C’est le tableau d’un groupe d’hommes de bien et de bonne volonté qui ont surmonté l’égoïsme de la passion et se consacrent au service de leurs semblables.

Pour atteindre mieux leur but, ils se sont groupés en une confrérie secrète ; mais le secret qu’ils ont, en fin de compte, à dévoiler n’en est pas un, car c’est seulement le symbole de leur volonté commune de s’élever et leur confiance dans l’humanité des hommes. On retrouve dans le roman de Wilhelm Meister une « société de la Tour » dont l’inspiration est proche, et ces secrets de 1785 sont les mêmes que ceux de la Flûte enchantée de Mozart, dont le livret exprime l’idéal de la franc-maçonnerie. En 1794, la Flûte enchantée fut donnée au théâtre de Weimar, et Goethe écrivit le texte d’une Seconde Partie de la Flûte enchantée (1795), demeurée inachevée.

En comparant l’esprit de cette « franc-maçonnerie » et la passion conquérante du groupe qui se réunissait quinze ans plus tôt à Strasbourg autour du même Goethe, on peut mesurer le chemin qu’il a parcouru. Il ne s’agit plus désormais de s’abandonner aux inspirations de son génie, de faire confiance aux élans mystérieux, mais de dompter le mystère et de croire, au-delà d’un rationalisme prosaïque, à ce que Lessing avait appelé la raison ardente.