Glasgow (suite)
Cette tendance trouve un écho dans le cercle d’architectes-décorateurs écossais qui se groupent autour de Charles Rennie Mackintosh (Glasgow 1868 - Londres 1928) dans les années 1890. D’après le témoignage de Jessie Newbery, femme du directeur de l’école des beaux-arts de Glasgow et auteur de la préface du catalogue de l’exposition organisée en 1933 aux McLellan Galleries — The Memorial Exhibition —, le « Glasgow Style » serait né en avril 1893 avec la parution du premier numéro de la revue The Studio. Mackintosh aurait été impressionné par les dessins d’Aubrey Beardsley, par les reproductions d’architecture et de décor intérieur de Voysey, ainsi que par un dessin du Hollandais Jan Toorop publié dans le numéro de septembre 1893. Sans doute, d’autres influences ont marqué le groupe de Glasgow à travers The Studio, et particulièrement celle du peintre symboliste belge Fernand Khnopff. La tendance morbide, la stylisation des gestes, le dessin allongé des personnages de Toorop, la simplification sophistiquée et le contenu symbolique de Khnopff ont en fait plus directement influencé les réalisations des autres membres du groupe, les sœurs Margaret (1865-1933) et Frances (1874-1921) Macdonald et Herbert McNair, que Mackintosh lui-même.
Apprenti chez l’architecte John Hutchison en 1884, puis en 1889 dans la firme Honeyman and Keppie, où il se lie avec son futur beau-frère Herbert McNair, Mackintosh rencontre les sœurs Macdonald aux cours du soir de l’école des beaux-arts de Glasgow, grâce au directeur Francis H. Newbery, frappé par les affinités qui lient les jeunes gens. Les « quatre » s’exercent avec un égal bonheur au dessin, à l’aquarelle, à l’illustration de livres, à l’affiche, au travail du verre, du métal, au dessin de meubles. Ils créent avec l’aide des Newbery (Jessie enseigne et renouvelle l’art de la broderie) un style Art nouveau original, qui sera connu comme le style de Glasgow lorsque leurs œuvres seront exposées à Londres et à l’étranger.
Mackintosh commence sa carrière d’architecte autour de 1890, après un voyage d’études en France et en Italie. Sa première réalisation, la tour d’angle de l’immeuble du Glasgow Herald (1894), montre déjà son refus de l’académisme. En 1897, il gagne le concours pour le nouveau bâtiment de l’école des beaux-arts. Édifiée en 1897-1899, la façade nord reflète la complexité des tendances du jeune architecte, attaché à la tradition romantique médiévale et à l’austérité écossaise, réceptif à la leçon de Norman Shaw et de Voysey et en même temps attiré par la liberté baroque de l’Art nouveau. Percée de larges verrières à meneaux et traverses sans moulures, la façade est fonctionnelle et pourtant asymétrique dans la partie centrale ; la sévérité de la pierre y est contredite par la grâce des ferronneries. À l’intérieur, même rapport inattendu de formes caractérisées par cette verticalité, cet étirement qui confèrent aux œuvres de Mackintosh, comme à celles de l’ensemble du groupe, une sorte de distinction sophistiquée. Commencée en 1907, la haute façade ouest porte les fenêtres de la bibliothèque, considérée comme le chef-d’œuvre de l’école de Glasgow. N. Pevsner souligne la beauté du plan du bâtiment, « clair et lucide », et son sens exceptionnel de l’espace. C’est dans l’invention spatiale, très en avance sur l’époque et annonçant le néo-plasticisme hollandais, que s’exprime le mieux le génie poétique de Mackintosh, par exemple dans l’organisation intérieure des maisons qu’il construit autour de Glasgow : Windy Hill à Kilmacolm (1899-1901), Hill House à Helensburgh (1902-03). À partir de 1897, il est chargé de la décoration et de l’aménagement mobilier des salons de thé de miss Cranston. Ils sont pour lui l’occasion d’aborder toute une gamme de techniques dans des ensembles d’un raffinement extrême. Le mobilier traduit bien ses contradictions, son goût pour la simplicité, voire l’austérité des lignes et angles droits qui se veulent structuraux, et sa prédilection pour des couleurs sophistiquées : blanc et rose, blanc et Nias rehaussés de noir, d’argent, de nacre. Sur les murs du salon de thé de Buchanan Street, de hautes figures de femmes enlacées de lignes circulaires rappellent le style de l’Autrichien Gustav Klimt.
On comprend pourquoi l’exposition du groupe à la présentation annuelle de la Sécession de Vienne, en 1900, rencontre un succès que Londres, quelques années auparavant, lui avait refusé. À Vienne, Mackintosh, marié depuis peu avec Margaret Macdonald — tandis qu’un an auparavant McNair avait épousé l’autre sœur, Frances —, trouve un climat favorable à ses recherches esthétiques. La rencontre la plus importante est celle de Joseph Hoffmann, avec lequel Mackintosh se trouve en totale communauté d’idées. En 1901, en tant que chef du groupe, il participe au concours organisé par un éditeur de Darmstadt pour la maison d’un amateur d’art. Il obtient le deuxième prix après l’Anglais Baillie Scott, avec un projet souplement cubiste, dépouillé de tout ornement ou mouvement quelconque, avec une asymétrie des pleins et des vides qui annonce le purisme d’Adolf Loos (1870-1933). À partir de 1901, le groupe de Glasgow multiplie ses manifestations à l’étranger : Turin, Budapest, Munich, Dresde, Venise, Moscou.
La carrière de Mackintosh architecte s’arrête pratiquement en 1913. Il se consacre au dessin de meubles, de tissus imprimés. En 1920, il se retire à Port-Vendres avec sa femme et ne pratique plus que l’aquarelle.
Y. B.
➙ Art nouveau.
N. Pevsner, Pioneers of Modern Design (Londres, 1949) ; Charles R. Mackintosh (Milan, 1950) ; The Sources of Modern Architecture and Design (Londres, 1968 ; trad. fr. les Sources de l’architecture moderne et du design, Éd. de la Connaissance, Bruxelles, 1970).