Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Girondins (suite)

Les Girondins présentaient cependant des caractéristiques communes. Généreux et impulsifs, grands admirateurs des Anciens et des philosophes du xviiie s., ils avaient l’éloquence et l’enthousiasme faciles. Sortis à peu près tous d’une bourgeoisie aisée ou même riche, ils étaient férus d’égalité politique, détestaient la noblesse et désiraient voir le rôle du roi réduit à entériner les décisions d’une assemblée. Déistes, parfois athées, ces idéalistes, nourris de Plutarque et communiant dans une même ferveur un peu naïve pour le paganisme antique, se montrèrent fort violents à l’égard des prêtres réfractaires. Leur grand tort fut de trop aimer les belles phrases et les grandes idées, sans pouvoir faire preuve de réalisme. Plus brillants que profonds, ils se lancèrent dans la Révolution sans trop se rendre compte des conséquences de leurs actes et regrettèrent, mais trop tard, d’avoir sapé le trône. Ils eurent ensuite affaire à des adversaires plus énergiques, plus disciplinés qu’eux-mêmes. La Montagne, appuyée par la tumultueuse Commune de Paris, devait aisément évincer des hommes qui ne savaient ni s’unir, ni trouver des remèdes à la crise économique et financière, ni lutter contre l’invasion étrangère.


Un recrutement provincial

On peut fixer comme date de l’entrée des Girondins dans l’histoire le jour où se réunit l’Assemblée législative (1er oct. 1791). De jeunes avocats de Bordeaux (Vergniaud, Guadet, Gensonné, Grangeneuve) ont été élus par leur département en raison de leur éloquence (le talent oratoire de Vergniaud est éblouissant) et de leurs idées libérales. Ils sont alors royalistes, en ce sens qu’ils acceptent la monarchie constitutionnelle à la condition que la bourgeoisie cultivée ait sa place dans le régime. Arrivés à Paris, ils se lient à l’Assemblée, ainsi qu’au club des Jacobins, où ils se sont fait aussitôt inscrire, avec le député de Paris J. P. Brissot. Ce dernier, fils d’un cuisinier traiteur, a beaucoup écrit dans les gazettes. C’est un polémiste-né. Il a voyagé en Angleterre, puis aux États-Unis, d’où il est revenu plein d’admiration pour la jeune république. Fondateur d’une « Société des amis des Noirs » avec Condorcet*, il a créé en 1789 un journal, le Patriote français, qui connaît vite un grand succès.

En cet automne de 1791 s’installe également à Paris, rue Guénégaud, Mme Roland, épouse d’un inspecteur des manufactures, Roland de La Platière, qu’elle a poussé dans la politique. Démocrate passionnée, très hostile au roi et surtout à la reine, la future égérie de la Gironde réunit autour d’elle des jeunes hommes qui partagent ses idées : outre Brissot, un fidèle, elle voit Pétion (élu maire de Paris en novembre), le Normand Buzot, ancien membre de la Constituante, Louvet, auteur d’un roman jugé alors licencieux (les Amours du chevalier de Faublas), mais dont les convictions politiques lui paraissent excellentes. Plus tard, le Provençal Barbaroux, qui amènera, en juillet 1792, les fédérés marseillais dans la capitale, se joindra au groupe.


À la gauche de l’Assemblée

Les Girondins vont former l’aile gauche de la Législative. Dans d’éloquents discours, ils attaquent avec véhémence les Tuileries, la noblesse et la Cour, les prêtres réfractaires, les émigrés et leur protecteur, l’empereur Léopold, frère de Marie-Antoinette. Malgré l’opposition de Robespierre, inquiet de voir s’ouvrir ainsi le conflit, Brissot obtient qu’un « ministère girondin » constitué sous son égide (avec Roland à l’Intérieur et Dumouriez aux Affaires étrangères) déclare la guerre à l’Autriche (20 avr. 1792). Mais les opérations débutent mal, et la tension monte entre le roi et l’Assemblée. Après le renvoi des ministres (13 juin) et la journée du 20 juin (préparée, dit-on, dans le salon de Mme Roland), Vergniaud et ses amis s’inquiètent du gouffre qui s’ouvre devant la monarchie et qu’ils ont largement contribué à creuser. Désireux de sauver le trône, ils tentent de s’aboucher avec Louis XVI, mais celui-ci refuse toute compromission.

Le 10 août, les Tuileries sont prises. Tandis que la Commune insurrectionnelle réclame à grands cris la déchéance du roi, Vergniaud demande qu’on nomme un gouverneur pour le prince royal (le Dauphin) : ce vœu lui sera, par la suite, vivement reproché. L’Assemblée législative doit s’incliner devant la toute-puissante Commune de Paris. Trois semaines plus tard surviennent les massacres de Septembre. Roland et Brissot, visés par la Commune, sont sauvés par Pétion et Danton, ministre de la Justice, mais les Girondins, et en particulier Mme Roland, sont horrifiés par ce bain de sang. À cette date se déroulent les élections pour la Convention. Alors que Robespierre*, Marat* et Danton* sont brillamment élus à Paris — où la Commune pousse ses candidats —, Brissot et Pétion subissent de cuisants échecs dans la capitale. Ils se feront élire en Eure-et-Loir. D’autres amis se joindront à eux : les deux pasteurs protestants Lasource et Rabaut Saint-Étienne, le philosophe Condorcet*, épris des « Lumières », Rebecqui, Lauze de Perret, Fauchet — l’évêque constitutionnel du Calvados —, le Normand Valazé, le Lorrain Salles, etc. Ces élus provinciaux sont, dans l’ensemble, très hostiles à la prédominance de Paris et de la Commune sur le reste du pays.


La lutte contre la Montagne

À la Convention, les Girondins doivent passer des travées de la gauche à celles de la droite. Par rapport aux Montagnards, ils font désormais figure de réactionnaires. Selon le mot de Rivarol, « les incendiaires de la Législative se sont mués en pompiers ». Ils possèdent néanmoins, grâce à l’appui du centre modéré, une large majorité à l’Assemblée (on comptait environ 160 Girondins pour 140 Montagnards et 450 membres de la « Plaine »). La victoire de Valmy (20 sept. 1792), remportée par leur ami Dumouriez, renforce en outre leurs positions. Mais ils ont le tort de demander une garde départementale pour se protéger des émeutes et surtout d’attaquer à la fois, dans leurs discours, Danton, Marat et Robespierre. Du coup, les « triumvirs », qui, en fait, ne s’aiment guère, se serrent les coudes. On commence à raconter que les Girondins veulent découper la France en petites républiques fédérées, à la façon américaine. Cette accusation de fédéralisme n’apparaît pas comme bien sérieuse. La Constitution que prépare la Gironde (et en particulier Condorcet) — et qui ne sera évidemment jamais appliquée — ne souffle mot de ce prétendu projet.