Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Giraudoux (Jean) (suite)

La fatalité et l’absurdité de la guerre

Écrite et représentée dans les trois années qui séparent la prise du pouvoir par Hitler et le déclenchement de la guerre d’Espagne, trois ans avant Munich, La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935) semble l’œuvre du destin. Giraudoux poursuit son entreprise de rendre sa dignité au théâtre en le réintégrant dans le grand art, le Tragique. Malgré son point de départ humaniste, sa tentative tragique cesse d’être le passe-temps d’un homme de haute culture. Il connaît déjà le vrai nom de la guerre de Troie qui a eu lieu, qui va avoir lieu. Face au spectre d’une guerre qu’il sait inévitable, il se bat avec la magie propre du théâtre. C’est un véritable exorcisme, désespéré malgré les pointes et les clins d’œil qui nous gênent aujourd’hui. Il démystifie la guerre, tout en soulignant son caractère fatal. Mais il ne s’agit plus de cette fatalité grandiose et horrible dont elle était entourée jusque-là. La guerre n’est pas horrible comme la Gorgone, mais laide comme « un cul de singe ». Les dieux ne sortent de leur indifférence que si la dignité et le bonheur des hommes menacent leur suprématie. Ils n’ont rien à craindre tant que les hommes seront assez bêtes pour se faire la guerre, qui est la négation du bonheur et de la dignité. La vraie fatalité de la guerre, c’est la bêtise, mais c’est aussi la seule que l’homme n’ait encore jamais vaincue. Hector lui-même, quand ses nerfs craquent au terme d’une lutte épuisante, commet en militaire l’acte stupide qui donne à la guerre son premier mort au champ d’honneur.


« Le monde est plein de mecs »

L’univers de Giraudoux a perdu pour toujours cette innocence qui faisait son charme. Giraudoux tente, pourtant, de prendre de biais l’horreur tragique, tant il paraît peu préparé à abandonner son rêve de bonheur. Déjà beaucoup voient en lui un nouveau Racine, que les plus belles scènes d’Électre (1937) ne sont pas sans évoquer. En 1936, Giraudoux refuse de devenir administrateur de la Comédie-Française. Quelques mois avant la guerre, il s’inspire encore de la littérature allemande, qu’il admire, pour écrire Ondine (1939), qui est à la fois une féerie et une tragédie. Quand un gouvernement d’union nationale veut s’attacher la caution d’un grand écrivain, il le fait secrétaire d’État à l’Information, c’est-à-dire à la propagande. Giraudoux précède Malraux dans ce rôle qui lui sied mal. Sans Jouvet, qui a quitté la France avec sa troupe à l’arrivée des Allemands et qui créera l’Apollon de Bellac à Rio de Janeiro en 1942, il n’est plus chez lui au théâtre. De Sodome et Gomorrhe, créée en 1943, il ne reste que le souvenir radieux de Gérard Philipe, qui débutait dans le rôle d’un ange. Six mois avant l’aube d’un certain 6 juin, Jean Giraudoux quittait sans regret un monde où, selon le mot de Baudelaire, « l’action n’est pas la sœur du rêve ». À son retour, Louis Jouvet trouva un manuscrit à la dernière page duquel Giraudoux avait écrit : « Cette pièce a été jouée pour la première fois par Louis Jouvet le... (en blanc). » La création de la Folle de Chaillot eut lieu au théâtre de l’Athénée le 19 décembre 1945, dans l’admirable décor de Christian Bérard. Marguerite Moreno fut l’inoubliable Aurélie juste avant de mourir. En chiffonnier, Louis Jouvet retrouvait les intonations étranges du mendiant d’Électre pour lancer le message posthume de Giraudoux : « Le monde file un mauvais coton !... Le monde n’est plus beau !... Le monde n’est plus heureux à cause de l’invasion... Le monde est plein de mecs.. »


Giraudoux et nous

Le théâtre de Giraudoux n’a pas connu de purgatoire. Après la mort de Louis Jouvet en 1951, on a repris ses pièces l’une après l’autre en différents théâtres parisiens. Les premières reprises déçurent un public qui découvrait tour à tour Sartre, Beckett, Brecht. Les jeunes générations mettaient en doute le sérieux véritable de sa démarche et l’importance réelle de son théâtre. Comme tous les théâtres de l’entre-deux-guerres (Pirandello, García Lorca), celui de Giraudoux subissait un certain vieillissement. La virtuosité verbale qui avait fait son succès l’avait aussi empêché de franchir certaines limites. Tout occupé à faire briller les mots et les idées à travers eux, Giraudoux ne parvint jamais à animer une action et à créer des personnages autonomes et denses. Ceux-ci sont si transparents que c’est toujours lui qu’on aperçoit à travers eux. De son vivant même, on espérait chaque fois qu’il allait être enfin plus que Giraudoux. On crut que c’était fait en 1935 avec La guerre de Troie n’aura pas lieu. Après la Folle de Chaillot, Giraudoux étant mort, Pierre-Aimé Touchard écrivait : « Non, il n’aura pas été le Racine de son siècle. » Il faut prendre les limites de l’œuvre de Giraudoux. Sensible et ironique, celle-ci réalise, un peu à la manière de Musset, une synthèse fragile et précieuse du classicisme racinien et du romantisme allemand. Mais le succès, devant le public populaire du théâtre de Chaillot, de La guerre de Troie n’aura pas lieu, puis de la Folle de Chaillot semble donner à ce théâtre subtil une résonance nouvelle qui dépasse la préciosité qu’on lui reconnaissait jusqu’alors.

A. S.

 G. Host, l’Œuvre de Giraudoux (Oslo, 1942). / J. Houlet, le Théâtre de Jean Giraudoux (P. Ardent, 1945). / C.-E. Magny, Précieux Giraudoux (Éd. du Seuil, 1945). / C. Marker, Giraudoux par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1952). / R. M. Albérès, Esthétique et morale chez Jean Giraudoux (Nizet, 1957). / D. Inskip, Jean Giraudoux : The Making of a Dramatist (Oxford, 1959). / L. Le Sage, l’Œuvre de Jean Giraudoux (Nizet, 1959). / M.-J. Durry, l’Univers de Giraudoux (Mercure de France, 1961). / C. Mauron, le Théâtre de Giraudoux (Corti, 1971).

giraviation

Technique dont l’objet est l’étude ainsi que la réalisation des appareils à voilure tournante, c’est-à-dire essentiellement les hélicoptères et les appareils qui en dérivent.