Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Giraud (Henri) (suite)

Très mal vu par Laval*, il prend contact avec les Américains et, croyant recevoir le commandement des forces alliées en Afrique du Nord, il s’embarque secrètement le 5 novembre pour Gibraltar, où il rencontre Eisenhower*, puis de là pour Alger, où l’amiral Darlan* le met à la tête des forces françaises qui, le 19, reprennent en Tunisie le combat contre celles de l’Axe. Après l’assassinat de l’amiral (24 déc. 1942), Giraud, seul « personnage » disponible reconnu par les Américains, doit assurer la fonction de commandant en chef civil et militaire de l’Afrique française. Lui, qui, ignorant le monde politique, a pour seule devise « Un seul but, la victoire ! », se trouve donc contraint d’endosser l’habit d’un chef d’État.

Le 30 mai 1943, après de nombreuses tractations conduites par le général Catroux, Giraud (dont la famille a été déportée en Allemagne) est rejoint à Alger par de Gaulle* et devient avec lui coprésident du Comité français de libération nationale. Les jeux ne sont pas encore faits, mais Giraud se montre aussitôt peu capable de jouer et tâtonne avec amertume dans un brouillard politique dont il ne sait se dégager. Au cours de l’hiver, notamment lors du procès Pucheu, il voit disparaître une popularité déjà déclinante. De Gaulle, qui l’a jaugé dès leur première entrevue à Casablanca (janv. 1943), l’écarté implacablement de tout rôle politique dès le 27 septembre 1943, tout en lui laissant les fonctions de commandant en chef.

À l’actif de Giraud, il est juste de retenir trois faits remarquables : psychologiquement, une certaine réconciliation entre les Français ; matériellement, le réarmement des divisions françaises, qu’il arrache difficilement aux Américains lors d’un voyage aux États-Unis (juill. 1943) ; tactiquement, la reconquête de la Corse, qu’il prépare et réussit brillamment en septembre 1943.

Le 8 avril 1944, Giraud résilie ses fonctions de commandant en chef et refuse le titre d’inspecteur de l’armée. Revenu en France après avoir échappé à un mystérieux attentat à Mostaganem (2 sept. 1944), il a la joie de rentrer dans Metz, libéré le 26 novembre suivant. Député de Metz durant quelques mois en 1946, il se retire ensuite à Dijon, et c’est à l’hôpital de cette ville qu’à la veille de sa mort il reçoit la médaille militaire. « J’ai eu la vie que j’avais rêvée, avait-il écrit. Ce serait à recommencer que je recommencerais avec la même foi, la même ardeur, la même folie... » Le général Giraud, qui a laissé deux livres de souvenirs (Mes évasions, 1946 ; Un seul but : la victoire, Alger 1942-1944, 1949), est inhumé aux Invalides.

J. E. V.

 P. Croidys, le Général Giraud (Spes, 1949).

Giraudoux (Jean)

Écrivain français (Bellac 1882 - Paris 1944).



L’homme

Jean Giraudoux est avec Paul Claudel* le dramaturge français le plus considérable de l’entre-deux-guerres. Mais, à la différence de l’auteur du Soulier de satin, il a connu une consécration immédiate. Il avait comme lui embrassé la carrière diplomatique après des études à l’École normale supérieure (1903) et à Harvard (1906). Vice-consul à la direction politique et commerciale du ministère des Affaires étrangères en 1910, il sera inspecteur des postes diplomatiques et consulaires en 1934, puis, en 1939, commissaire à l’Information, poste qu’il abandonnera l’année suivante pour se retirer près de Vichy, à Cusset.

Il avait fait ses débuts littéraires dès 1909 avec un recueil de nouvelles, Provinciales. En quelques romans, il réussit à créer un univers poétique où, dans le chatoiement du langage, s’épanouit une nouvelle préciosité : Simon le Pathétique (1918), Elpénor (1919), Suzanne et le Pacifique (1921), Siegfried et le Limousin (1922), Juliette au pays des hommes (1924), Bella (1926), Églantine (1927). En 1928, il tira de Siegfried et le Limousin une pièce que Louis Jouvet eut le courage de monter à la Comédie des Champs-Élysées. Cette création triomphale a marqué un tournant dans l’histoire du théâtre français moderne. Depuis Antoine, tous les grands rénovateurs de la scène avaient vainement cherché l’œuvre dramatique nouvelle capable de donner un sens à leur effort. Avec Siegfried prenait fin le divorce scandaleux qui coupait l’un de l’autre la littérature et le théâtre, avili par cinquante ans de mercantilisme, de prosaïsme et de psychologisme. Giraudoux redonnait un langage au théâtre, et Jouvet, serviteur de l’œuvre, lui conférait son existence scénique.

Pendant onze ans, l’homme de théâtre et l’écrivain devaient collaborer dans une confiance et une estime réciproques. Chaque saison théâtrale fut marquée par la création d’une pièce nouvelle de Giraudoux.


Le sens tragique

Giraudoux ne rompait pas systématiquement avec la tradition théâtrale. Seuls le raffinement du langage, la subtilité des dialogues, l’ambiance poétique créaient une distance entre son théâtre et le meilleur boulevard. Mais surtout l’expression dramatique révélait une fêlure dans l’univers d’innocence heureuse où les héroïnes romanesques avaient évolué jusque-là. Le romancier Giraudoux ne mettait pas en doute l’harmonie qui régnait originellement entre l’homme et le monde. Le dramaturge Giraudoux a pris une conscience de plus en plus nette de la présence du mal et du conflit qui existe entre l’homme et les forces qui le dépassent. Si Amphitryon 38 (1929) est encore une fantaisie, dans Judith (1931), le tragique naît de la tension entre le destin d’un être de légende voué au sacrifice et sa vocation de femme heureuse. La tentation de dépasser la condition humaine par l’accomplissement d’actes exceptionnels est inconciliable avec la sagesse prudente, autre pôle de la dignité humaine.


La note juste d’Intermezzo

Dans Intermezzo (1933), Isabelle détruit l’équilibre ennuyeux de la vie d’une petite ville de province en instruisant les écolières dans la joie et en prenant des rendez-vous avec un spectre. Pour la sauver d’elle-même, entre la fascination mortelle du spectre et le plat rationalisme de l’inspecteur d’académie, il faut l’amour du contrôleur des poids et mesures, aimable fonctionnaire dont la sagesse et la raison, héritées de Montaigne et de Montesquieu, sont à l’image d’une certaine France que Giraudoux aime et raille à la fois. Le dénouement heureux de ce chef-d’œuvre cache mal l’amertume que le spectateur éprouve à comprendre qu’Isabelle ne trouvera le bonheur qu’en renonçant à percer les mystères de la vie et de la mort. Ainsi, le théâtre donne une profondeur nouvelle à l’univers de Giraudoux. Après avoir rendu au théâtre la dignité du langage, Giraudoux renoue avec la grandeur tragique.