Giolitti (Giovanni) (suite)
Les élections législatives amènent cependant un changement de ministère l’année suivante. Maître incontesté du Parlement depuis plus de dix ans, Giolitti a coutume de céder le pouvoir pour un temps à l’un de ses lieutenants ou même de ses pacifiques rivaux lorsque la convenance ou la fatigue lui conseillent de prendre une retraite provisoire. Il en est ainsi en mars 1914, quand il passa les rênes à un membre de la droite, le juriste Antonio Salandra, que la Première Guerre mondiale placera devant des responsabilités aussi lourdes qu’inattendues.
Giolitti a renouvelé en décembre 1912 le traité de Triple-Alliance, deux ans en avance sur la date prévue pour ce renouvellement, mais, après le rapprochement avec la France survenu en début du siècle, l’alliance a acquis un caractère exclusivement défensif, et Giolitti n’a cessé de lui maintenir ce caractère, en même temps que des relations cordiales s’établissaient avec la Russie et que se renforçait l’amitié traditionnelle avec l’Angleterre.
Honni par les nationalistes pour son « neutralisme » pendant la guerre, Giolitti devait trouver sa revanche en 1920, après la chute du ministère Nitti : il est alors désigné au roi par l’unanimité des responsables politiques comme le seul homme d’État qui puisse restaurer les finances d’un pays victorieux sans doute, mais ruiné, déchiré par les factions, insatisfait même des apports que la paix lui assure. Giolitti s’efforce de restaurer le crédit public et le prestige du Parlement, ébranlé par le manque de toute activité législative, remplacée par le système inconstitutionnel des décrets-lois d’initiative gouvernementale. Il propose des mesures draconiennes pour arrêter l’inflation : révision des contrats stipulés par l’État pendant et après la guerre, rigide application de l’impôt sur le capital, nominativité des titres de Bourse au porteur, qui représentent 70 milliards et dont la plupart échappent à l’impôt sur les successions et à l’impôt progressif sur le revenu.
Le cinquième ministère Giolitti est aisément constitué et entre en fonctions en juin 1920. Peu après, il doit faire face aux troubles intérieurs de caractère antimilitariste, qui hâtent l’évacuation de l’Albanie ; les rapports avec la Yougoslavie sont normalisés par le traité de Rapallo (12 nov. 1920) ; enfin, D’Annunzio, qui occupait Fiume, est contraint d’y renoncer par la force. En septembre 1920, l’occupation des usines par la main-d’œuvre est réglée, mais, par choc en retour, cette action ouvrière favorise le développement du mouvement fasciste. Enfin, le prix du pain, maintenu, pour complaire aux socialistes, à un prix très inférieur au coût réel, dit « prix politique » — soit gratuit pour les deux tiers de sa valeur —, est ramené à son prix normal, ce qui dégrève de 6 milliards le budget de l’État.
L’ensemble de ces mesures a toutefois provoqué une furieuse opposition des partis de gauche contre le gouvernement et même contre le pouvoir royal. Giolitti décide donc de dissoudre la Chambre et de procéder à de nouvelles élections en mai 1921. Celles-ci laissent inchangé le parti populaire et ne font perdre que 24 sièges à l’extrême gauche, qu’occupent pour la plupart de jeunes députés fascistes (25). Le vote de confiance du 23 juin, demandé par Giolitti en se présentant devant la nouvelle Chambre, n’obtient cependant que 34 voix de majorité, après des réserves formelles du groupe constitutionnel de la Démocratie sociale. Le président du Conseil considère qu’il n’a plus une autorité suffisante pour continuer son œuvre de redressement et démissionne.
M. V.
➙ Italie.
W. A. Salomone, Italian Democracy in the Making : the Political Scene in the Giolittian Era, 1900-1914 (Rome, 1945). / G. Spadolini, Giolitti e i cattolici, 1901-1914 (Florence, 1960).